Russie politics
Pourquoi la France ne lèvera pas les
sanctions
contre la Russie
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 9 mars 2016
Lors de la séance de questions au
Gouvernement de ce 8 mars, Thierry
Mariani, député des français de
l'étranger, a demandé au Gouvernement
français de défendre les intérêts
nationaux devant les structures de l'UE
et de voter contre la prolongation des
sanctions européennes contre la Russie,
l'exécution des accords de Minsk ne
dépendant pas d'elle. La réponse fut
simplement affligeante, creuse, à
l'image de la diplomatie de notre pays
aujourd'hui.
Le député T.
Mariani relance le débat sur les
sanctions adoptées par l'UE contre la
Russie, défendant ainsi les intérêts des
entrepreneurs français. Voir sur son
site
la question et la réponse. Le
positionnement est clair: les sanctions
adoptées contre la Russie ont des effets
désastreux sur l'économie française,
surtout sur l'agriculture et leur
maintien n'a aucun sens: la violation
des accords de Minsk n'est pas du fait
de la Russie, mais de l'Ukraine qui
n'adopte pas les réformes
constitutionnelles nécessaires pour
garantir une pacification des relations
sur son territoire. Ce que le ministre
des affaires étrangères allemand a
rappelé à Kiev, lors de son récent
séjour.
La question restant
encore de savoir jusqu'à quand ces
sanctions devront restées en vigueur,
car l'instabilité politique dans
laquelle tombe l'Ukraine (voir notre
article
ici) ne va pas s'arranger: le
gouvernement n'a plus de majorité
parlementaire pour gouverner, des
élections générales se profilent et le
système est destabilisé par une
corruption endémique bloquant même
l'aide du FMI. Quelle est la
responsabilité de la Russie ici aussi?
La réponse
gouvernementale est simplement
ahurissante d'inconsistance. En
substance, non la France ne votera pas
contre la prolongation des sanctions
européennes, mais elle travaille
activement avec la Russie à "la
diplomatie des terroirs" (c'est beau
et l'efficacité était flagrante au salon
de l'agriculture) et à "obtenir un
travail avec la Russie" (ça veut
dire quoi???) ainsi qu'à l'obtention de
"débouchées alternatives pour nos
agriculteurs" (même si de nouveaux
importareurs occupent maintenant le
marché russe).
Tout cela, par
ailleurs, contrevient à ce que le
secrétaire d'état au commerce extérieur
affirme en début d'intervention, une ou
deux minutes plus tôt (il a dû oublier),
en disant que la baisse du volume des
relations commerciales avec la Russie
est en quelque sorte naturelle, car elle
est liée non pas aux sanctions
européennes et aux contre-sanctions
russes, mais à la baisse de la demande
intérieure russe suite à la chute du
marché des hydrocarbures et du cours du
rouble.
Si tel est le cas,
pourquoi alors aller négocier? Et pas un
mot sur la diversification du marché
russe, sur le renforcement de la
production intérieure? Etrange ...
Et pour cause. Car
si le secrétaire d'état évoque les
visites des ministres de l'économie et
de l'agriculture, il est
particulièrement discret sur la réaction
de la partie russe.
Pourquoi donc les
ministres en visite n'arrêtent
d'invoquer la suspension des sanctions
européennes à l'égard de la Russie pour
l'été? C'est justement parce que ces
sanctions font mal. Et surtout à
trois pays en Europe: à l'Allemagne qui
a déjà perdu 29,9 milliards d'euros et
500 000 emplois, à l'Italie avec une
perte de 16,3 milliards d'euros et 300
000 emplois et à la France à hauteur de
11,1 milliards d'euros et 162 000
emplois.
C'est
peut-être pour cette raison que le
ministre de l'agriculture,
Stéphane Le Foll, a fait, lors de sa
visite à Moscou, des déclarations
surprenantes - et dégradantes pour le
pays qu'il représente. En substance:
la France ne peut lever les sanctions
contre la Russie, elle n'en a pas le
pouvoir, c'est de la compétence de l'UE,
nous n'y pouvons rien, même si je suis
contre, même si le Gouvernement est
contre et le Président aussi, nous ne
pouvons rien faire, mais la Russie,
elle, elle peut lever les sanctions
contre la France.
Juste
comme ça. Pour être gentille. En
remerciement de la politique équilibrée,
certainement, menée par la France. Pour
les Mistrals. Pour le soutien apporté
par le Gouvernement français dans les
stractures européennes, ou encore mieux
à l'ONU. Bref, pour le bon sens dont
fait preuve la France à l'international.
La
Russie, quelque peu surprise, a
gentillement, oui vraiment très
gentillement, répondu que les
"contre-sanctions", qui ont été prises
après la deuxième vague de sanctions
européennes, seront levées
immédiatement. Immédiatement après que
les pays européens lèvent les sanctions
prises contre la Russie.
M. Le
Foll est-il conscient qu'il affiche à la
face du monde l'image d'un pays qui
affirme avoir perdu sa souveraineté,
pleurniche quelques arrangements, comme
on donne les restes d'un repas aux
serviteurs. Est-ce cela la diplomatie
française consciente de son rôle et de
sa grandeur, à laquelle faisait appel le
secrétaire d'état en réponse à la
question de M. Mariani? Elle flotte dans
le rôle.
Et
pour être réaliste, les sanctions ne
seront pas levées cet été. Même si la
population française les demande, même
si les entrepreneurs n'en peuvent plus,
les agriculteurs sifflent un Président
qui a du mal à mettre un pied dehors,
même si la classe politique - de droite
- l'exige, même si les députés montent
au créneau. Même si F.
Fillion affirme avec raison à qui
veut l'entendre que c'est une erreur.
Les
sanctions continueront car les Etats
Unis en ont besoin dans leur combat
d'influence contre la Russie. Non
seulement la représentante américaine à
l'ONU affirment qu'elles doivent être
liées à la Crimée, or la Crimée ne
redeviendra jamais ukrainienne car la
population ne le veut pas, mais J.
Kerry affirme encore que la Russie
viole les accords de Minsk en condamnant
Savtchenko pour avoir tuer des civils,
notamment russes, dans son action dans
les rangs du bataillon punitif ukrainien
Aïdar (voir notre article
ici). Des
députés du Parlement européen
demandent même de prendre des sanctions
contre ... le Président russe.
L'absurdité n'a plus de limites.
Il est
évident que les sanctions ne seront pas
levées. En tout cas, pas par ce
Gouvernement. Les prochaines élections
donneront la possibilité de changer de
majorité, mais les nouveaux
représentants du peuple auront-ils le
courage de rendre au pays sa
souveraineté? Car l'enjeu pour la France
est ici.
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