Russie politics
La Russie, les Etats-Unis et
les attaques de drones en Syrie
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 10 janvier 2018
Les Etats-Unis ne peuvent se permettre
une victoire russe en Syrie, sans que
l'atteinte portée à leur image ne soit
longue et onéreuse à faire oublier,
surtout dans un monde où l'image est
fondamentale. C'est dans cette optique
que l'on peut lire l'attaque de drones
chargés d'explosifs contre les bases
russes de Hmeimim et Tartous, dont le
ministère de la Défense révèle
indirectement l'implication des
Etats-Unis.
Dans la nuit du 6 au 7 janvier,
c'est-à-dire dans la nuit du Noel
orthodoxe, date hautement symbolique,
une
attaque massive de drones chargés
d'explosifs a été lancée sur les bases
russes de Hmeimim et de Tartous, 10
contre la première et 3 contre la
seconde, sans dégâts:
Des unités russes
de la guerre électronique ont pris le
contrôle de six drones. Elles ont fait
atterrir trois d’entre eux sur le
territoire contrôlé par les forces
militaires russes, tandis que trois
autres se sont écrasés. Sept autres
drones ont été détruits par des systèmes
portatifs de défense aérienne russe
Pantsir-C.
Ces drones ont été
lancés depuis la région de "désescalade"
d'Idlib,
dans une région tenue par l'opposition
modérée. Le
ministère de la Défense russe relève
plusieurs coïncidences surprenantes,
pour cette première attaque massive de
drones par les terroristes:
Le ministère russe
de la Défense relève notamment la
présence d'un avion de reconnaissance
américain de type Poseidon dans le
secteur et met en avant le fait que les
compétences techniques nécessaire pour
mener une telle attaque ne peuvent être
dispensées que dans certains pays. «Rien
que pour programmer les contrôleurs de
gestion de drones […] et le largage des
munitions par le système GPS, il est
nécessaire d’avoir des savoirs acquis
dans une bonne école d'ingénieurs d’un
pays développé», a souligné la Défense
russe. Et d'ajouter : «Tout le monde
n'est pas capable d'obtenir des
coordonnées GPS exactes.»
Il est intéressant
de noter que cet avion américain a
survolé les deux bases au moment des
attaques de drones. Il les guidait ou
bien il recueillait des informations
lors de l'opération ?
Par ailleurs, le
ministère de la Défense a laissé
sous-entendre que les drones avaient été
fournis aux "terroristes modérés" par
des pays possédant cette technologie,
puisqu'il y a encore peu, les
terroristes ne possédaient pas ces
armes. Cette déclaration n'a pas manqué
de faire réagir le porte-parole du
Pentagone, alors que les Etats-Unis
n'avaient pas été directement visés:
The Pentagon denied
any involvement. “Any suggestion that US
or coalition forces played a role in an
attack on a Russian base is without any
basis in fact and is utterly
irresponsible,” said Marine Maj Adrian
Rankine-Galloway, a Pentagon spokesman.
Ainsi, non
seulement les Etats-Unis n'y sont pour
rien, mais ces appareils peuvent
facilement librement être achetés, comme
l'indique toujours le porte-parole du
Pentagone:
Responding to an
inquiry by Russia's official RIA Novosti outlet,
Pentagon spokesman Major Adrian Rankin-Galloway
said Monday the drones used in the
attack were readily available on the
market and had previously been witnessed
in the hands of ISIS fighters.
Le
ministère russe de la Défense a
répondu, assez calmement, rappelant que
les Etats-Unis n'avaient pas été
nominativement visés ... En revanche, le
ministère serait intéressé à savoir dans
quels marchés libres et ouverts il est
légal d'acquérir ces technologies, où
les services spéciaux mettent-ils en
vente les données obtenues par le
renseignement satellite (notamment en ce
qui concerne l'établissement des
cartes). Cela oblige à reconsidérer le
vol à 7 000 m d'altitude de l'avion
militaire américain Poséidon dans la
région pendant plus de 4 heures, lors
des attaques des bases de Hmeimim et
Tartous.
Selon les politologues, deux analyses
sont possibles, qui par ailleurs ne
s'excluent pas.
Franz
Klintsevitch, vice-président du
comité du Conseil de la Fédération de la
défense, estime que les Etats-Unis ont
ouvert la boîte de Pandore en livrant
cette technologie aux terroristes. Les
déclarations du Pentagone affirmant que
cette technologie est en libre-accès
sont du bluff destiné aux
non-spécialistes. Lors de l'émission
60 minutes du 9 janvier, il a
précisé le but possible de cette
opération, à savoir la vérification des
systèmes de défense russes dans la
région. Il a également rappelé que,
lors de l'attaque par la Géorgie de
l'Ossétie du Sud obligeant la Russie à
intervenir, toute l'opération était sous
haute surveillance étrangère. Le but,
révélé par la présence de l'avion
militaire américain se tenant à distance
pendant tout le temps des attaques, fut
de récupérer un maximum d'informations
concernant les mécanismes de défense
aérienne.
L'autre but, qui
n'exclut en rien le premier, est de
discréditer les déclarations du
président russe V. Poutine déclarant la
victoire syrienne et russe sur Daesh en
Syrie. Ces déclarations ont été
interprétées par certains comme la
victoire sur le terrorisme, ce qui n'est
pas le cas. Ainsi, la Russie a souvent
depuis révélé l'activité des Etats-Unis
dans la région et leur "collaboration"
avec de nouvelles - ou anciennes -
forces "rebelles". Celles-ci furent
réactivées afin de montrer que le combat
n'est pas terminé. Et si le combat
n'est pas terminé, cela signifie que la
Russie n'a pas remporté de victoire en
Syrie. C'est le point le plus
important. La campagne de presse
anglo-saxonne suite à ces attaques le
montre clairement. Par exemple le très
symbolique
Washington Post se demande si la
déclaration de victoire n'était pas ...
prématurée disons. Son article commence
ainsi, en se demandant d'où peuvent bien
venir ces drones, un véritable mystère
... :
A series of
mysterious attacks against the main
Russian military base in Syria,
including one conducted by a swarm of
armed miniature drones, has exposed
Russia’s continued vulnerability in the
country despite recent claims of victory
by President Vladimir Putin.The attacks have
also spurred a flurry of questions over
who may be responsible for what amounts
to the biggest military challenge yet to
Russia’s role in Syria, just when Moscow
is seeking to wind its presence down.
Au-delà de la
mise en scène médiatique un peu lourde,
il est évident que la disparition de
Daesh n'entraîne pas la fin du
terrorisme. Il semble également presque
certain que la disparition de cette
forme de terrorisme sera possible
uniquement lorsque les intérêts dans la
région seront définitivement acquis. Le
terrorisme est bien devenu une arme, une
arme permettant aux Etats dits
"civilisés" de faire le sale travail
sans (trop) de pertes de réputation,
puisqu'il est toujours possible de
condamner ces actes, de faire semblant
de les combattre, d'allumer et
d'éteindre la Tour Effeil, d'être
Charlie-Londres-Nice, de poser des
fleurs, de pleurnicher en procession le
dimanche après-midi, de continuer à
vivre comme si de rien n'était puisqu'il
s'agirait d'une forme suprême de
résistance et, surtout, de laisser nos
gouvernements continuer leur mascarade
droit-de-l'hommiste.
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