Russie politics
Europe: vers la fin officielle de la
liberté de la presse?
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 6 juin 2018
L'on a tous entendu parler du 4e
pouvoir, celui des médias. A bien y
réfléchir, il s'agit d'un abus de
langage, car l'existence d'un pouvoir
suppose un minimum d'autonomie. Or, le
phénomène de concentration des médias
que l'on observe en
France dépasse largement nos
frontières et se révèle être un
phénomène global, relevant de la
collusion entre le business et le
politique. Plus qu'un "pouvoir", les
médias, sous leurs différentes formes,
sont devenus un instrument du pouvoir.
Ce qui est institutionnalisé en
Grande-Bretagne avec le reporting
restriction, ce que tente d'affirmer
en France F. Nyssen avec une maladresse
salvatrice. En Grande-Bretagne,
les juges ont le droit, en application
du
reporting restriction,
d'imposer un silence médiatique
total, aux journalistes, aux
bloguers, sur les médias traditionnels,
dans les réseaux sociaux, sur les blogs,
concernant des affaires concrètes
pour éviter un risque ou un préjudice
substantiel à l'exercice de la justice
pour le temps que le juge décide
lui-même être nécessaire.
Les critères sont
spécialement très larges et laissés à
l'appréciation du magistrat qui impose
un block out total sur certaines
affaires, sous peine d'incarcération
immédiate pour ceux qui enfreindraient
ces restrictions. C'est ce qui s'est
passé avec Tommy
Robinson, qui s'est placé devant
l'entrée du tribunal au moment où une
affaire de viols commis par une
communauté indo-pakistanaise était
exéminée par la justice dans un silence
médiatique total. Il filmait et
interviewait les gens qui entraient dans
le tribunal et diffusait ces
informations sur Facebook. Ce n'est pas
un journaliste, mais un simple citoyen,
un activiste, mais un citoyen.
Immédiatement qualifié d'extrême droite,
d'identitaire. Il ose se prononcer
contre des crimes commis par des
étrangers. En effet, c'est sensible,
mais pourquoi interdire une discussion
de la société sur des sujets qui
justement sont sensibles, sensibles car
ils la concernent directement? Jugé,
condamné et incarcéré en quelques
heures, lui-même tombé sous le coup du
reporting restriction, à l'heure
d'internet il est difficile de mettre
quelqu'un au secret, la lettre de cachet
est divulguée, une réaction sociale
explose. Et les
médias, dociles mais
vaincus, finissent pas en parler. 13
mois de prison pour avoir parlé d'un
scandale, que la presse acceptait de
taire.
Les
indo-pakistanais. En Grande-Bretange,
c'est sensible, ils sont nombreux.
L'immigration en général est un sujet
sacré. Il faut redorer l'image des
immigrés, lancer des Mamoudou, mais
modifier les noms et taire les origines
lors des crimes - pour ici ne pas
"stigmatiser". Idéologie oblige. C'est
la ligne politique, la presse doit
suivre. Les médias suivent. Une partie
de la société réagit.
Ces mesures
extrêmes, liberticides, sont toujours le
signe d'une rupture entre la société
et le pouvoir, de la difficulté pour
celui-ci de faire passer ses préceptes,
le signe d'un grincement idéologique, le
grain de sable. En France aussi, la
mécanique peine à entraîner, pourtant ce
n'est pas faute d'y recourir. Mais elle
ne convainc plus. Ils ont déjà trop
souvent retourné leurs pantalons.
Face à ce
constat d'échec, il y a deux
attitudes possibles. La première
consiste à se remettre en cause
et à comprendre que la politique menée
n'est pas soutenue par la majorité de la
population. Démocratie obligeant, le
pouvoir réoriente alors le cours
politique du pays. La seconde consiste
en une reprise en main du discours
social et à son reformatage par une
pression plus importante des médias de
tous genres. La France, avec la loi sur
les Fakes news, dont la
définition est tellement large
qu'elle permettra de toucher toute
publication indésirable, a fait le
second choix. Ce choix oblige à une
reprise en main de l'espace médiatique,
ce que la
ministre de la Culture a annoncé.
Franco. Sans nuances, ni ambages. Dans
une parfaite novlangue. Je vous passe
les médias qui sont "en même temps"
universels et doivent "faire terroir".
Donc, niant toute différenciation
régionale? Et en transférant les efforts
sur le numérique pour toucher "les
jeunes". Et tuer le service public de la
télévision au passage. Bref, le PAF,
c'est dépassé et arrêtez de me parler
d'une grille de programmation. Les buts
sont, il est vrai, ... magnifiques:
"Anticiper",
"oser", "s'engager" : ce
sont les dimensions essentielles qui
ressortent du "scénario
d'anticipation" pour la réforme de
l'audiovisuel public (...). "Les
synergies entre sociétés devront être
développées, pour permettre à
l’audiovisuel public d’innover, de
gagner en performance et en visibilité.
Il faudra également qu’elles dégagent
des gains d’efficience et des économies
pour financer les priorités"
J'adore la langue
creuse et prétentieuse. Des mots pour ne
rien dire ou plutôt pour ne pas dire ce
qui sera fait. Finalement le triptique
est totalement
autre: il faut des médias engagés
+ qui doivent changer les mentalités
+ en présentant moins de mâles blancs,
donc des médias communautarisés.
Magnifique! Donc, le Gouvernement
reconnaît que les médias publics
français ne feront officiellement plus
de l'information, mais de la propagande.
Et non seulement il le reconnaît, mais
il le revendique.
Evidemment, il faut
réduire le financement public, sur un
service déjà largement sous-financé par
rapport à la Grande-Bretagne ou à
l'Allemagne. Et c'est là toute
l'ambiguïté de la situation: si le
Gouvernement veut reformater la société
avec le service public de la télévision,
qui reste quand même très regardée quoi
que l'on en dise, il faudrait donner les
moyens aux journalistes de travailler.
Mais l'idéologie dominante impose un
retrait de l'Etat, donc il ne peut pas
financer ses ambitions idéologiques. Ce
qui par ailleurs permettra à terme de
dire que le service public de la
télévision ne sert plus à rien et de
tout transférer vers le privé. Idéologie
oblige. Le pouvoir sera alors
définitivement passé des mains de l'Etat
entre celles d'entreprises, elles aussi,
de plus en plus globalisées.
Voici
l'universalité dont F. Nyssen nous
parle. C'est celle de la négation de la
pluralité.
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