Chronique de
Palestine
Le plan de paix de Trump a été conçu
pour échouer, exactement comme ses
prédécesseurs
Jonathan Cook
26 juin 2019 - Des Palestiniens
manifestent à Ramallah en Cisjordanie
occupée,
contre la tenue de la réunion
de Bahreïn sur le «Deal of the Century»
Photo: Ahmad Al-Bazz/Activestills
Lundi 15 juillet 2019
Jonathan Cook
– Le prétendu « accord du siècle «
de Donald Trump, offrant aux
Palestiniens des gratifications
économiques en échange de leur
soumission politique, est la phase
finale des négociations de paix
occidentales, dont le but réel n’était
pas de réussir mais d’échouer.
Pendant des
décennies, les plans de paix formulaient
des exigences impossibles à satisfaire
pour les Palestiniens, les forçant à
rejeter les termes de l’offre, créant
ainsi un prétexte pour qu’Israël
s’empare d’une part plus importante
encore de leur patrie.
Plus ils ont fait
de concessions, plus l’horizon
diplomatique s’est éloigné, au point que
maintenant l’administration Trump
s’attend à ce qu’ils renoncent à tout
espoir d’obtenir un état ou le droit à
l’autodétermination.
Même Jared Kushner,
gendre de Trump et architecte du plan de
paix, ne peut pas vraiment croire que
les Palestiniens vont se laisser acheter
avec leur part des 50 milliards de
dollars d’incitation qu’il espérait
lever à Bahrain la semaine dernière.
C’est la raison
pour laquelle les dirigeants
palestiniens n’y sont pas allés.
Mais les
responsables de l’image de marque
d’Israël ont, il y a longtemps, forgé un
slogan pour oculter une politique de
dépossession progressive, qui se fait
passer pour un processus de paix : « Les
Palestiniens ne ratent jamais une
occasion de rater une occasion. »
Il est opportun
d’examiner en quoi consistaient ces
« occasions ratées » historiques.
La première fut le
Plan de Partition des Nations Unies de
la fin 1947. Aux dires d’Israël, ce fut
l’intransigeance des Palestiniens
concernant le partage de la terre en
deux états séparés, l’un juif et l’autre
arabe qui a déclenché la guerre, menant
à la création de l’état juif sur les
ruines de la majeure partie de la patrie
des Palestiniens.
Mais en réalité,
c’est une histoire bien différente.
L’ONU récemment
constituée était de fait sous la coupe
des puissances impériales de la Grande
Bretagne, des Etats-Unis, et de l’Union
Soviétique. Tous trois voulaient un état
juif, allié dépendant, dans un
Moyen-Orient sous domination arabe.
Attisé par les
braises moribondes du colonialisme
occidental, le Plan de Partition offrait
la plus grande part de la patrie des
Palestiniens à une population
minoritaire de juifs européens, dont
l’immigration récente avait été de fait
sponsorisée par l’empire britannique.
Tandis qu’on
offrait l’indépendance à d’autres
peuples, on exigeait des Palestiniens
qu’ils cèdent 56 % de leur terre à ces
nouveaux venus. Il n’y avait aucune
chance que de telles conditions soient
acceptées.
Cependant, comme
l’ont fait remarquer des universitaires
israéliens, les dirigeants sionistes
n’avaient pas la moindre intention non
plus de respecter le plan de l’ONU.
David Ben Gourion, le père fondateur
d’Israël, qualifia de « minuscule »
l’état juif proposé par l’ONU. Il mit en
garde qu’il ne pourrait accueillir les
millions d’immigrants juifs qu’il
jugeait nécessaires d’y attirer afin que
son nouvel état ne devienne rapidement
un deuxième état arabe en raison du taux
de natalité arabe plus élevé.
Ben Gourion voulait
que les Palestiniens rejettent le plan
pour qu’il puisse avoir recours à la
guerre lui donnant la chance de saisir
78% de la Palestine et expulser la
plupart de la population autochtone.
Pendant des
décennies, Israël fut heureux de
s’enraciner puis, après 1967, d’étendre
son emprise sur la Palestine historique.
C’est, en fait, le
dirigeant palestinien Yasser Arafat qui
a fait les plus grandes concessions non
réciproques pour la paix. En 1998, il a
reconnu l’état d’Israël et, plus tard,
lors des Accords d’Oslo de 1993, il a
accepté le principe du partage à des
conditions encore plus désastreuses que
celles de l’ONU, à savoir un état sur
22% de la Palestine historique.
Même ainsi, le
processus d’Oslo n’avait aucune chance
sérieuse de réussir après qu’Israël eut
refusé de procéder aux retraits promis
des territoires occupés. Finalement, en
2000 le président Bill Clinton a
convoqué Arafat et le premier ministre
israélien Ehud Barak à un sommet de la
paix à Camp David.
Arafat savait
qu’Israël n’était pas disposé à faire
des concessions significatives et qu’il
fallait à la fois l’intimider et
l’amadouer pour le faire venir. Clinton
promit au dirigeant palestinien qu’il ne
serait pas tenu pour responsable si les
pourparlers échouaient.
Israël a fait en
sorte que ce soit le cas. D’après ses
propres conseillers, Barak a « fait
exploser » les négociations, en
insistant pour qu’Israël conserve
Jérusalem-Est occupée, y compris la
mosquée Al Aqsa , et de larges secteurs
de Cisjordanie. Washington a de toute
façon fait porter le chapeau à Arafat,
et a reformulé l’intransigeance d’Israël
en « offre généreuse ».
Peu de temps après,
en 2002, l’Initiative de paix de
l’Arabie saoudite a offert à Israël des
relations normales avec le monde arabe
en échange d’un État palestinien
minimal. Israël et les dirigeants
occidentaux se sont empressés de le
faire entrer dans les annales de
l’histoire oubliée.
Après la mort
d’Arafat, les pourparlers tenus en
secrets en 2008-2009 – révélés par les
fuites des Palestine Papers – ont montré
que les Palestiniens faisant des
concessions sans précédent. Il
s’agissait notamment d’autoriser Israël
à annexer de vastes étendues de
Jérusalem-Est, la capitale escomptée des
Palestiniens.
Le négociateur Saeb
Erekat a été enregistré disant qu’il
avait accepté « la plus grande
[Jérusalem] de l’histoire juive » ainsi
que le retour seulement d’un « nombre
symbolique de réfugiés [palestiniens]
[et un] Etat démilitarisé… Que puis-je
donner de plus? »
C’était une bonne
question. Tzipi Livni, la négociatrice
d’Israël, a répondu : « J’apprécie
vraiment » quand elle a vu tout ce que
les Palestiniens concédaient. Mais sa
délégation a quand même quitté la table
des négociations.
Le plan voué à
l’échec de Trump est sur les mêmes rails
que ces » efforts de paix « .
Dans un commentaire
paru la semaine dernière dans le New
York Times, Danny Danon, l’ambassadeur
d’Israël auprès de l’ONU, a candidement
résumé l’idée maîtresse de cette
approche diplomatique qui dure depuis
des décennies. Il a appelé les
Palestiniens à » se rendre « , et a
ajouté : « La reddition est la
reconnaissance que dans une compétition,
maintenir le cap coûtera plus cher que
la soumission. »
Le processus de
paix a toujours conduit à l’étape
présente. Trump a simplement éliminé les
faux-fuyants et les ambiguïtés du passé
pour révéler où se situent vraiment les
priorités de l’Occident.
Il est difficile de
croire que Trump ou Kushner aient jamais
cru que les Palestiniens accepteraient
une promesse « d’argent pour la
tranquillité » au lieu d’un État fondé
sur la « terre contre la paix ».
Une fois de plus,
l’Occident tente d’imposer aux
Palestiniens un accord de paix
inéquitable. La seule certitude, c’est
qu’ils la rejetteront – c’est la seule
question sur laquelle les dirigeants du
Fatah et du Hamas sont unis – assurant
une fois de plus que les Palestiniens
soient présentés comme l’obstacle au
progrès.
Les Palestiniens
ont peut-être refusé cette fois de
tomber dans le piège, mais, quoi qu’il
arrive, ils seront les boucs-émissaires.
Quand le plan de
Trump s’effondrera, car ce sera le cas,
Washington aura la chance d’exploiter un
prétendu rejet palestinien pour
justifier l’approbation de l’annexion
par Israël de tranches supplémentaires
du territoire occupé.
Les Palestiniens se
retrouveront avec une patrie fracassée.
Pas d’autodétermination, pas d’État
viable, pas d’économie indépendante,
juste une série de ghettos tributaires
de l’aide. Et des décennies de
diplomatie occidentale seront enfin
arrivées à leur destination préétablie.
*
Jonathan Cook a obtenu le Prix
Spécial de journalisme Martha Gellhorn.
Il est le seul correspondant étranger en
poste permanent en Israël (Nazareth
depuis 2001). Ses derniers livres sont :
«
Israel and the Clash of Civilisations :
Iraq, Iran and the to Remake the Middle
East » (Pluto Press) et «
Disappearing Palestine : Israel’s
Experiments in Human Despair » (Zed
Books). Consultez
son site personnel.
2 juillet 2019 –
The Palestine Chronical – Traduction
:
Chronique de Palestine – MJB
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