La Russie acte politiquement sa
victoire militaire en Syrie
Karine Bechet-Golovko
Mardi 12 décembre 2017
Le problème des
guerres contemporaines est qu'elles ne
sont pas menées, directement du moins,
entre des Etats. Il n'est donc pas
possible d'acter une victoire, une fin
de conflit, par un acte de reddition,
instituant les vainqueurs et les
vaincus. Pour devenir une victoire
pleine et entière, la victoire militaire
doit se transformer en victoire
politique. C'est ce que la Russie est en
train de faire en Syrie, avec l'arrivée
surprise du président Poutine sur la
base militaire de Hmeimim hier 11
décembre.
Dans l'ensemble, le
territoire syrien est libéré de l'Etat
islamique. Cela ne veut pas dire que les
terroristes n'existent plus, mais leur
organisation a été détruite. C'est ce
qu'a annoncé le
ministère russe de la défense jeudi:
"La mission de
l’armée russe de défaire le groupe
terroriste armé État islamique est
accomplie" s’est félicité l’état-major
de Moscou, affirmant que plus aucun
point d’importance n’était sous contrôle
de l’organisation terroriste.
Cette annonce a
fait bondir la coalition américaine,
l'atteinte à l'amour-propre fut
terrible. D'autant plus terrible que
l'annonce est fondée. Le Pentagone ouvre
le bal des hypocrites bafoués, avec la
déclaration de son porte-parole Eric
Pahon:
«Le
gouvernement syrien et la Russie n'ont
pas eu d'approche déterminante dans la
défaite de Daech. Ils n'ont fait que
réaliser quelques opérations contre les
terroristes de Daech, alors que la
plupart des territoires en Irak et en
Syrie ont été libérés grâce aux efforts
de la coalition américaine et de ses
alliés»
Cette déclaration
fut soutenue, qui aurait pu en douter,
par notre cher et vénérable M. Le
Drian :
"Je trouve parfois
un peu étonnant que la Russie
s'approprie la victoire contre Daech
(acronyme arabe de l'EI) (...), même si
un peu tardivement les forces russes, en
appui des forces du régime de Bachar al-Assad,
ont pu libérer Deir
Ezzor" (est de la Syrie), a relevé
le chef de la diplomatie française et
ancien ministre de la Défense.
Sur un point, Le
Drian a raison ... malgré lui.
L'intervention de la Russie a été
déterminante pour mettre un terme à
l'existence de l'organisation terroriste
Daesh en Syrie. Car ce n'est pas avec
ses 2 579 frappes lors de la première
année de son intervention en
Syrie que la coalition américaine,
regroupant une trentaine de pays, allait
pouvoir renverser l'ordre des choses. Au
contraire, avec leur programme de
soutien militaire aux groupes
terroristes "modérés" d'opposition et
les frappes ciblées sur l'armée
régulière syrienne, la coalition US a
directement ou indirectement aidé les
terroristes qui en ont largement
profité. Pour sa part, l'intensité de
l'intervention russe n'est en rien
comparable.
Depuis septembre 2015, la date à
laquelle elle a accepté la demande d'Assad
de venir aider l'armée régulière contre
le terrorisme, l'aviation a effectué
plus de 28 000 vols, parfois avec 80-100
sorties par jour, et a détruit plus de
90 000 cibles identifiées par le
renseignement. Les villes de Palmyre et
d'Alep furent, notamment, libérées et
non détruites, comme le fut Rakka par la
coalition US, qui n'a laissé que des
ruines sur son passage.
La Russie n'est
pas intervenue à la fin de la guerre,
elle a fini la guerre. La nuance est
de taille.
Comme a répondu la
porte-parole du ministère des Affaires
étrangères russe, M.
Zakharova, remettant les choses à
leur place:
«Les
partenaires occidentaux font ces
derniers jours des déclarations
affirmant que ce n'est pas la Russie,
mais eux, la coalition [internationale
dirigée par les États-Unis, ndlr] qui
ont remporté la victoire sur Daech en
Syrie. La dernière affirmation en date
est celle du ministre français des
Affaires étrangères, M. Le Drian, a
écrit Maria Zakharova sur sa page
Facebook. Messieurs, arrêtez! Vos
succès, ce sont l'Irak, la Libye et
l'Afghanistan. Vantez-vous-en.»
Dans ce monde ayant
poussé le relativisme au niveau de
l'art, il est difficile d'acter une
victoire militaire. Nous ne sommes pas
en présence d'Etats, qui peuvent signer
un traité permettant de poser les
vainqueurs d'un côté, les vaincus de
l'autre. Toute victoire militaire
pour devenir une victoire pleine et
entière doit être réalisée sur le plan
politique. Cela est d'autant
plus important pour la Russie, vu le
contexte géopolitique.
C'est en ce sens
que l'arrivée de Vladimir Poutine sur la
base militaire russe de Hmeimim en
Syrie, avec le président Assad
remerciant la Russie pour avoir sauvé le
pays, permet d'acter la victoire. Les
conséquences en sont tirées, la Russie
retire une grande partie de ses troupes
le travail est fait.
Cela sans compter
ce qui est peut être encore plus
significatif, et c'est certainement la
raison pour laquelle la presse française
n'en parle pas, à savoir l'organisation
d'une Parade de la victoire avec
les troupes russes et syriennes, devant
les deux présidents:
Evidemment, le très
objectif journal Le Monde manque de
s'étrangler, comprenant bien le danger
pour la coalition américaine:
Les Etats Unis et
l'Europe se trouvent dans l'impasse en
déclarant rester en Syrie, pays libéré
et souverain, qui ne les a pas appelés,
pour continuer un combat incertain dans
la région. Leur campagne militaire ne
leur permet objectivement pas de
proclamer une victoire, mais
politiquement ils ne peuvent reconnaître
une défaite. Le monde réel rattrape le
monde virtuel. Il est certes possible
d'avancer "une vérité reconstruite" pour
satisfaire un besoin de communication à
court terme, mais une vision stratégique
oblige à s'appuyer sur des faits avérés
et non reconstruits. C'est le très grand
avantage de la Russie dans la région:
elle s'appuie sur ses exploits
militaires réels. Et reconnus.
« Il est
intéressant de constater que
ces résultats ont été obtenus avec des
ressources assez limitées. Elles
représentent, par les forces engagées
(4 000 à 5 000 hommes et 50 à 70
aéronefs comme force principale) et leur
coût d’emploi (environ
3 millions d’euros par jour) environ le
quart ou le cinquième de l’effort
américain dans la région. L’opération
française au Levant, « Chammal » (1 200
hommes et environ 15 aéronefs, un
million d’euros par jour), représente
une moyenne de 6 sorties aériennes par
jour, pour 33 pour les Russes.
« Au regard des
résultats obtenus, il est incontestable
que les Russes ont une productivité
opérationnelle (le rapport entre les
moyens engagés et leurs effets
stratégique) très supérieure à celle des
Américains ou des Français.
Maintenant, il faut
construire le processus de paix et ici
aussi, la Russie est en position de
force face à l'échec répété du processus
soutenu par les Etats-Unis à Genève (voir
notre texte ici). Pour cela, un
compromis doit être trouvé avec la
Turquie et l'Iran. A suivre.
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