Etats Unis / Russie :
de la menace politique à la menace
terroriste
Karine Bechet-Golovko
Samedi 1er octobre 2016
La crise diplomatique autour de la Syrie
prend des proportions rappelant les
tensions américano- soviétiques lors de
la guerre froide. Et le fait que la
communication sur la question passe par
l'intermédiaire du porte-parole du
Kremlin, montre, s'il en est besoin, que
le risque d'escalade militaire est pris
au sérieux. Il est en effet difficile de
ne pas réagir lorsqu'un pays comme les
Etats Unis menace les villes russes
d'actes terroristes.
Suite
à l'inefficacité de la coalition
américaine à atteindre le véritable but
de cette campagne lancée en Syrie sous
label "lutte contre le terrorisme", à
savoir renverser Assad et mettre en
place un dirigeant censé être plus
docile, même si "extrémiste modéré", la
position américaine se radicalise et
passe le cap de la menace directe,
plaçant le conflit entre les Etats Unis
et la Russie à un niveau de danger
extrême.
Les
Etats Unis protégeant de facto Al Nusra
et ne pouvant donc pas différencier sur
le terrain les groupes dits "modérés" de
ceux qui collaborent avec Al Nusra et
Daesh, puisque sur le terrain cette
frontière n'existe pas, le porte-parole
de Département d'état,
John Kirby, est passé à la vitesse
supérieure et, le 28 septembre, menace
directement la Russie de mesure de
représailles, sous forme d'actes
terroristes, si elle continue à soutenir
Assad:
« Les
conséquences sont telles que la guerre
civile en Syrie se poursuivra, les
extrémistes et les groupes extrémistes
continueront de profiter du vide (du
pouvoir — ndlr) en Syrie pour étendre
leurs opérations qui comprendront des
frappes contre les intérêts russes à
l'étranger et peut-être même contre des
villes russes. La Russie continuera de
rapatrier dans des sacs ses militaires
tués, et ils (les Russes — ndlr)
continueront de perdre des ressources,
peut-être de nouveaux avions »
Le
ministère russe des affaires étrangères,
ayant eu connaissance de ce message dans
la nuit, a attendu jusqu'au matin un
démenti. Mais non, les mots furent bien
pensés et bien posés, puisque les
journalistes ont fait précisé à J. Kirby
sa position et il l'a répété deux fois.
En voici la version en russe:
Suite
à cela, les réactions officielles furent
cinglantes. Maria
Zakharova a comparé cette
déclaration avec une commande d'attaque
que l'on donne à son chien. Les
terroristes ont très bien compris le
message. Elle a également posé quelques
questions intéressantes, avant qu'une
réaction officielle ne soit formulée:
"Qui va commettre ces actes terroristes?
Les "modérés? Ceux, justement, que les
Etats Unis ne peuvent différencier de Al
Nusra depuis plus de 6 mois?"
Le
vice-directeur du Ministère des affaires
étrangères russe, Sergueï Riabkov,
a confirmé cette analyse:
"Nous ne pouvons caractériser autrement
cette déclaration que comme un soutien
direct des Etats Unis, de cette
Administration, aux terroristes."
La
situation fut suffisamment sérieuse pour
que D.
Peskov, le porte-parole du
Kremlin, intervienne personnellement:
"Conformément à notre législation, nous
avons des services spéciaux, qui
s'occupent de la lutte contre le
terrorisme et qui fonctionnent de
manière permanente. C'est pourquoi, je
le rappelle, toutes les mesures
nécessaires sont prises non pas de
manière aléatoire en fonction des
moments, mais de manière permanente.
(...) Jusqu'à présent les Etats Unis
n'ont pas pu déterminer qui, en Syrie,
appartient à l'opposition "modérée" et
qui est terroriste. (...) Par cette
rhétorique contreproductive, les Etats
Unis cherchent à mettre sur le dos de la
Russie leur incapacité à réaliser les
obligations qu'ils avaient prises."
Il
faut dire que juste avant la déclaration
de J. Kirby, J.
Kerry, le Secrétaire d'état
américain lors de la dernière
conversation téléphonique avec le
ministre russe des affaires étrangères,
S. Lavrov, a affirmé que les Etats Unis
pouvaient sortir des accords de
coopération sur la Syrie. La
coopération, en fait, est à ce jour
unilatérale. Comme l'avait souligné S.
Lavrov à la BBC, les Etats Unis ne
frappent pas Al Nusra. Jamais. Le
porte-parole du Pentagone a bien du le
confirmer, mais il doit se renseigner,
il n'est pas sûr. Manifestement, la
coalition américaine ne sait pas très
bien sur quoi ou qui ils tirent ...
Comme on dit, Dieu reconnaîtra les siens
... En attendant l'intervention divine,
la coalition américaine a, elle, fait
son choix.
L'élément, à mon sens, décisif, fut la
réaction du ministère russe de la
défense, par la voix de son
représentant, I.
Konachenkov. La Russie ne
négocie pas la sécurité de ses citoyens,
civils ou militaires. Leur protection
est la priorité absolue du ministère de
la défense. Mais il a également
ajouté, un petit détail, en passant
comme ça:
"La
Russie sait parfaitement qui
concrètement et exactement combien de
spécialistes "non officiels" se trouvent
en Syrie, et notamment dans la province
d'Alep, qui s'occupent
opérationnellement de l'organisation et
de la direction des opérations des
groupes combattants. Et dans le cas
d'une tentative de réalisation des
menaces contre la Russie et contre les
militaires russes en Syrie, il se peut
que les groupes combattants ne trouvent
pas suffisamment de temps et de sacs
pour enlever tous les morceaux."
Le
lendemain, le porte-parole du
Département d'état américain, J.
Kirby, a très rapidement corrigé le
tir: il ne s'agit pas du tout d'une
menace, ils ne possèdent aucune
information précise à ce sujet, il a été
mal compris.
Une
nouvelle conversation téléphonique est
attendue entre Kerry et Lavrov. Les
Etats Unis menacent de chercher une
autre solution, puisque Assad viole le
cessez-le-feu. Lavrov rappelle que les
groupes terroristes et les mythiques
"modérés" ne cessent d'attaquer. Mais la
question rsete toujours la même : les
Etats Unis sont-ils à ce point
désespérés pour provoquer un conflit
militaire ouvert contre la Russie, sur
territoire interposé ?
PS:
L'échec attendu et répété des différents
cessez-le-feu montre les limites de la
conception post-moderne de la guerre.
Quelle que soit le caractère
multidimensionnel des conflits modernes
(Syrie, Ukraine), il reste toujours des
hommes et des armes, des clans opposés
et des intérêts divergents,
inconciliables. Un cessez-le-feu
permanent ne peut que marquer la fin
d'un conflit, il ne peut intervenir
avant la fin du conflit armé. Or, pour
cela, il faut un vainqueur. Un compromis
n'est pas tenable lorsque les intérêts
ne sont pas conciliables. Notre
monde a peur de la partition, des
vainqueurs et des perdants, il faudrait
toujours trouver une solution qui
satisfasse tout le monde. C'est un signe
de faiblesse de notre époque, de notre
génération, cette solution n'existe pas.
Dans un conflit armé, le vainqueur
impose sa vision de la victoire au
perdant. Pour l'instant personne n'a
perdu ou gagné le conflit en Syrie.
Aucun cessez-le-feu ne peut être mis en
place. Mais le risque, en sortant de
l'espace politique, est d'arriver à une
confrontation directe en les Etats Unis
et la Russie, chacun soutenant "son
poulain". Cynisme de circonstance mis à
part, chacun soutenant une vision de la
civilisation. Des groupes extrémistes
contre un Président légitime. L'Europe,
en sortant de sa léthargie, pourrait
faire pencher la balance en se rappelant
les valeurs qui furent les siennes. Mais
encore faudrait-il qu'elle ait la force
vitale nécessaire à cela.
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