Russie politics
Russie: un allié ou un concurrent
pour les Etats Unis de Trump?
Karine Bechet-Golovko
Lundi 23 janvier 2017
Si l'on arrive à s'abstraire des
affirmations de la presse occidentale
selon lesquelles la Russie et les Etats
Unis avancent de concert pour construire
un nouveau monde qui remet en cause
l'establishment et ses organes de
transmission, les premiers pas de D.
Trump conduisent à se poser une question
remettant en cause cette vision par trop
simpliste de la situation: voit-il
réellement la Russie comme un allié?
Lors
de sa campagne présidentielle, D. Trump
avait fait plusieurs déclarations,
concernant le non-sens des sanctions
adoptées contre la Russie, le
rattachement de la Crimée et
l'importance d'une collaboration entre
les Etats Unis et la Russie dans la
lutte contre le terrorisme.
L'on
pourrait dire, ça c'était avant. Il
était en campagne, presque contre son
parti et avait besoin de soutien. Il en
a toujours besoin, mais il a aussi
besoin de gouverner et a donc fait
plusieurs compromis, ce que les
auditions des ses collaborateurs devant
le Sénat ont montré. Ne pouvant être en
guerre sur tous les fronts, sur la
politique intérieure et sur la politique
extérieure, des choix semblent avoir
être fait. Et la politique intérieure
est sa priorité.
Il
tend la main à T. May et félicite le
Brexit, car cela va dans le sens de
l'idéologie qu'il défend: en finir avec
les élites néolibérales et relancer le
libéralisme économique. Autrement dit,
la production nationale, l'industrie
nationale et pas forcément le grand
capital déconnecté des pays et des
sociétés, mettre les gens au travail et
non leur payer un revenu universel. T.
May parle également de la relance de
l'industrialisation, de la remise en
cause de la CEDH, de la protection des
intérêts nationaux contre les
instruments globaux. D. Trump a fait
supprimer de la page de la Maison
Blanche le soutien à la lutte contre le
changement climatique et à la cause
LGBT. Il a besoin de T. May dans son
combat intérieur, idéologique, d'autant
plus que T. May s'assume à
l'internationale. Ici les Etats Unis
sont demandeurs.
Et
quid de la Russie ? Sur le plan
idéologique, la Russie est très floue.
Elle ne remet pas profondément en cause
l'establishment et ses organes. Elle ne
remet pas en cause la lutte contre le
réchauffement climatique, au contraire.
Elle est en pleine "révolution
écologique". Les milieux financiers lui
sont particulièrement proches. A la
différence des grands chefs d'entreprise
américains, qui se sont frottés aux
réalités du business, la plupart de ceux
qui sont à la tête des grosses
entreprises russes, même étatiques, ont
récupéré ce qui venait de l'Union
soviétique et ont largement profité du
grand dépouillement démocratique de
l'Etat organisé par les chantres du
libéralisme. Ceux- là même qui sont à la
tête de ces milieux aujourd'hui. Le
libéralisme de papa, ils ne connaissent
pas et ça ne les intéresse pas. Or, leur
poids politique est très important.
Deux
bémoles. Sur le plan économique, les
sanctions ont obligé le pays,
heureusement, à ne pas suivre les
conseils des post-modernes incitant à
faire passer la Russie à l'ère
post-industrielle. Il a bien fallu
relancer la production intérieure. Sur
le plan idéologique, le poids des
religions traditionnelles est un frein
au développement du mouvement LGBT.
L'homosexualité n'est pas réprimée, mais
elle n'est pas l'objet d'une propagande
de masse voulant en faire la norme,
comme nous pouvons le voir en Europe.
Par exemple, vous ne trouverez pas
l'homo dans les feuilletons télévisés
comme vous trouviez le noir de service à
l'époque. La souveraineté est également
avancée, pour autant, la Russie tente de
jouer sur els deux tableaux. Elle n'ose
pas déclarer comme la Grande Bretagne
vouloir remettre en cause la juridiction
de la CEDH, mais elle développe des
procédures nationales de protections.
Bref, elle n'ose pas aller au bout de sa
logique, car justement sa position
idéologique n'est pas totalement claire:
elle ne veut pas remettre en cause
l'ordre établi, elle veut en faire
partie.
Alors
la Russie est-elle réellement un allié
pour les Etats Unis? D. Trump semble
hésiter. Il a besoin d'alliés, mais
d'alliés forts et sur la même ligne que
lui. Pour l'instant, il n'a toujours pas
rappelé les diplomates expulsés par
Obama, il négocie la levée des
sanctions contre une réduction
drastique de l'arsenal atomique russe.
Bref, il test et négocie férocement, ce
qu'il a toujours fait. Certes, S.
Lavrov, le ministre russe des
affaires étrangères, a déclaré ne pas
voir de lien entre la levée des
sanctions et la réduction des armes
nucléaires dans les paroles du Président
américain, le doute reste permis. Et la
situation rappelle
1986, la rencontre entre Reagan et
Gorbatchev à Reykjavik, qui avait sonné
le début de l'amitié entre les
soviétiques et les américains, le début
des compromis importants et la fin de
l'URSS.
La
Russie ne semble pas décidée à suivre la
même voie, la réaction tant de S. Lavrov
que du porte-parole du Kremlin
démontrent plutôt un délicat mouvement
de rejet, sans conflit, mais très clair.
Il n'y a pas eu de proposition de la
part des Etats Unis. La levée des
sanctions n'est pas un objet de
négociation, puisque la Russie n'est pas
à l'origine de leur adoption, elle n'a
pas de rôle à jouer dans leur levée.
Les
relations russo-américaines sont en
effet à un tournant et peuvent avoir des
effets indirects importants en politique
intérieure russe. Le virage est donc à
négocier avec doigté. D'une part, si la
Russie tient bon, la politique de
relance et de souveraineté prônée par
les Etats Unis et la Grande Bretagne
peut affaiblir le clan néolibéral à
l'intérieur du pays. D'autre part, la
Russie est un pays important sur la
scène internationale et il est tout à
fait possible que D. Trump y voit plus
un concurrent qu'un allié, ce qui va
obliger la Russie a reconfigurer ses
relations avec les Etats Unis, hors des
recettes post-modernes actuellement
prônées. L'on revient alors à la
diplomatie la plus dure et, je dirais
presque, la plus pure.
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