MADANIYA
Témoignages de Palestine
au temps de la pandémie du Covid 19 ½
José Luis Moragues
Lundi 15 juin 2020
Par Campagne BDS France Montpellier
(Boycott, Désinvestissement, Sanctions).
Ne Laissons pas le virus masquer
l’Apartheid
Les regards se
portent de nos jours vers la Bande de
Gaza sont dans l’attente anxieuse des
effets catastrophiques d’une extension
fulgurante du codiv.19, au sein du
mouvement de solidarité à la Palestine,
et au-delà.
La population de
l’enclave est confrontée depuis bientôt
14 ans à une des modalités les plus
meurtrières de l’apartheid israélien:
l’enfermement et la privation de la
liberté de circulation des humains comme
des marchandises.
Des bombardements
massifs presque tous les deux ans
causant des milliers de mort-e-s et des
dizaines de milliers de blessé-e-s dans
la population civile confortent le
constat d’un génocide progressif. Dans
ce contexte il ne fait aucun doute que
l’arrivée du virus dans une population
épuisée par une crise humanitaire et
dont la densité est de 5 400 ha au Km2
(117 en France) ouvre des probabilités
effrayantes de catastrophe.
Comment aborder
cette situation? Que peut-on attendre
d’Israël et de l’Union Européenne ? Que
peut le mouvement de solidarité à la
Palestine face à une telle situation?
Quelles actions de solidarité et avec
qui? Aujourd’hui et dans l’après virus ?
Nous ne prétendons
pas pouvoir répondre seul.e.s et en une
seule fois à toutes ces interrogations
mais nous souhaitons ouvrir, localement
au moins, le débat sur ces questions qui
concernent l’ensemble des mouvements
sociaux de la société civile. Nous le
ferons à partir des repères fournis par
le cadre stratégique de la Campagne BDS
(Boycott, Désinvestissement, Sanctions)
sous-direction palestinienne dont BDS
France Montpellier est membre via BDS
France.
Se dégager de la
fascination paralysante de la
catastrophe
Essayons d’aborder
l’ensemble du problème à la lumière du
modèle de décryptage qu‘opère Said
Bouamama dans «Le
Corona Virus comme analyseur :
Autopsie de la vulnérabilité systémique
de la mondialisation capitaliste».
L’auteur explique qu’entre les «aléas»
c’est à dire les éléments extérieurs
perturbateurs (ici le virus) et la
«catastrophe» (les conséquences du
virus) il y a la «vulnérabilité» c’est à
dire les conditions qui ont plus ou
moins contribué à produire ou non la
«catastrophe». Il compare « les
effets du cyclone Ivan qui touche Cuba
en septembre 2004 et ceux du cyclone Katrina
qui s’abat sur la Floride, la Louisiane
et le Mississipi un an après (…) Tous
deux de catégories 5 c’est-à-dire avec
des vitesses de vent dépassant 249 km/h,
les deux cyclones se soldent pourtant
par des bilans humains aux antipodes:
aucun décès à Cuba ; 1836 morts et 135
disparus aux USA.»
Et l’auteur
constate: «Des aléas similaires
débouchent ainsi sur des conséquences
diamétralement opposées». Ainsi la
«vulnérabilité (qui) désigne pour sa
part les effets prévisibles d’un aléa
sur l’homme dépendant eux-mêmes d’un
certain nombre de facteurs: densité de
population des zones à risque, capacité
de prévention, état des infrastructures
permettant de réagir efficacement et
rapidement, etc.» va en quelque
sorte déterminer la gravité des
conséquences des «aléas».
Le centrage
médiatique sur la «catastrophe» (ce que
font généralement les gouvernements) est
destiné à masquer les éléments de
vulnérabilité et donc les décisions et
choix politiques responsables de la
vulnérabilité face aux aléas.
Cerner les causes de
la vulnérabilité dans la bande de gaza.
L’état des lieux de
la «vulnérabilité» de la population
de la Bande de Gaza est accablant.
Près de 2,5
millions d’habitant-e-s sur 360 km2 (5
400 ha au Km2). Près de 1,8 millions de
réfugié-e-s (près de 80% de la
population de la Bande de Gaza)
entassé-e-s dans 8 camps. L’ONU
prévoyait en 2012 une crise humanitaire
pour 2020. Nous y sommes, la crise
humanitaire est là.
Après 14 ans de
blocus : 44% de chômeurs dont 61% chez
les jeunes. 80% de la population dépend
d’une aide étrangère. 10% des enfants
ont un retard de croissance dû à la
malnutrition. Un taux de pauvreté de
53 %, un taux de mortalité infantile de
10,5 décès pour 1 000 naissances
vivantes.
97% de l’eau est
non potable et les problèmes
d’assainissement sont énormes. 800
produits de consommation courante ou
destinés aux entreprises selon une liste
(changeante) établie par Israël, sont
interdits d’entrée à Gaza.
«L’offre
de soins de santé est en déclin constant.
Selon l’ONG Medical Aid for Palestinians,
depuis l’an 2000 « il y a eu une baisse
du nombre de lits d’hôpitaux (de 1,8 à
1,58 pour mille), de médecins (1,68 à
1,42 pour mille) et d’infirmières (2,09
à 1,98 pour mille), avec un
surpeuplement et une réduction de la
qualité des services». L’interdiction
imposée par Israël à l’importation de
technologies susceptibles d’être «à
double usage» a restreint l’achat
d’équipements, tels que les scanners à
rayons X et les radioscopes médicaux.
Des coupures de
courant régulières menacent la vie de
milliers de patients qui dépendent
d’appareils médicaux, avec parmi eux des
bébés dans des incubateurs. Les hôpitaux
manquent d’environ 40% des médicaments
considérés essentiels, et les quantités
de fournitures médicales de base, comme
les seringues et la gaze, sont
insuffisantes.»
Le bilan des
Grandes marches du retour (du 30 mars
2018 à début 2020) est lourd, 301
mort-e-s dont 61 enfants de moins de 16
ans, 27 000 blessé-e-s, 130 amputé-e-s.
Déjà les hôpitaux ont eu du mal à faire
face à cet afflux de blessé-e-s.
Et les 5000
prisonniers palestiniens …
5.000 prisonniers
politiques palestiniens sont détenus par
Israël dont 180 mineurs. «Notre
inquiétude croissante pour les
prisonniers et détenus palestiniens
pendant l’évolution de la pandémie de
COVID-19 vient de la négligence médicale
systématique et quotidienne dans les
centres de détention et d’interrogatoire
israéliens», a dit mardi Addameer,
l’association de défense des droits des
prisonniers. L’association mène une
campagne internationale pour demander la
libération de tous les prisonniers.
Au prétexte de
l’épidémie, Israël depuis début mars,
multiplie les brimades, renforce
l’isolement et viole les droits des
prisonniers. Interdictions des visites
des familles et des avocats. Refus
d’installer des téléphones fixes pour
permettre aux prisonniers de parler à
leurs familles – comme cela avait été
promis auparavant.
Dénoncer les
responsabilités criminelles de l’état
d’apartheid.
Ceci n’est qu’un
aperçu sommaire et incomplet de la
situation dans la Bande de Gaza dont la
responsabilité incombe entièrement à
l’État d’Israël qui dès sa création a
provoqué l’exode des réfugiés dans des
camps, colonisé et occupé l’enclave,
puis imposé depuis 14 ans le blocus,
mené des bombardements massifs
réguliers, des bombardements ponctuels,
des assassinats ciblés, des vols
permanents de drones, des arrestations
arbitraires etc.
La catastrophe, la
Nakba comme disent les Palestiniens, se
perpétue depuis 1948. Colonisation de
peuplement et nettoyage ethnique dans
toute la Palestine dont Jérusalem et
génocide progressif dans la Bande de
Gaza, sans oublier les Palestiniens de
48 soumis à l’apartheid.
Israël devra de ce
fait être tenu pour directement
responsable des mort-e-s et des dégâts
humains et matériels qui pourraient
advenir du fait du Covid.19 dans la
Bande de Gaza.
A l’occasion de
l’épidémie du corona virus israël
s’attaque à toutes les composantes du
peuple palestinien
Sans doute
l’extrême gravité de ce qui se passe à
Gaza en fait un symbole et appelle notre
solidarité active. A la fois, en raison
de la politique génocidaire menée à
l’encontre de sa population mais
également en raison de la résistance
exemplaire de cette même population.
N’a-t-elle pas, après 12 ans de blocus
et d’attaques aériennes massives et
meurtrières réussi à lancer et maintenir
pendant 2 ans, chaque vendredi, les
grandes Marches du Retour, pour le
Retour des réfugiés et la levée du
blocus sous les tirs meurtriers des
snippers israélien ? Mais l’attaque de
l’occupant est généralisée contre
l’ensemble des palestinien.e.s où
qu’ils.elles se trouvent.
Dès la création de
l’État d’Israël, par un découpage et des
assignations géographiques spécifiques
doublées de statuts juridiques
différents, Israël a fait éclater
l’unité du peuple Palestinien. Les
palestinien-ne-s de Cisjordanie et de
Gaza, de Jérusalem ou d’Israël sont
soumis-e-s à des juridictions
israéliennes différentes. La puissance
stratégique de l’appel BDS Palestinien
de 2005, en posant comme objectif
l’autodétermination du peuple
palestinien fixe comme condition
préalable à une réelle autodétermination
la satisfaction de trois revendications,
chacune répondant au problème majeur de
chacune des composantes du peuple
palestinien. La fin de la colonisation
(Cisjordanie et Gaza), retour des
réfugiés dans leurs maisons (de tous-tes
les Réfugié-e-s, extérieurs et
intérieurs, Résolution. 194-ONU) et
égalité absolue pour les palestiniens
d’Israël (Palestiniens de 48). Cette
stratégie refonde et reconstruit l’unité
du peuple palestinien, condition
première pour mettre fin à l’apartheid.
Palestinien.ne.s de 1948
Nous manquons (à ce
jour) d’informations sur les
discriminations et les inégalités subies
par les palestiniens d’Israël dans les
prises en charge sanitaires face à
l’épidémie. Elles sont inévitables au
regard de la nature officiellement
raciste de l’État d’Israël. La loi
fondamentale récemment votée déclarant
qu’Israël est l’État nation du peuple
juif officialise l’apartheid en faisant
des 20% des palestiniens d’Israël des
citoyens de seconde catégorie.
Dans le désert du Neguev, à la mi-mars,
les autorités israéliennes ont détruit
les plantations de centaines d’ha de
terres agricoles dans deux communautés
bédouines.
Alors que ces mêmes
autorités appelaient à réductions
d’activités et interdisaient les
rassemblements de plus de 10 personnes,
la police, une douzaine de tracteurs
«protégés par des membres de la
Patrouille verte, une force
paramilitaire appartenant à l’Autorité
foncière israélienne qui se concentre
sur les problèmes d’application de la
loi dans le Néguev, se sont présentés à
la périphérie de Wadi al-Na’am, le
matin, avec des tracteurs. Ils ont
ensuite détruit systématiquement une
grande partie des cultures, retournant
du nord au sud une vaste étendue de
terre où se trouvaient des stocks de blé
et d’orge, utilisés pour nourrir les
moutons et les vaches.»
Depuis des dizaines
d’années Israël tente chasser les
bédouins de leurs terres ancestrales,
les confiner dans des «réserves» et de
s’emparer de leurs terres.
Des tracteurs
arrivent à Tel Arad pour raser les
récoltes mercredi 18 mars (MEE/Me’eqel
Al Hawashla)
Palestinien.ne.s de
Cisjordanie
Par contre nous
avons les premiers éléments des
réactions israéliennes à l’apparition du
virus en Israël où viennent travailler
de nombreux ouvriers frontaliers
palestiniens, du sabotage des
installations palestiniennes de soins et
des inquiétudes des réfugiés du camp de
Suhafat (Jérusalem-est) quant à l’accès
aux soins.
L’épisode d’un ouvrier palestinien
fiévreux et très mal, jeté à même le
sol par les force de polices
israéliennes du côté palestinien d’un
check-point israélien à la périphérie du
village de Beit Sira, à l’ouest de
Ramallah a fait le tour des réseaux
sociaux. Sans même attendre les
résultats du test qu’il avait passé son
patron l’a fait expulser par la police.
3 autres cas identiques ont été signalés
et gageons que ce n’est que le début :
«C’est le vrai visage de l’occupation
israélienne», affirme le jeune homme qui
a secouru le malade au sol «Ils nous
tuent tous les jours, donc ce n’est pas
différent pour eux.» «C’est comme si
nous étions leurs esclaves»,
poursuit-il. «Ils nous utilisent quand
ils ont besoin de nous, et quand ils ont
fini, ils se débarrassent de nous comme
des ordures.»
L’association des
droits humains B‘Tselem dénonce
l’intervention de l’armée israélienne
du 26 mars dans la communauté
palestinienne de Khirbet Ibziq, dans le
nord de la vallée du Jourdain. Avec
bulldozer et deux camions à plateau avec
grues, l’armée a confisqué deux tentes
destinées à une clinique de campagne
contre le virus.
Les soldats ont
également confisqué (volé) une cabane en
tôle en place depuis plus de deux ans,
ainsi qu’un générateur d’électricité et
des sacs de sable et de ciment. Quatre
palettes de parpaings destinées aux
planchers des tentes ont été emportées
et quatre autres démolies.
Palestinien.ne.s de
Jérusalem
Les Réfugiés du Camp de Suafat, en
périphérie de Jérusalem-est ont le
statut de résident de Jérusalem et
relèvent de la juridiction israélienne.
Ils sont très inquiets des barrages et
obstacles israéliens dans leur accès aux
soins.
«Le camp n’a qu’une
clinique, aucun hôpital», détaille à
MEE une porte-parole de
l’organisation israélienne de défense
des droits de l’homme Association for
Civil Rights in Israel. Les hôpitaux les
plus proches sont tous israéliens.
«Nous payons nos
taxes, nous demandons donc aux autorités
israéliennes qu’elles s’occupent de nous
avec le même soin avec lequel elles
s’occupent de n’importe quel autre
citoyen israélien. En tant qu’État
occupant, Israël a le devoir de nous
prendre en charge. Car où peut-on
aller ? Vers qui peut-on se tourner ?»,
déplore Khaled al-Sheikh.
«Nous sommes seuls,
nous n’avons aucun appui officiel »,
insiste-il. Pas de respirateur
artificiel, pas de véhicule dédié pour
le transport d’éventuels patients
infectés par le coronavirus, ni de
bâtiment officiel pour placer les cas
suspects en quarantaine…
Même scénario
dramatique pour les habitants de Kufr
Aqab de l’autre côté du mur mais
officiellement rattaché à la
municipalité de Jérusalem. «Dans cette
zone où s’entassent 70 000 Palestiniens,
trois personnes infectées ont été
éloignées la semaine dernière par les
habitants, qui se sont organisés pour
qu’elles soient tenues à l’écart du
quartier, rapporte Mounir Zgheir, à la
tête du comité qui représente les
habitants.»
«Israël veut depuis
des années se débarrasser de ces zones
et de leurs habitants. Israël n’a pas
construit la barrière de séparation de
cette manière sans raison : il voulait
couper ces zones de Jérusalem »,
poursuit le chercheur. En 2015, le
Premier ministre israélien Benyamin
Netanyahou avait d’ailleurs évoqué la
possibilité de révoquer le statut de
résident des habitants de ces quartiers.
Palestinien.ne.s –
réfugié-e-s de la Bande De Gaza
Comme toujours Gaza
bénéficie d’un régime spécial de
répression. Le vendredi 27 mars en
soirée trois raids de l’armée de l’air
israélienne ont bombardé le nord de la
Bande de Gaza où se trouve le camp de
réfugiés de Jabalia.
Qu’attendre d’Israël
et de l’Union Européenne ?
De la part de
l’État israélien et son gouvernement
raciste rien de bon, cela est évident.
Le pire est déjà là et il ne peut
qu’empirer. Les bombardements ci-dessus
et les quelques exemples cités en ce
début d’épidémie montrent qu’Israël fera
tout pour tirer partie de l’épidémie au
profit de son nettoyage ethnique et du
vol des terres palestiniennes. Quand à
l’union européenne, la complicité est
flagrante et dans cette période où
«sauver le capitalisme» sera sa priorité
absolue, il n’y en a rien à attendre non
plus.
Mais ce constat ne
date pas d’aujourd’hui. C’est ce constat
qui a donné jour à l’appel BDS
palestinien de 2005, qui constatant la
complicité de la «communauté
internationale» s’est tourné vers les
sociétés civiles de la planète les
appelant:
« Nous,
représentants de la Société Civile
Palestinienne, invitons les
organisations des sociétés civiles
internationales et les gens de
conscience du monde entier à imposer de
larges boycotts et à mettre en
application des initiatives de retrait
d’investissement contre Israël tels que
ceux appliqués à l’Afrique du Sud à
l’époque de l’Apartheid.
Nous faisons appel
à vous pour faire pression sur vos états
respectifs pour qu’ils appliquent des
embargos et des sanctions contre Israël.
Nous invitons
également les Israéliens honnêtes à
soutenir cet appel, dans l’intérêt de la
justice et d’une véritable paix.
Ces mesures
punitives non-violentes devraient être
maintenues jusqu’à ce qu’Israël honore
son obligation de reconnaître le droit
inaliénable des Palestiniens à
l’autodétermination et respecte
entièrement les préceptes du droit
international en :
- 1. Mettant fin
à son occupation et à sa
colonisation de tous les terres
Arabes et en démantelant le Mur
- 2.
Reconnaissant les droits
fondamentaux des citoyens
Arabo-Palestiniens d’Israël à une
égalité absolue et
- 3. Respectant,
protégeant et favorisant les droits
des réfugiés palestiniens à revenir
dans leurs maisons et propriétés
comme stipulé dans la résolution 194
de l’ONU
Allons-nous
répondre à cet appel ? Comment
aujourd’hui ? Comment dans l’après virus
et avec qui ?
Pour aller plus
loin sur ce thème :
Illustration
Palestinian
painters draw graffitis to draw
attention to the coronavirus (COVID-19)
pandemic in Khan Yunis, Gaza on 28 March
2020 [Mustafa Hassona/Anadolu Agency]
Le sommaire de René Naba
Les dernières mises à jour
|