Russie politics
Poutine: la Russie ne négocie pas son
territoire
Karine Bechet-Golovko
Lundi 12 septembre 2016
A chaque rencontre entre V. Poutine et
le Premier ministre japonais Shinzo Abe
sur la coopération économique entre la
Russie et le Japon, ressort la question
des îles Kouriles que l'URSS a reçu
suite aux accords conclus à la fin de la
Deuxième guerre mondiale. Alors que le
Président affirme que le Japon a déjà
refusé une fois la restitution de deux
des îles, la question étant close et
juridiquement et historiquement, les
médias relancent l'idée d'une
restitution au Japon.
L'acharnement avec lequel les
journalistes russes relancent
régulièrement la question de la
restitution des îles Kouriles au Japon
laisse songeur. Politiquement, un tel
acte est impensable. N'importe quel
dirigeant russe qui consentirait à
parapher un tel acte serait
immédiatement considéré par la majorité
de la population comme traitre à la
Patrie.
Il est
vrai, cependant, que l'histoire des îles
Kouriles est
mouvementée, politiquement. Car le
Japon, après le renforcement de la Chine
communiste est devenu un axe de la lutte
contre la propagation de l'influence
chinoise et soviétique (puis russe) dans
le Pacifique. Et ces îles Kouriles
furents dès les années 60 utilisées par
le Japon, sous pression américaine,
comme une pointe dirigée contre la
Russie permettant de bloquer tout
rapprochement réel avec le Japon. Alors
ressortir aujourd'hui le spectre des
îles Kouriles, en période électorale, en
pleine période de lutte des Etats Unis
pour préserver "leur" monde
américano-centré légitimé par les
attentats du 11 septembre, est loin
d'être innocent.
Les
traités de capitulation signés par les
parties perdantes lors d'un conflit sont
toujours désavantageux pour ces parties.
Elles paient le prix de leur défaite.
Ainsi, lors de la Conférence de Yalta,
il a été établi que les revendications
de l'URSS concernant les îles Kouriles
et Sakhaline du sud seraient satisfaites
dès la capitulation du Japon. Mais
ensuite, les Etats Unis, en 1956,
affirmèrent que les accords de Yalta
n'étaient que l'expression d'une volonté
indéterminée qui ne contituaient pas un
traité international. Et n'avaient donc
aucune force contraignante. Avant cela,
les Etats Unis commencent leur jeu du
Japon contre l'URSS.
Il est
vrai que, avec l'utilisation de la bombe
atomique, les Etats Unis se permettent
"d'oublier" les promesses de Yalta. Et
dans l'acte de capitulation du Japon que
le Président Truman envoie à Staline, il
n'est pas question de la capitulation
des troupes japonaises devant l'armée
soviétique. Suite à quoi, les forces
d'occupation américaines signalaient à
Staline leur volonté d'utiliser ces îles
pour y mettre leur bases. Staline a
fortement réagi et bloqué le processus.
Finalement, le gouverneur militaire du
japon, Douglas McArthur a dû remettre à
l'Empereur japonais pour signature le 29
janvier 1946 un mémorandum faisant le
détail des îles situées au nord de
Hokkaido sur lesquelles le Japon perdait
sa souveraineté, notamment l'archipel
Habomai, Chikotai etc.
Lors
de la Conférence de San Francisco qui
s'ouvre le 1er septembre 1951, les
termes de la paix avec le Japon sont
négociés. Finalement, le 8 septembre,
après de dures négociations, le Japon
renonce à sa souveraineté sur les
Kouriles et Sakhalines, mais n'énumère
pas les îles qui composent ces
archipels. Sous pression des Etats Unis,
il n'était pas indiqué non plus que ces
îles entraient dans la souveraineté
soviétique, ce qui découlait du
Mémorandum de 1946. L'URSS a refusé de
signer le traité en ces termes.
Pendant les années qui suivirent, le
Japon n'eut toutefois aucune
revendications territoriales. Alors que
le sentiment anti-américain suite à
l'occupation du territoire augmente et
que les autorités japonaises demandent
aux Etats Unis, avec la fin officielle
de l'occupation en 1952, de rendre les
îles occupées, notamment Okinawa. Ce qui
n'entre pas du tout dans le jeu
américain dans la région, surtout avec
le renforcement de la guerre froide.
En
1956, Khroutchev décide de faire un pas
vers le Japon pour permettre la
signature d'un traité de paix. Il
propose en échange d'une normalisation
des relations humanitaires et
économiques, de restituer deux îles au
Japon, Chikotan et Habomai, après la
signature du traité de paix et la
restitution par les Etats Unis des îles
au Japon, notamment Okinawa. Dans un
premier temps, l'accord est signé de
part et d'autre, mais sous pression des
Etats Unis, le Japon refuse les deux
îles et affirme vouloir récupérer les 4
îles et signe un nouvel accord militaire
avec les Etats Unis.
Depuis, la conclusion de ce mythique
traité de paix entre le Japon et la
Russie bloque toujours sur la question
des frontières. Même si formellement la
question est réglée.
A ce
sujet, lors de la
conférence de presse suite au G20
qui vient de se tenir en Chine, le
Président V. Poutine a été très clair:
oui, il faut continuer à rétablir des
relations normalisées avec le Japon,
mais la Russie ne négocie pas son
territoire, rappelant par là même qu'il
serait très dangereux de revenir sur les
accords conclus à la fin de la Deuxième
guerre mondiale. L'on pourrait
rediscuter du territoire allemand,
ukrainien, polonais etc. Ce serait
réouvrir la boîte de Pandore.
Les
journalistes utilisent en tout cas le
"bon" moment pour faire courir les
bruits d'une négociation des Kouriles
contre d'hypothétiques investissements
japonais en Russie, en matière médicale,
de transport, d'écologie et autre
gazoduc, dont on a vu la fiabilité dès
que le projet touche à des intérêts
"protégés". N'oublions pas que le Japon
n'est plus depuis la Seconde guerre
mondiale, un pays souverain. Il n'est
certes plus officiellement sous régime
d'occupation, ce qui n'est fait pas pour
autant un acteur autonome que la scène
internationale.
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