Russie politics
Interview du directeur du FSB
russe (deuxième partie)
Karine Bechet-Golovko
Mercredi 3 janvier 2018
Autant
la
première partie de l'interview du
directeur du FSB, Alexandre Bortnikov,
que nous avons publiée hier
portait
sur l'évolution historique des organes
de sécurité en Russie, autant cette
partie est consacrée aux enjeux actuels
et permet de donner une image rénovée de
cette institution sujette à tant de
fantasmes. Ayant tiré les leçons du
passé, le FSB est entré de plein-pied
dans le monde d'aujourd'hui, participant
pleinement à la résolution des enjeux de
sécurité internationale qui sont ceux de
notre époque.
Au début des
années 2000, l'on a entendu de
nombreuses déclarations concernant les
jeux d'espionnage contre la Russie,
pourtant l'époque était au renouveau et
à l'amitié avec ces mêmes Américains. Ou
bien ce n'était qu'une apparence? A. B. : En effet, à
cette époque le travail de notre
contre-espionnage a fait beaucoup de
bruit. En 2000, lors de la transmission
par le professeur de l'Université
Baumanskaya A. Babkine de renseignements
secrets concernant le nouveau système de
missile sous-marin "Grain", a été
interpellé le collaborateur du
département du renseignement militaire
américain E. Pope. Sa culpabilité a été
démontrée devant la justice, mais au
regard du principe d'humanisme et tenant
compte de son état de santé, il a été
gracié par le Président russe et expulsé
du pays.
En 2003, l'activité
des services spéciaux américains,
utilisant les convois de chemin de fer
approvisionnant leurs troupes en Asie
centrale pour y cacher des appareils
électroniques d'espionnage, a été mise à
jour. Alors que l'autorisation de
transit de ces convois par notre
territoire était un acte de
bienveillance du pouvoir russe envers
Washington. Nous avons trouvé et pris
plus de 150 de ces appareils
d'espionnage. L'affaire s'est terminée
par un scandale international et une
note de protestation du ministère des
Affaires étrangères russe.
En 2006, après
avoir longtemps analysé le trajet de
déplacement dans notre capitale des
diplomates britanniques A. Fleming, C.
Pirt, M. Doe et du membre du MI6 P.
Crompton, deux transmetteurs
électroniques, cachés sous l'apparence
d'une pierre, et prévu pour garder un
contact direct avec leurs agents ont été
trouvés. La révélation des espions
britanniques après que Londre ait
déclaré qu'ils n'avaient plus d'activité
d'espionnage en Russie depuis les années
90, a compromis la Grande-Bretagne. Par
ailleurs, grâce à notre travail, la
société a pu apprendre le financement de
toute une série d'ONG russes par le MI6.
Aujourd'hui, les
services étrangers espionnent moins la
Russie?
A. B. : Je ne
dirais pas ça comme ça. Les services
étrangers continuent à vouloir entrer
dans toutes les sphères d'activité de
notre Etat. Evidemment, ils trouvent une
forte résistance de la part de notre
contre-espionnage. Ainsi, de 2012 à nos
jours, 137 membres des services spéciaux
étrangers et leurs agents ont été mis en
accusation. 120 organisations non
gouvernementales étrangères et
internationales, instruments du
renseignement étranger, ont été fermées
en Russie. 140 ont été condamnées lors
de mesures de protection de secrets
d'Etat.
Comment
évaluez-vous le niveau de la menace
terroriste et extrémiste en Russie
aujourd'hui? Et dans quelle mesure les
services spéciaux sont-ils prêts à
combattre ces dangers?
A. B. : Il existe
en Russie aujourd'hui un système intégré
de lutte contre le terrorisme, qui a
pour fonction autant la prévention que
la lutte elle-même contre le terrorisme
et la réduction de ses conséquences.
Depuis 2006 fonctionne un Comité
national antiterroriste et l'Etat-major
opérationnel, dans les régions des
commissions antiterroristes et des
états-majors opérationnels ont été
créés. La loi a posé l'obligation pour
les organes de pouvoir d'exécuter leurs
décisions. Suite aux mesures prises ces
6 dernières années, les crimes
terroristes ont été diminués par 10. En
2017, 23 attentats ont été empêchés. Un
travail de prévention est conduit contre
la radicalisation de groupes sociaux,
principalement auprès des jeunes, et de
leur entrée dans les groupes
terroristes. L'activité terroriste et
extrémiste de plus de 300 groupes a été
liquidée.
Plus de 9500
personnes ont été condamnées ces
dernières 5 années pour des crimes liés
au terrorisme ou à l'extrémisme. Une
grande quantité d'armes et d'explosifs a
été retirée du marché illégal. Dans le
Caucase du Nord, les bandes souterraines
ont quasiment été éradiquées.
Nous travaillons
sur la fermeture des filières d'entrée
en Russie des membres des groupes
terroristes internationaux des zones de
conflits du Moyen Orient, d'Afrique du
Nord et d'Afghanistan et également de
l'entrée dans ces zones des citoyens
russes. A ce jour, environ 4 500
citoyens russes sont allés dans ces
zones s'engager dans des conflits armés
aux côtés des terroristes. Ces deux
dernières années, plus de 200 personnes
ont été empêchées de quitter le
territoire. Des mesures sont prises pour
filtrer la vague migratoire. Depuis
2012, plus d'un millier de personnes ont
été condamnées pour organisation de
filières migratoires illégales.
Maintenant, notre priorité est de
découvrir les groupes dormants des
organisations terroristes et extrémistes
et empêcher les terroristes individuels,
dont l'activité s'est développée dans
plusieurs pays.
Vladimir
Poutine, à l'assemblée du FSB a remercié
les collaborateurs pour l'efficacité de
leur travail en Syrie. Est-il possible
de révéler ce secret et de savoir de
quoi il s'agit?
A. B. : Les organes
du contre-espionnage militaire ont
garanti la sécurité des groupes
militaires russes sur l'aérodrome de
Hmeimim. Ils ont empêché tout acte
terroriste ou attaque. Grâce aux
informations obtenues par nos moyens, un
grand nombre d'opérations spéciales a
été conduit avec succès.
Dans quelle
mesure notre voisin ukrainien est
aujourd'hui dangereux?
A. B. : Nous
portons une attention particulière à
l'édification de mécanismes fiables de
protection face aux dangers qui viennent
de l'Ukraine actuelle. Nous prenons des
mesures pour lutter contre l'activité de
ses services spéciaux contrôlée par
l'Occident ayant une activité de
sabotage et de terrorisme, et également
pour bloquer toutes les tentatives des
nationalistes et extrémistes ukrainiens
d'établir des liens avec les personnes
partageants leur opinion dans la
diaspora ukrainienne en Russie. Ainsi,
en 2016-2017, en Crimée, 3 groupes de
sabotage terroristes du renseignement
SBU et du renseignement militaire GRU
ukrainien ont été neutralisés. En 2016,
dans la région de Rostov, des membres du
groupe Secteur Droit ont été arrêtés,
alors qu'ils préparaient des attentats
dans les régions russes. Les tentatives
du SBU d'établir des filières de trafic
de drogue en Russie ont également été
bloquées.
Les grandes
affaires anti-corruption de ces
dernières années furent possible grâce
aux enquêtes du FSB, non?
A. B. : Commençons
par rappeler que dans le domaine de la
protection de la sécurité économique,
ces dernières 5 années l'on a pu
empêcher qu'un dommage de plus de 900
milliards de rouble ne soit causé à
l'Etat. Suite à notre travail en matière
de criminalité économique, notamment
dans le domaine de la corruption,
quasiment 13 000 personnes ont été
condamnées. Parmi eux l'on compte des
fonctionnaires fédéraux, des
gouverneurs, des personnes de direction
dans les ministères ou les organes
publics, dans les holding publics, les
entreprises d'Etat, les établissements
publics. Malgré la difficulté et le
temps nécessaire pour réunir les
preuves, malgré les pressions de la part
des personnes impliquées dans les
schémas complexes d'enrichissement
illégal, le combat continuera, quel que
soient leur rang et leur titre.
Le combat est
également mené contre la criminalité
organisée. Depuis 2012, l'activité
criminelle de plus de 300 organisations
a été arrêtée, dont certaines étaient
présidées par des personnes haut
placées. 326 personnes ont été
condamnées pour contrebande. Environ 23
tonnes de drogues et de psychotropes ont
été retirés du marché et plus de
7000 trafiquants de drogue ont été
déclarés responsables pénalement.
Il existe cette
expression populaire "La frontière est
sous clé". Cette expression est encore
actuelle?
A. B. : Bien sûr.
Actuellement, les gardes-frontières, en
contact étroit avec les divisions
territoriales du FSB et les organes du
contre-espionnage militaire, luttent
efficacement contre les atteintes
possibles à la sécurité de notre pays.
En 5 ans, les gardes-frontières ont
interpelé plus de 25 000 personnes
tentant de violer la frontière. 10 000
ont été jugés. Des mesures spécifiques
sont prises pour lutter contre le trafic
des ressources aquatiques naturelles,
principalement en ce qui concerne
l'Océan Pacifique et la Mer caspienne.
Au nombre des priorités, l'on compte le
renforcement des frontières russes en
Arctique et avec l'Ukraine.
(...)
Est-ce que le
refroidissement des relations entre la
Russie et l'Occident a eu un impact sur
les relation du FSB avec ses partenaires
étrangers? L'on continue a échanger des
informations avec les Etats-Unis et les
services spéciaux des autres pays?
A. B. : Je vous
assure que malgré tout cela, notre
collaboration se développe très bien. A
ce jour, le FSB a des contacts avec 205
services spéciaux et organes des forces
de l'ordre de 104 pays, notamment 56
structures de gardes-frontières de 48
Etats. Les relations sont et bilatérales
et multilatérales sur les plateformes
existantes à cet effet. Les résultats du
travail de la Conférence des directeurs
des services spéciaux, des organes de
sécurité et des organes des forces de
l'ordre des Etats étrangers partenaires
du FSB sont chaque année présentés au
briefing du Comité antiterroriste du
Conseil de sécurité de l'ONU. D'autres
structures ont également une activité
importante, à savoir le Conseil des
directeurs des services spéciaux et des
organes de sécurité des pays de la CEI,
le Centre antiterroriste des pays de
l'Organisation de coopération de
Shangai. Nos partenaires
comprennent parfaitement que les
tensions politiques n'ôtent en rien leur
actualité aux problèmes importants que
sont le terrorisme international, la
criminalité organisée transnationale et
la criminalisation du milieu
informationnel. Ces enjeux
exigent une réaction systémique des
structures compétentes. Ce faisant, lors
de notre travail l'on entend de moins en
moins de déclarations purement
réthoriques, au profit de la résolution
des questions concrètes.
La sécurité
d'évènements internationaux en Russie a
été assurée en coopération avec nos
partenaires étrangers: les Universiades
de 2013, les Olympiades de Sotchi en
2014, la Coupe de la Confédération en
2017, ainsi que différents Forums
économiques et politiques de haut
niveau. (...)
Pour résoudre un
tel spectre de problème, le
professionnalisme des membres du FSB est
un aspect important.
A. B. : C'est
exacte. Le développement du
professionnalisme de ses collaborateurs
est une des priorités de notre
organisation. L'intégration d'une
dimension et scientifique et pratique
dans le processus de formation permet de
renforcer l'efficacité de nos Instituts.
Dans le système du FSB fonctionnent
aujourd'hui 2 Académies, 11 Instituts et
des écoles de cadets. En général, la
formation est divisée en 70 branches et
spécialités. Nous sommes
particulièrement intéressés en ce que
les jeunes ayant une sensibilité
patriotique rejoignent les rangs de nos
étudiants et ensuite consacrent leur vie
à la garantie de la sécurité de notre
Patrie.
(...)
Comment le FSB
construit ses relations avec la société?
A. B. : Le Conseil
civique auprès du FSB est le meilleur
organe de contrôle du respect des droits
constitutionnels des citoyens depuis
déjà 10 ans. Des personnalités en vue
des milieux d'experts, d'entreprise, de
la science, des arts en font partie. Il
a un spectre de missions très large
qu'il remplit parfaitement: du contrôle
civique sur les projets d'actes
normatifs que nous préparons à l'examen
des requêtes des citoyens. Il édite
également une revue "FSB: pour et
contre", où sont publiés des articles
sur l'évolution des organes de sécurité,
permettant au public d'avoir un regard
objectif sur différentes pages de
l'histoire de nos services spéciaux et ,
de manière argumentée, de contrer les
tentatives de les discréditer et de
falsifier l'histoire.
Qu'en
pensez-vous, la société aujourd'hui fait
plus confiance aux collaborateurs des
services spéciaux?
A. B. : En
principe, la garantie de la sécurité
d'un pays est un processus complexe et à
plusieurs facettes. Il nécessite non
seulement la mobilisation des forces et
des moyens des services spéciaux et de
l'ensemble de l'appareil d'Etat, mais
également la pleine collaboration des
citoyens. Dans le cas contraire,
il n'est pas possible de garantir la
protection de l'Etat contre les dangers
extérieurs et intérieurs, et dans les
situations de crise il ne peut être
protégé des conflits ethniques sanglants
et d'une totale destruction. Tel fut le
cas lors de la chute de l'Empire. Et
cela s'est répété lorsque l'Union
soviétique a sombré.
Les organes
nationaux de sécurité, étant passés par
une voie difficile, ont tiré les leçons
de l'histoire. Maintenant le FSB est
libre de toute influence politique et ne
sert aucun intérêt partisan ou
sectoriel. Il fonde son travail sur la
Constitution russe et la législation
fédérale. Le but est la garantie de la
sécurité de l'individu, de la société et
de l'Etat. Le résultat de notre travail
est particulièrement apprécié par le
Président russe et trouva chaque année
plus de soutien parmi les citoyens.
La confiance de la
société et du pouvoir met plus de
responsabilité sur les épaules des
organes de sécurité. Cette génération de
collaborateurs utilise parfaitement
toute l'expérience pratique accumulée
par ses prédécesseurs et développe sa
propre expérience. Dans l'avenir, elle
sera transmise à la génération suivante,
ce qui permet d'améliorer sans
discontinuer l'efficacité du travail de
notre Institution. (...)
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