Russie politics
Macron ou la tentation puérile du
contrôle total
de la parole : la parodie dictatoriale
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 6 février 2019
Notre cher Président nous abreuve à l'écoeurement
de ses sorties médiatiques, plus
profondes les unes que les autres, sans
oublier que sa Grande tournée
post-électorale s'y prête, faisant pâlir
de jalousie le fantôme de Khrouchtchev.
Entre monopole de l'écran, tentation de
surveillance des journalistes et
fantasmagorie complotiste anti-russe, la
gouvernance en mode Macron nous présente
un mélange malsain de puérilité,
logiquement accompagné par une image de
soi pour le moins surévaluée. Bref, une
statue virtuelle géante d'un gamin
capricieux. Plus sérieusement,
tout se prête à une parodie de tentation
dictatoriale, car même pour être
dictateur il faut de la carrure. Et un
Etat. L'enfant-roi. Ces
individus qui n'ont pas pu se confronter
à des limites et voient le monde comme
leur propre terrain de jeu, devant se
plier à leur volonté toute puissante.
C'est une de ces crises d'infantilisme
aiguës que Macron a eu ces derniers
jours devant les journalistes, venus
recevoir la sainte parole. Mais la
digestion fut .... contrariée.
Comme le publie
Le Point, Macron n'est vraiment pas
content du travail des journalistes en
France, qui depuis quelque temps, ont la
mauvaise idée de ... le critiquer. Non,
pardon, de ne pas traiter
objectivement l'information, de ne
pas la hiérarchiser.
Rappelez-vous, il affirmait en juillet
que l'affaire
Benalla n'intéressait personne. Or,
les médias continuent à en parler, font
même des révélations ... Quel manque de
professionnalisme, c'est incroyable.
D'ailleurs Médiapart a eu le droit à une
tentative de perquisition. Vérifions les
sources très Cher ....
Après la fameuse
loi sur les Fakes News, qui sont souvent
la vérité de l'autre, Jupiter a
la bonne idée de vouloir passer les
journalistes sous contrôle. La logique
est évidente. Dans un monde de
l'information, où la gouvernance réelle
n'est de toute manière plus vraiment
exercée au niveau national en raison des
mécanismes d'intégration et de
globalisation, celle-ci a besoin de
maîtriser le discours pour garder les
apparences et préparer les bonnes âmes à
des changements, pour lesquels ils ne
sont pas forcément ni prêts, ni
favorables. Bref, l'information c'est
le pouvoir - et la garantie de la paix
sociale au prix de l'endormissement
collectif.
Citons :
« Le bien public,
c'est l'information. Et peut-être que
c'est ce que l'État doit financer. Le
bien public, ce n'est pas le caméraman
de France 3.
Le bien public, c'est l'information sur BFM,
sur LCI,
sur TF1,
et partout. Il faut s'assurer qu'elle
est neutre, financer des structures qui
assurent la neutralité. Que pour cette
part-là, la vérification de
l'information, il y ait une forme de
subvention publique assumée, avec
des garants qui soient des journalistes.
Cette rémunération doit être dénuée de
tout intérêt. Mais quelque part, cela
doit aussi venir de la profession. »
Il n'y a pas
d'informations neutres, il y a toujours
un choix : traiter ou ne pas traiter un
fait, le présenter et ainsi le
transformer en information, l'analyser
ou éviter de préciser les conséquences /
origines. C'est un processus
intrinsèquement subjectif. Macron
propose donc de mettre les journalistes
sous tutelle d'un groupe de
"journalistes-élus", qui pourront ainsi
contrôler la "vérité d'Etat". Comme le
relève, de manière irrévérencieuse (il
faudra faire quelque chose ....) le
journal
Le Point:
Le fantasme
macronien de ce service d'information
d'État délégué à des journalistes
stipendiés à cet effet amusera
certainement les amateurs d'histoire
soviétique. Le rôle de la Pravda –
« vérité », en russe – était aussi de
servir de référence aux autres journaux,
qui reproduisaient d'ailleurs
régulièrement ses éditoriaux... La
France n'est, bien sûr, pas l'Union
soviétique, mais il faut se souvenir
qu'il n'est rien de tel qu'un
journaliste pour contrôler d'autres
journalistes.
Or, l'autre
problème, fondamental, est que
l'allégeance journalistique au pouvoir a
déjà conduit la profession au discrédit
de ce qui se nomme les "médias
mainstream". Les gens cherchent des
sources alternatives, parfois et souvent
folkloriques, mais aussi recourent à
d'autres médias, non affiliés au
pouvoir. En France, c'est dans cette
frange que se placent les médias russes
RT et Sputnik et ça marche. Mais comme
ça ne peut pas marcher, c'est de
la manipulation :
"Les gens qui sont
surinvestis sur les réseaux sont les
deux extrêmes. Et après, ce sont des
gens qui achètent des comptes, qui
trollent. C'est Russia Today, Spoutnik,
etc. Regardez, à partir de décembre, les
mouvements sur Internet, ce n'est plus BFM qui
est en tête, c'est Russia Today. "
Accusés de
manipuler l'opinion publique et de la
monter contre le pouvoir, c'est-à-dire
contre Jupiter lui-même. Ce qui provoque
la hargne de notre cher Président, qui
ne les a toujours pas accrédités à
l'Elysée. Citons un autre article du
journal Le Point, qui, comme nous allons
le voir, ne sera pas resté sans
conséquence (et je ne parle pas
uniquement de la montée soudaine de
popularité de Jupiter selon les sondages
de la presse) :
Douze semaines
après l'embrasement du mouvement
des Gilets jaunes, le président de
la République pointe la responsabilité
des médias, leur « naïveté » face à ce
qu'il considère comme une manipulation
des extrêmes, avec le concours d'une
puissance étrangère. La Russie de
Poutine, à
travers Russia Today ou Sputnik,
affleure dans son discours. Bien
entendu, le président de la République
fait la part des choses entre les
revendications légitimes de la France des
ronds-points sur le pouvoir d'achat (et
à laquelle il a consenti dix milliards
d'euros) et les « 40 000 à 50 000 ultras
violents qui veulent abattre les
institutions ». Emmanuel
Macron a refusé d'accréditer Russia
Today à l'Élysée, considérant comme
dangereux cet organe de propagande.
40 à 50 milles ?
Ultras violents ? Cela correspond
presque aux chiffres officiels pour
toute la France ... J'ai comme un doute
... passons. Rappelons qu'il y
avait à peine 100 000 personnes sur le
Maidan en Ukraine, que eux étaient
réellement violents et que c'est
justement la raison pour laquelle l'Etat
ukrainien s'est effondré. Ces
affirmations de Macron sont totalement
hors-sol.
Peu importe,
revenons au fond du problème - l'info
incontrôlée. Ainsi, l'affaire Benalla ne
vient pas du fait que l'Elysée, sous
Macron, ait un comportement mafieux,
non, cela vient du "soutien" médiatique
étranger. Les Gilets jaunes - pareil.
Les Français aiment Jupiter leur Guide
En Marche, mais les médias se font
manipuler par les réseaux sociaux. Et ne
donnent pas les "bonnes" informations.
Qui est derrière les réseaux sociaux ?
"Or, dans
l'affaire Benalla comme Gilets jaunes,
la fachosphère, la gauchosphère, la
russosphère
représentent 90 %
des mouvements sur Internet. De plus en
plus, des chaînes d'information disent
« ceci est important, ceci est
légitime » parce qu'il y a du mouvement
sur Internet. Ce mouvement est fabriqué
par des groupes qui manipulent, et deux
jours après, ça devient un sujet dans la
presse quotidienne nationale et dans les
hebdos. "
D'où sort ce
chiffre ? Aucune idée, mais comme
Jupiter l'affirme, ça ne se discute pas.
Car c'est évident. Ceux qui ne pensent
pas comme nous sont des fachos ou des
"salauds" de Russes, bref cet autre
qui ne peut être acceptable, qui
n'est pas accepté, car toute
contestation est inconcevable, Jupiter
est le Bien et le Vrai, il faut être
facho ou Russe pour ne pas le
comprendre.
Et évidemment, pour
continuer le délire complotiste d'un Moi
qui part à la dérive, c'est bien la
Russie qui est derrière Jojo le Gilet
Jaune, quand il en a ras-le-bol de
la Macronie. Autrement dit, pas le
gentil GJ qui va monter une liste aux
européennes, comme on l'attend de lui,
qu'il entre dans le jeu et qu'il bouffe
comme les autres à la gamelle, mais
celui qui veut que les choses changent.
Cet agent de Poutine.
Dans cet article,
Macron a dérapé. Suffisamment pour
provoquer, même au sein de la presse
largement soumise, un léger sursaut -
d'inquiétude plus que d'indignation.
En Russie, en
revanche, ces déclarations sont très mal
passées. Le ministère
des Affaires étrangères a
officiellement envoyé une note
diplomatique à l'Ambassade de France à
Moscou, afin qu'ils précisent quelle est
la position officielle de la France
quant à l'ingérence russe dans les
affaires étrangères françaises, quant
aux liens de la Russie avec la "fachosphère"
et la "gauchosphère". Mais aussi pour
comprendre dans quelle mesure les médias
français ont fidèlement reproduit la
parole présidentielle - notamment en ce
qui concerne Sputnik et RT :
«Ces déclarations
ont-elles été faites ? A quoi
étaient-elles liées ? Cette publication
comprenant les citations des propos du
président français doit-elle être
considérée comme la position officielle
de l’Etat ?» : telles sont les
interrogations transmises par la
diplomatie russe à son homologue
français, selon
Maria Zakharova. Le but de Moscou :
s'assurer que ces accusations pouvaient
être analysés comme la «position
officielle de Paris sur la question».
Mais que l'on se
rassure, rien n'est perdu et l'Ambassade
de France pourra toujours en appeler à
l'amour universel. Le Secrétaire d'Etat
au numérique propose une loi, après
celle des Fakes News, pour mieux
contrôler les contenus publiés et rendre
le monde meilleur, gommé de tout ce qui
dérange.
Un grand monde
d'amour. Avec du contenu positif. Et peu
importe que vous vouliez ou non de cet
amour, on va vous aimer "de force". Je
n'irai pas plus loin dans le parallèle
...
Nous voguons toutes
voiles sorties vers une parodie
dictatoriale. Parodie, car même pour la
dictature, notre époque est dépassée,
trop faible. Plus d'Etat, plus de chef
d'Etat, plus de pouvoir. Il ne reste que
la comm avec un acteur, plus ou moins
bon, plus ou moins mauvais, qui joue sur
un territoire aux contours floutés. Et
quasiment plus aucun mécanisme de
contrôle non plus. Le seul avantage pour
les opposants : les balles réelles ont
été remplacées par des tirs de LBD 40.
Pour le reste, le contrôle de la parole
se porte à merveille !
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