Russie politics
Géopolitique du coronavirus :
le combat
contre la Russie reprend
Karine Bechet-Golovko

Samedi 18 avril 2020
L'OMS déclare
s'inquiéter pour la Russie ... alors
qu'elle est le pays le moins touché en
Occident. Etrange, cette inquiétude
sélective de l'OMS. La dimension
politique, voire géopolitique, de cette
crise soi-disant sanitaire n'est pas à
négliger. Alors que l'Occident prépare
la sortie et la relance de l'activité
des pays, la Russie, elle, devenue
l'objet de toutes les attentions, voit
cet horizon s'éloigner et, avec lui,
tous les acquis de ces dernières années.
Un signe de l'enjeu : la seule ligne
concernant la Russie dans les annonces
du New York Times concerne le report
sine die de la grande parade du 9
mai. La politique est faite de symboles,
ne l'oublions pas. Reste la question que
se posent tous ceux qui ne peuvent
rester indifférent au sort de la Russie,
tous ceux qui ne peuvent se réjouir de
voir ce qui se passe : pourquoi la
Russie semble-t-elle suivre à ce point
les consignes du monde global, même
contre son propre intérêt ? Un début de
réponse a été fourni par le président de
l'Académie des sciences de Russie, A.
Sergueev. Les universités sont fermées
(et la recherche fondamentale ne se fait
pas par Skype), l'Académie des sciences
a perdu son autonomie en 2013 et ne peut
donc participer à la recherche
fondamentale et la lutte contre le
coronavirus. L'information, aujourd'hui,
c'est le pouvoir. De quelle information
disposent les instances dirigeantes en
Russie, en dehors des données globales
diffusées par l'université américaine
Johns Hopkins et l'OMS ?
L'OMS, de manière assez étonnante,
déclare s'inquiéter de la situation en
Russie avec le coronavirus. Selon
cette organisation, alors que des
signaux positifs viennent de France,
d'Espagne ou d'Italie, en Turquie,
Grande-Bretagne, Ukraine, Biélorussie et
Russie la situation est inquiétante.
Une inquiétude politique ciblée.
Mais évidemment ce ne sont que des
concours de circonstances, il ne faut
pas avoir l'esprit mal tourné. Il vaut
même mieux ne pas avoir d'esprit de nos
jours.
La résistance de
Boris Jonhon et son changement de ton
après un court séjour à l'hôpital
surcommuniqué (il va mourir / je vais
bien), qui ensuite l'a fait plier,
maintenant le pays ne sait quand il en
sortira, surtout qu'il ne veut pas
repousser le Brexit pour cause de virus.
La Turquie, l'enfant terrible de l'OTAN,
qui pourtant met sa population quelques
jours de suite dans un enfermement total
- sans aucun droit à mettre le nez
dehors (donc ces mesures d'assignation à
domicile ne servent à rien?). La
Biélorussie qui ne joue pas le jeu,
comme la Suède, mais la Suède n'inquiète
pas l'OMS, elle est démocratique.
L'Ukraine, toujours prête à faire ce
qu'on lui demande, qui a même
immédiatement arrêté le métro - ce qui
montre bien que toutes ces mesures ne
servent à rien, en tout cas sur le plan
sanitaire. Et la Russie, l'enfant chéri
de la haine internationale, qui revient
au coeur du débat.
Pourtant, les
chiffres de la Russie, comparé à ceux
des autres pays, sont extrêmement bas,
l'on est très loin d'une situation
extraordinaire justifiant tant de
mesures et de bruit. Près de 28 000
personnes touchées en Russie et 232
morts depuis le début de la crise.
Rappelons qu'avant le coronavirus,
selon les statistiques officielles,
environ 5 000 personnes meurent par jour
en Russie. Donc, difficile de
trouver les fondements objectifs d'une
telle inquiétude.
Il est vrai que la
dynamique des chiffres a augmenté ces
derniers jours. Mais en pandémie
comme en politique, ce qui est
important, ce n'est pas tant comment
l'on vote, mais comment l'on compte.
Et à ce sujet, il semblerait que la
Russie ait décidé de faire du chiffre.
Tout d'abord, le
ministère de la santé de la
Fédération de Russie déclare ce mercredi
15 avril, ce qui est raisonnable pour
éviter la propagation des fausses
informations, qu'ils auront le monopole
du chiffre. En revanche, très
étrangement, ce ministère a décidé de
regrouper et le coronavirus et la
pneumonie dans une seule base de données
des malades du Covid-2019.
Ensuite, hier, le
16 avril, alors que
Moscou est la ville la plus touchée
dans le pays, le centre de surveillance
et de réaction au coronavirus a déclaré
que désormais, n'importe quel rhume
ou maladie bénigne des voies
respiratoires sera immédiatement compté
comme un coronavirus potentiel. Les
personnes touchées, comme celles
atteintes du coronavirus, ne pourront
plus sortir de chez elles pour deux
semaines ... même pour aller à la
pharmacie.
Avec cela les
chiffres ne vont pas manquer
d'augmenter. Mais quel est l'intérêt?
Si la Russie a mis au point des tests,
efficaces, en grande quantité, à quoi
bon jouer ce jeu ? Pourquoi gonfler les
statistiques ? S'il y a un problème, qui
n'a rien d'exceptionnel, mais qui
existe, il faut le traiter. Mais à quoi
sert tout cela ? Les hôpitaux se
trouvent surchargés pour rien, les gens
mis en situation de stress pour rien,
l'économie est mise en danger, la
procession de Pâques annulée et les
églises fermées dans un pays très
croyant, la parade du 9 mai reportée
sine die (ce qui est d'ailleurs le seul
angle sous lequel le New York Times
parle de la crise en Russie dans le
briefing d'aujourd'hui). Pourquoi
prendre le risque de provoquer une crise
sociale en plus d'une crise économique,
d'affaiblir l'Etat, de remettre en cause
la confiance de la population, alors que
depuis les années 2000 le pays se
renforçait à vue d'oeil?
C'est d'autant plus
étonnant que les tensions
internationales n'ont pas pris fin pour
cause de coronavirus. L'activité de
la Russie à l'international, apportant
une aide aux pays en difficulté face à
la crise du coronavirus, ne fait pas
d'elle, automatiquement, un acteur
accepté dans le jeu. Son activité à
l'international renforce la concurrence
et donc, logiquement, le combat.
Cette opposition montante dans le cas du
coronavirus est exactement la même que
celle que l'on a pu observer au sujet de
la lutte contre le terrorisme :
l'intervention de la Russie en Syrie
aurait dû réjouir la coalition
américaine, car une aide sérieuse lui
était apportée. Or, il semble que la
réduction du risque terroriste n'entrait
pas forcément dans les objectifs de
cette coalition, qui apprécie
particulièrement certains "terroristes
modérés" contre Assad. N'est-ce pas le
même jeu avec le coronavirus ?
Ainsi, l'on peut
voir un "évènement" organisé par le
Centre Carnegie mettant bien la
Russie dans le rôle de l'ennemi, de cet
ennemi éternel, qui le
restera toujours. En tout cas, tant que
le pays existera comme entité
souveraine.

Par ailleurs,
l'Organisation internationale du
travail a positivement apprécié les
annonces faites par le Président Poutine
hier de soutien aux entreprises (voir
notre texte d'hier). Mais de manière
très étrange, il insiste sur
l'importance pour la Russie de soutenir
... le tourisme et l'hôtellerie.
Faut-il comprendre qu'après avoir réduit
à néant l'économie réelle en Russie
grâce à la crise politico-sanitaire du
coronavirus, la Russie pourra
(enfin?) être transformée en gigantesque
Disney Land, où les touristes des pays
développés pourront venir se détendre
- d'où l'importance de
l'hôtellerie, il faut bien les
accueillir dans des conditions
acceptables.
La question qui
revient sur toutes les lèvres des
personnes qui ne sont pas indifférentes
au sort de la Russie, qui ne se
réjouissent pas de l'affaiblissement de
l'Etat et de la montée du mécontentement
social, qui ne comprennent pas la
logique de ce qui se passe aujourd'hui
dans le pays, est pourquoi de telles
décisions sont prises par les autorités
russes dans cette crise ? Pourquoi la
Russie semble-t-elle suivre aveuglément
les consignes des organismes
internationaux?
Sans prétendre
répondre de manière exhaustive, une
piste semble s'ouvrir après les
déclarations du président de l'Académie
des sciences de Russie. N'oublions
pas que l'information, c'est le pouvoir.
En fonction de l'information dont les
dirigeants disposent, ils vont prendre
leurs décisions. Or, la Russie
semble coupée des sources scientifiques,
objectives, d'information, ce qui peut
être fatal dans une crise dite
sanitaire. Les universités sont
fermées, donc, aucun travail sérieux de
recherche peut être effectué. Tout est
concentré entre les mains de l'institut
de virologie
Vektor qui, si à l'époque soviétique
était dirigé par un académicien et
réalisait un travail scientifique, il a
été depuis les années 90 petit à petit
coupé pour être rattaché depuis juin
2019 au service fédéral de défense
des droits des consommateurs. Et
l'Académie des sciences est absente, car
suite à la réforme de 2013, elle a perdu
son indépendance et après de nombreuses
péripéties, a été rattachée au ministère
de la recherche. Selon les paroles du
président de l'Académie des sciences de
Russie, Alexandre Sergueev:
"En raison de la
perte de contrôle sur l'ensemble des
instituts de l'Académie des sciences
suite à la réforme de 2013, l'Académie
des sciences ne peut pas de sa propre
initiative s'occuper des aspects
scientifiques et participer au combat
contre le coronavirus"
Autrement dit,
comme personne ne s'est adressé à elle,
elle ne peut plus que regarder le
désastre. La question est vraiment
de savoir de quelles informations
objectives dispose la Russie ? Si elle
ne dispose que de la vérité globale
fournie par l'université américaine
Johns Hopkins et l'OMS, cela
expliquerait beaucoup de choses ...
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