Russie politics
Fillon contre la tentative de coup
d'état judiciaire
Karine Bechet-Golovko
Jeudi 2 mars 2017
Hier,
ce qu'il est convenu d'appeler
"l'affaire Fillon" a pris de court les
journalistes qui se sont immédiatement
pris à rêver d'un retrait tant attendu
de F. Fillon au profit de Juppé, Fillon
enfin empêtré dans les mailles serrées
du filet médiatico-judiciaire que tout
un chacun s'escrime à lancer sur le
candidat si dérangeant.
Un pas
de plus a été franchi, F. Fillon sera
convoqué le 15 mars par les juges
d'instruction, saisis seulement vendredi
dernier, en vue d'une mise en examen et
non en tant que témoin. Il semblerait
que la célérité de la justice ait
remplacé la sérénité. Et l'on se demande
jusqu'où la "justice" sera prête à aller
pour remplir sa "mission"? L'assignation
à domicile ou la détention préventive
seraient-elles envisagées en dernier
recours?
Il
faut dire que cet homme est extrêmement
dangereux pour le système la société, il
risquerait même sans tout ce tapage de
devenir le prochain Président. Or, son
crime est établi: il ne défend pas les
intérêts de la bulle globaliste. Il doit
payer.
Revenons donc sur certains éléments de
cette crise politico-institutionnelle
qui nous sert de campagne électorale.
Célérité faute de sérénité
Si
l'on reprend
l'enchaînement des évènements, nous
sommes surpris par la réactivité de
notre justice, pourtant régulièrement
condamnée par la CEDH pour violation de
l'article 6 en raison des délais
déraisonnables.
Après
les révélations dans le Canard, le
Parque nationale financier (PNF) s'est
saisi du dossier en 48h et a ouvert une
enquête contre personne non dénommée.
Ca, c'est pour la célérité. En revanche,
côté sérénité, des fuites furent
fortuitement "organisées" dans la
presse, alors que les avocats de la
défense n'avaient même pas accès au
dossier avant la mise en examen. Et, là
nous arrivons aux droits de la défense
... face à la célérité, justement pour
que la justice ne devienne pas
expéditive. Ce qui n'est pas non plus
prévu par l'article 6 de la CEDH sur le
procès équitable.
L'enquête est contre personne non
dénommée, faute de preuves suffisantes,
et le dossier est transmis aux juges
d'instructions qui doivent reprendre
l'instruction, autrement dit chercher
des éléments. Et ici nous franchissons
la barrière séparant la célérité de
l'affolement: saisis le vendredi, dès le
mercredi ils envoient une convocation à
F. Fillon pour le 15 mars en vue d'une
mise en examen. Si l'on compte le
week-end, où avec tout le respect que
j'ai pour nos magistrats, je ne pense
pas qu'ils aient beaucoup travaillé, que
s'est-il passé lundi et mardi? Quels
sont les nouveaux éléments sur des faits
dont les plus récents remontent à 3 ans
et les plus anciens à 20 ans?
N'oublions pas non plus que la demande
des avocats de la défense au procureur
de saisir la Chambre d'instruction afin
de régler les problèmes de procédure a
fait l'objet d'un refus catégorique,
toujours au nom de la célérité de la
justice. Soit.
Le
Parquet National Financier
Beaucoup de questions se posent autour
de cette institution, toute nouvelle
dans notre paysage politico-judique.
Oui, "politico", car le procureur
financier est directement
nommé par l'exécutif, à savoir par
le Président de la République sur
proposition du ministre de la justice,
quand même après avis du Conseil
supérieur de la magistrature. Quelle est
l'indépendance supplémentaire de cette
institution par rapport au Parquet? La
question reste ouverte, sauf qu'elle
concentre entre ses mains des
compétences sans contrepoids. Ainsi H.
Houlette en 2013 fut nommée par le
Gouvernement socialiste. Mais
cela n'a évidemment aucun rapport avec
l'affaire en court et le silence face à
Bayrou.
Cette
institution semble s'inscrire dans la
droite ligne des recommandations de
l'OCDE dans le groupe de travail sur
blanchiment et fraude fiscal du GAFI,
dont les dernières recommandations
visant à resserrer les liens entre ces
types d'infractions datent de 2012.
Et la
création par la loi Taubira de cette
institution en 2013 a surpris, d'autant
plus qu'une institution similaire
existait, mais à laquelle l'on n'avait
pas donné les moyens d'agir, comme le
rappelle J.-C.
Magendie:
Le
pôle économique et financier de Paris,
qui était de facto, quasiment un
pôle national s’est progressivement vidé
de sa substance du fait qu’on ne lui a
pas donné les moyens suffisants : en
assistance spécialisée, en juge, en
informatique… La question est de
savoir : pourquoi tous les moyens n’ont
pas été misent en œuvre pour faire
fonctionner l’outil qui est en place et
pourquoi donner des moyens à un autre
système ? Dans ce projet de loi on
promet des moyens que l’on n’a pas donné
au pôle économique et financier de
Paris.
Et la
compétence envisagée pour cette
institution est sujette à des
interprétations diverses. Si l'on se
réfère à la
circulaire du 31 janvier 2014 de
politique pénale relative au procureur
de la République financier émise par le
ministre de la justice, le PNF ne doit,
théoriquement, être saisi que pour les
infractions complexes, critère qui en
l'occurrence semble faire défaut. Sa
compétence peut être exclusive ou
partagée selon les domaines:
-
Il possède une compétence exclusive,
jusqu’à présent dévolue au parquet
de Paris, pour les délits
boursiers.
-
Il dispose d’une compétence
concurrente à celle des tribunaux de
grande instance de droit commun pour
les infractions suivantes : les
délits de corruption d’agents
publics étrangers, les délits de
corruption privée et de corruption
en matière de paris sportifs de
grande complexité.
-
Il bénéficie enfin d’une compétence
concurrente à celle des juridictions
inter-régionales spécialisées et des
tribunaux de grande instance de
droit commun pour les infractions
suivantes : les atteintes à la
probité que sont la corruption dans
le secteur public, le trafic
d'influence, la prise illégale
d'intérêts, le pantouflage, le
favoritisme, le détournement de
fonds publics et les délits
d'obtention illicite de suffrage en
matière électorale, lorsque les
procédures apparaissent d'une grande
complexité;les escroqueries à la TVA
lorsqu’elles apparaissent d'une
grande complexité; les délits de
fraude fiscale complexe et de fraude
fiscale commise en bande organisée;
le blanchiment de l'ensemble des
infractions susvisées ainsi que
l'ensemble des infractions connexes.
Quel fondement pour les accusations
lancées contre F. Fillon
La
question de la compétence du PNF est
l'enjeu d'une guerre entre les juristes.
Car au-delà des formulations dans les
textes de loi, il y a le sens. Ce qui
laisse toute sa place à
l'interprétation, qui va élargir ou
rétrécir la portée que l'on donnera au
texte. Surtout en raison de la
spécificité du statut de député.
F.
Fillon est accusé d'avoir détourné de
l'argent public, car il a employé, à
divers moments, sa femme et ses enfants
en qualité de collaborateurs
parlementaires. D'autant plus que la loi
sur la prescription pénale pour les
délitis financiers qui vient d'être
adoptée par l'assemblée socialiste, pour
se protéger à l'avenir, a eu pour effet
de significativement vider le dossier.
Et
c'est ici que le PNF et la justice
elle-même est à la limite de son domaine
de compétence. S'il faut un contrôle du
judiciaire sur le politique, il ne peut
être sans limites, car l'on tomberait
dans ce qui est généralement dénommé le
Gouvernement des juges, cette
expression venant de la doctrine
américaine, le Governement of judiciary,
que Lambert a parfaitement popularisé en
France et qu'il serait possible
d'appréhender de cette
manière:
La
frontière entre l’idéal de la vraie
justice et sa dérive pathologique ne se
situe pas entre le juge dépourvu de tout
pouvoir (à l’instar du juge bouche de la
loi) et le juge muni de pouvoirs
discrétionnaires. Aux États-Unis,
l’idéal est un « gouvernement »
(government) où les trois pouvoirs sont
en équilibre, où chaque pouvoir
participe, à sa façon, au gouvernement.
Ce qui est dès lors interdit, ce n’est
pas que les juges gouvernent (cela va de
soi puisqu’il font partie du «
government »), mais qu’ils gouvernent
trop, qu’ils acquièrent une position par
trop dominante.
Ici,
la question du fondement de ces
accusations se pose, si l'on regarde la
réglementation de l'activité des
collaborateurs parlementaires.
Le
député dispose d’un crédit lui
permettant de recruter jusqu’à cinq
collaborateurs. Ce crédit mensuel
s’élève à 9 561 €. Le principe de base
est celui du député-employeur : le
collaborateur est le salarié du député,
non celui de l’Assemblée
nationale. (...) Le député a la qualité
d’employeur : il recrute librement ses
collaborateurs, licencie, fixe les
conditions de travail et le salaire de
son personnel.
Rien
n'interdit de recruter des proches, des
amis etc. Et c'est au député à apprécier
le travail réalisé, sachant qu'aucun
député ne peut se passer dans son
travail quotidien de collaborateurs.
Donc
la question de la réalité du
détournement de fonds pulics qui sont
légalement prévus se pose. Quant au
favoritisme, s'il faut interdire
d'employer ses conjoints et enfants,
j'aimerais savoir si dans le privé l'on
ne retrouve pas ces pratiques. Il y a
une hypocrisie profonde à s'insurger
contre ces pratiques. Ce qui conduit
donc à la violation de la frontière de
la séparation des pouvoirs qui est à la
base des principes de notre régime
politique, comme de nombreux
grands noms du droit l'on déjà
affirmée.
Le
problème peut être ailleurs, il n'est
pas uniquement juridique. Faut-il une
enveloppe aussi conséquente? Il s'agit
aussi d'image: quelle est l'image de
notre institution parlementaire? La
France en a-t-elle les moyens et
veut-elle s'en donner les moyens? Quel
pays veut-on?
Avant de répondre trop vite à ces
questions, il faut se méfier des grandes
déclarations populistes.
Le coup d'état médiatico-judiciaire
Certains éléments laissent perplexes et
font penser que la justice est tombée
dans le chaudron politique pour devenir,
bien loin de ses légitimes missions, un
instrument de gouvernance au service
d'un clan politique.
Tout
d'abord, le calendrier laisse rêveur.
Une convocation pour le 15 mars, juste
avant la clôture du dépôt des signatures
et quelques jours avant le premier
débat. Même si F.
Fillon est aujourd'hui le seul
candidat à avoir déjà plus des 500
signatures nécessaires comme l'affirme
le Conseil constitutionnel, un
travail
de sape est fait dans les rangs de
ses partisans, conduisant à la défection
bruyante de certains et à l'appel direct
à la trahison d'autres.
Ensuite, la justice semble très
sélective en ce qui concerne cette toute
nouvelle infraction de l'emploie des
proches comme collaborateur
parlementaire. Si l'on en croit
cet article dans Contrepoints, la
pratique concerne plus d'une centaine de
députés, or un seul est mis en examen.
C'est certainement, une erreur ou un
oubli. D'autant plus que cela concerne
d'autres personnalités, comme
Dupont-Aignan et son épouse, par
exemple.
Enfin,
la complaisance affirmée et revendiquée
de la presse française pour E. Macron,
notamment par le patron de presse P.
Bergé, laisse perplexe:
Etrangement, personne ne s'est penché
sur les déclarations de revenus de
Macron, sauf dans les
Crises.fr avec un remarquable
article, long et très instructif, dont
l'on ne peut que recommander la lecture.
Au PNF également. Les grandes lignes:
-
M.
Macron, vous avez gagné (surtout
chez Rothschild) ≈ 2,7 millions
d’euros bruts entre 2011 et 2013,
soit ≈ 1,4 million d’euros nets
après impôts. Vous déclarez un
patrimoine quasi nul en 2014.
Cela signifierait une dilapidation
d’environ 1 SMIC PAR JOUR durant
3 ans. Votre porte-parole a
indiqué que vous aviez « pas mal
dépensé ». Pourriez-vous vous
expliquer, et justifier la réalité
et la composition de ces dépenses ? (Question
2)
-
M.
Macron, en 2007, à 30 ans, vous
décidez d’acheter un appartement.
Vous gagnez alors environ 40 000
€ par an, et n’avez guère
d’apport personnel. Vous choisissez
un appartement de 83 m² à Paris à
890 000 €, soit un investissement
de plus de 1 000 000 € avec
travaux et frais de notaire. En
théorie, cela signifie donc aux taux
d’intérêts de 2007 plus de 40 000 €
de simple charge d’intérêts par an.
Pourquoi un tel choix aussi
disproportionné avec vos revenus ? (Question
4)
-
M.
Macron, pour financer votre achat,
vous empruntez en 2007 selon vos
déclarations au JDD 550 000 € à
votre ami multimillionnaire, le
regretté Henry Hermand, et 400
000 € au Crédit Mutuel. Le tout
avec 40 000 € de revenus annuels.
Comment les avez-vous convaincus –
surtout la Banque – que vous auriez
un jour assez d’argent pour les
rembourser ? Saviez-vous donc que
vous deviendriez associé-gérant chez
Rothschild 5 ans plus tard ? (Question
5)
-
M.
Macron, sans le prêt de 550 000 €
sans intérêts à débourser
(seulement en 2022) de votre ami
multimillionnaire, le regretté Henry
Hermand, vous n’auriez jamais pu
acheter votre appartement en 2007. Êtes-vous
intervenu à l’Élysée ou à Bercy
sur des affaires le concernant lui
ou son secteur d’activité
(immobilier, start-up, presse…) ? (Question
6)
-
M.
Macron, vous déclarez avoir acheté en
2007 votre appartement 960
000 € avec travaux. Vous avez
estimé vous-même votre appartement 935
000 € en 2014. Comme le souligne
le Canard enchaîné, les prix ont
augmenté de 33 % dans votre
quartier durant ces 7 ans. Vous avez
indiqué au Canard enchaîné avoir “acheté
cher“. “Acheter cher”, ici, ce
serait donc avoir payé au moins 250
000 € de trop pour un
appartement qui n’était en plus pas
du tout dans vos moyens de l’époque.
Pourriez-vous donc nous expliquer
pourquoi vous êtes un des très rares
Parisiens en moins-value dans
cette période ? (Question 9)
-
M.
Macron, vous passez chez Rothschild
d’une rémunération en rythme annuel
de 137 000 € en 2009 à 2
600 000 € en 2012. Une
telle progression salariale est-elle
fréquente ? Puisque vous avez
apparemment dilapidé presque tout
cet argent en 3 ans, pourquoi avoir quitté
Rothschild en 2012 ? Êtes-vous
censé y revenir si vous
perdez en avril ? (Question 11)
-
On
lit sur le site du magazine Capital (06/11/2014)
que vous auriez appelé en 2013 la
rapporteure PS du projet de loi de
séparation des banques « plusieurs
fois pour lui demander de retirer
deux amendements non favorables à
[vos] amis banquiers. Elle avait
fait la sourde oreille. »
Pouvez-vous nous confirmer ces faits
et vous en expliquer ? Pouvez-vous
nous confirmer qu’ils n’ont aucun
lien avec la question précédente ? (Questions
12 et 25)
-
Selon vos déclarations au JDD, vous
gagnez 1 500 000 € après impôts chez
Rothschild essentiellement en
2011-12. Il semble bien que
mi-2012, vous empruntiez 200 000
€ de plus au Crédit mutuel.
Est-ce vrai ? Pourquoi augmenter
votre endettement bancaire dans ces
conditions, surtout d’un tel montant
? (Question 13)
-
M.
Macron, malgré vos plantureux
revenus, vous empruntez au Crédit
Mutuel le 23/11/2011 “350 000 €
pour des travaux dans la résidence
secondaire” – qui appartient à
votre épouse. À quoi correspondent
ces gigantesques travaux ? N’est-ce
pas un peu excessif, surtout
quand on a apparemment déjà du mal à
se désendetter ? (Question 16)
-
M.
Macron, un LDD de 40 000 €,
c’est une possibilité réservée aux
anciens ministres ? Pour les autres
personnes, c’est normalement limité
à 12 000 €, non ? (hors intérêts
capitalisés) Est-ce une erreur de
saisie dans votre déclaration ? (Question
18)
-
D’après le site de référence
societe.com, votre association de
financement aurait un code
d’activité NAF 6622Z, qui est celui
des Agents et courtiers
d’assurance. Est-ce une simple
erreur de plus ? (Question 23)
-
M.
Macron, vous avez certifié avoir
acheté : 1/ 40 000 € 2/ une
Volkswagen EOS en 2005 (à 28 ans)
3/ d’occasion 4/ que vous avez
estimée à 6 000 € en 2014. Or 1/
la VW EOS n’est commercialisée qu’à
partir de 2006 2/ mi-2006, le modèle
le plus cher neuf vaut 36 000 € 3/
la plupart des modèles de 2006
valent 10 à 12 k€ en 2014 4/ 40 000
€ semblent être supérieurs à votre
rémunération annuelle 2005. D’où
vient le souci ? Estimez-vous
important qu’un ministre remplisse
avec soin les 20 lignes de sa
déclaration pour que les citoyens
puissent exercer un contrôle
démocratique ?
Si
l'on ajoute à cela la dernière affaire Le
Pen, dont le crime est d'avoir
partagé des photos montrant les crimes
de l'état islamique, comme je ne sais
combien de personnes, dont moi-même,
afin d'attirer l'attention, notamment de
nos dirigeants sur les horreurs commises
par les "opposants modérés", l'on
s'interroge sur le caractère
particulièrement sélectif de l'intérêt
que la justice porte aux candidats à la
présidentielle.
Comme l'a justement affirmé F. Fillon
lors de sa dernière déclaration à la
presse, c'est au peuple de choisir qui
sera son Président et non à la presse et
à la justice. Dans ce cadre-là, lui
reprocher de ne pas tenir sa parole et
de ne pas se retirer en cas de mise en
examen semble particulièrement
hypocrite. A ceux qui se demandent si De
Gaulle serait resté en course s'il avait
été mis en examen, l'on pourrait
demander si la justice à l'époque se
serait dénaturée au point de mettre en
danger l'équilibre démocratique des
pouvoirs ?
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