Russie politics
Les JO de Rio ont sonné le réveil de la
Russie
Karine Bechet-Golovko
Equipe
russe de Handball
Lundi 22 août 2016
Les JO
de Rio sont (enfin) terminés. Et il
semble possible d'affirmer que depuis
1936, ils furent les pires de l'histoire
olympique, pour peu qu'ils aient le
moindre lien avec l'olympisme. Lors de
la guerre froide et du boycott, les
choses étaient claires. Ici, elles sont
simplement sales et minables. Les JO
sont en fait un excellent miroir de la
société dans laquelle nous vivons. Mais
dans cette guerre des nerfs et des
images, la Russie a marqué des points
tant à l'intérieur, qu'à l'extérieur.
Des
jeux à fort coefficient politique
Lorsque le perchiste français Renaud
Lavillenie, après avoir été sifflé
par le public, compare ces Jeux à ceux
de 36, il met le doigt sur un élément
facheux. Et oui, on ne peut qu'être
d'accord avec lui c'était vraiment "une
ambiance de merde". Mais pour
d'autres raisons. Parce qu'il
s'est agit de montrer par tous les
moyens la suprématie du "Monde
occidental démocratique
américano-centré" sur les autres pays,
notamment la Russie et la Chine.
Pour
la Chine c'est raté et pour la Russie il
a fallu toute la politisation de ces "commissions
indépendantes" pour pouvoir écarter
les athlètes les plus dangereux.
Pourtant, tout ne s'est pas passé si
facilement, il y a eu des résistances.
On rappellera le TAS qui a cassé de
nombreuses interdictions de
participation permettant aux sportifs
russes de participer au dernier moment,
dans des conditions psychologiques que
l'on peut imaginer. Ce n'est pas grave,
les médialles furent là et comme le
rappelle A.
Jukov, président du Comité olympique
russe, 107 des 280 sportifs russes
reviennent avec une médaille dans plus
de 20 types de sports.
Au jeu
des commissions, la justice se perd. La
commission McLaren avait annoncé un
système étatique de dopage, permettant
de justifier l'interdiction de
participation de la fédération russe
d'athlétisme ou de lutte et
l'établissement d'une responsabilité
collective allant de paire avec la fin
de la présomption d'innoncence. Ce fut
certainement une belle victoire pour
l'USAID qui avait lancé le mouvement.
Pourtant, dans le silence médiatique
total, une autre commission indépendante
auprès de l'AMA, présidé par
Richard Pound, avoue finalement que
l'état russe n'est absolument pas lié
aux problèmes de dopage:
La
commission de Richard Pound, qui avait
enquêté sur le scandale de dopage des
athlètes russes, a avoué que le
gouvernement russe ne s'était pas mêlé
des activités de la Fédération russe
d'athlétisme, a déclaré Craig Reedie, le
président de l'Agence mondiale
antidopage. (...) "Après avoir
examiné les résultats et le rapport de
M.Pound, je peux dire que la commission
n'a pas pu prouver que le gouvernement
s'y était mêlé", a avoué Craig Reedie
lors de la session du Comité
international olympique.
Et ces
jeux se déroulent dans "une ambiance
de merde". La nageuse russe Efimova
sifflée à son entrée et sur le podium
ses concurrentes américaines ne lui
serrent pas la main, plus tard lors de
la conférence de presse l'accusent de
dopage, et d'une manière générale dès
que cela est possible, les sportifs
perdant contre des russes invoquent très
- trop - souvent les soupçons de dopage.
Pourtant, des arbitrages
particulièrement étonnant permettent aux
Etats Unis de récupérer des médailles,
sans que les sportifs n'y voient rien à
redire, il s'agit des Etats Unis. On
oubliera pieusement la gymnaste
américaine qui chute sur la poutre mais
reçoit une note plus que correcte. L'on
oubliera aussi le 400 m relai féminin où
l'équipe américaine a eu le droit
exceptionnel de refaire toute seule
la course pour se qualifier et
finalement remporter l'or, qui n'a plus
grand chose d'olympique. Une aurait été
bousculée dans la zone de passage de
relai, elles font appel de la
disqualification pour avoir laissé
tomber le relai et quelques minutes
après reçoivent l'autorisation de
refaire la course, seules. La presse
française tait pour autant leur
déclaration postérieure reconnaissant
qu'elle avait simplement laissé tombé le
relai.
Le Monde libre doit gagner, sa race est
celle des vainqueurs. Des sportifs
propres. 36 n'est pas que l'année des
congés payés. C'est aussi celle
de l'affirmation d'une race supérieure,
d'une race de vainqueurs. Les athlètes
du "Monde libre" sont porteurs de
valeurs. Comme l'athlète (désolée,
encore une) américaine qui profite de
l'escrime pour faire la propagande du
hidjab. Et elle ne vient pas d'un pays
musulman pourtant ...
Mais il ne sert à rien d'être aigri, car
finalement, ces Jeux ne sont que la
prolongation des enjeux de société que
nous vivons au quotidien dans d'autres
domaines. Ils ne sont également que la
transfiguration du combat des modèles
qui opposent le monde américano-centré
et ses pays satellites européens au
monde russe.
L'impact idéologique des JO à l'échelle
internationale
Le
premier effet de cette politique de
confrontation lancée contre la Russie a
été de provoquer son réveil. Pourtant,
pendant de longues années après la chute
de l'Union soviétique et la mise à mal
du système sportif soviétique, la Russie
s'était gentiment endormie, laissait la
main dans les instances sportives
internationales, jouait selon des règles
qu'elle ne maîtrisait pas et qui
changeaient selon. Selon les exigences
du moment, exigences qui n'ont qu'un
lien très indirect avec le sport.
Or,
l'attaque toutes voiles dehors a fini
par engendrer une prise de conscience
que le monde sportif est un monde
politisé au même titre que les autres
secteurs des relations internationales,
le sport est donc un instrument de
domination, coercition, négociation, au
même titre que n'importe quel instrument
politique.
Si
l'attaque n'avait pas été frontale, il y
a peu de chance que la position russe
ait changée aussi rapidement.
Souvenez-vous de la gestion de la crise
du Meldonium, en douceur et en
coopération. Les instances russes
avaient même acceptées de mettre leur
système de contrôle antidopage sous
tutelle anglaise. Elles penseaient
sincèrement qu'il s'agissait de lutter
contre le dopage, ce qui allait dans
leur sens. Mais la situation a dérapé
avec le rapport McLaren et une prise de
conscience a eu lieu.
Sans
tout cela, jamais Isinbayeva ne se
serait présentée à la Commission des
athlètes, elle aurait été l'une des
athlètes de Rio. Or, elle a été élue.
Par les athlètes participant aux JO pour
défendre leurs droits. Elle a
obtenu 1365 voix et l'a remporté
parmi une vingtaine de prétendants:
Britta
Heidemann a été élue avec 1603 voix,
suivie de Seug-min Ryu avec 1544 voix,
de Daniel Gyurta avec 1469 voix et enfin
de Yelena Isinbayeva avec 1365 voix. Au
total, 5 185 athlètes ont voté.
Elle
déclare alors:
"Je serai certainement un membre très
actif de la Commission des athlètes du
CIO, puisque la situation, dans laquelle
je me suis trouvé aujourd'hui, est
injuste et je voudrais éviter cette
injustice à l'avenir et protéger surtout
nos athlètes contre elle. Aujourd'hui,
j'aurai une telle occasion et une telle
influence et donc je vais les utiliser
au maximum"
Suite
à cela, elle tient un
conférence de presse mettant les
points sur les i:
"Je
ne suis ni juge ni Dieu, c'est pourquoi
si le président de l'IAAF et les membres
estiment avoir agi en toute honnêteté,
qu'ils l'aient sur la conscience et que
Dieu les juge."
L'étape suivante fut l'intégration des
membres nouvellement élus au
CIO. L'on notera que 23 membres se
sont opposés à voir l'athlète russe à
leur côté. L'arrivée d'une personnalité
forte représentant la Russie va remettre
en cause le rapport des forces, scénario
qui ne sert pas les intérêts dominant
aujourd'hui du monde américano centré.
Maintenant, et d'une certaine manière
grâce à cette crise, la Russie a un
membre de poids, Isinbayeva, qui n'a
jamais été contrôlée positif, dont le
record n'a pas été battu aux JO de Rio,
et qui va pouvoir faire porter un autre
message d'une voix forte et claire. Au
sein de la fédération internationale
d'athlétisme (qui ne l'a pas félicitée
pour son élection) et du CIO.
La
réaction épidermique du journaliste
canadien
Mark Tewksbury montre toute la rage
de ce monde qui doit gagner car il
incarne le Bien, le pure:
Rappelons que justement Isinbayeva n'a
jamais été contrôlée positive dans toute
sa carrière, ce qui ne l'empêche pas
d'être le symbole du saut à la perche.
Il a donc enlevé ce tweet quelque temps
plus tard. Mais pas celui-ci:
I am
so sad. How can we clean up sport after
this? For sure it was rigged. Will be
presented as democratic.
https://twitter.com/CHBlanche/status/766485494238736386 …
L'impact idéologique des JO à l'échelle
interne russe
Le
personnage symbolique de la remise en
cause de cette douce langueur suicidaire
dans laquelle s'étiolait le sport russe
avec la chute du système étatique
sportif soviétique est la figure
tonitruante de l'entraîneur de l'équipe
féminine de Handball, l'incontournable
Evgueny Trefilov. Impossible de ne
pas remarquer cet imposant nounours
gesticulant, hurlant, bondissant,
à tel point qu'il a même réussi a
recevoir un carton jaune, pris avec
respect pour l'arbitre. Cet entraîneur
typique de l'époque soviétique, forte
personnalité, méthodes toutes aussi
fortes, le tout enrobé de paternalisme.
Il a ramené une médaille d'or.
Ses
citations sont à croquer. Juste pour
le plaisir, passons sur le "je ne
les engueulais pas, je demandais
simplement". Ca se voit.
Et
revenons sur la tactique: "La
tactique était simple: gagner. Arrêtez.
Je dois quoi, me mettre à genoux et
comme Socrate m'interroger sur la
tactique? Les gars, quelle tactique?
Gagner à n'importe quel prix".
Et
malgré plusieurs déclarations qui
feraient hurler les féministes
célibataires et fières de l'être, on
retiendra la jolie déclaration après la
victoire, pour le paternalisme:
"Je regarde autour de moi et je
comprends: mon équipe est la plus belle!
La plus, la plus, la plus. C'est pour
aujourd'hui. Et demain, au travail".
Forcément, E. Tréfilov n'a pas suivi de
séminaire de psychologie, quand l'équipe
est en perte de vitesse, il remet les
pendules à l'heure, imaginant une fois
aller se pendre dans les toilettes des
femmes en voyant son équipe prendre du
retard. Il le vit entièrement, de
l'intérieur, c'est une sorte de totalité
sur le terrain. Bien loin des méthodes
modernes. D'ailleurs, en 2012 il est
remplacé par un entraîneur aux méthodes
"modernes", qui échoue lamentablement et
E. Trefilov revient dès 2013 et remonte
l'équipe russe. Un article intéressant
dans le journal libéral
Kommersant montre le malaise de ce
clan face à une telle figure, surtout
après cette victoire et oppose
parfaitement deux types très différents:
le "moderne" avec psychologie, douceur,
bref le type des entraîneurs étrangers
et le "démodé" russe, mais qui remporte
ses médailles. Une remarque en passant
de E.
Tréfilov, sur ce qu'il ne nomme pas,
à savoir le bon sens:
"Vous voyez, ceux qui arrivent... les
nouveaux ... les nouveaux russes... ils
pensent que s'ils remplacent les
footclothes russes par des footclothes
dollars, alors les jambes vont
elles-mêmes se mettre à courir. C'est le
pire. Ils pensent que s'ils invitent un
étranger, il va se battre? Demandez aux
brésiliens qui va se battre pour eux?
C'est eux qui ont besoin de leur pays
natal. Les suédois de la Suède. Les
argentins de l'Argentine. Et de la
Russie, les russes, la Russie a besoin
d'un entraîneur russe. Et pourquoi
j'irais à l'étranger? Ils me mettraient
en prison avec mes méthodes de travail"
Après
l'échec flagrant du mondial, après les
scandales liés à la confrontation autour
des affaires de dopage, la Russie sort
changée. Renforcée, consciente et prête
non seulement à se défendre, mais à
attaquer. Ce changement d'attitude
s'inscrit dans le cadre d'un remaniement
politique intérieur beaucoup plus
profond qui tient compte des nouvelles
réalités.
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