Counterpunch
L’arrestation d’Assange
est une mise en garde de l’histoire
John PILGER
Dessin de Nathaniel
St. Clair
Samedi 13 avril 2019
L’image de Julian
Assange traîné hors de l’ambassade de
l’Equateur à Londres est emblématique de
notre époque. La force contre le droit.
La brutalité contre la loi. L’indécence
contre le courage. Six policiers
malmenant un journaliste malade, ses
yeux plissés contre sa première lumière
naturelle depuis près de sept ans. Que ce scandale se
soit produit au cœur de Londres, dans le
pays de la Magna Carta, devrait
faire honte et mettre en colère tous
ceux qui se soucient pour les sociétés
"démocratiques". Assange est un réfugié
politique protégé par le droit
international, le bénéficiaire de
l’asile en vertu d’un pacte strict dont
la Grande-Bretagne est signataire.
L’Organisation des
Nations Unies l’a clairement indiqué
dans la décision juridique de son Groupe
de travail sur les détentions
arbitraires.
Mais au diable tout
ça. Laissez entrer les voyous. Dirigée
par les quasi-fascistes de
l’administration Trump, en collaboration
avec l’Équatorien Lenin Moreno, un Judas
latino-américain et menteur qui cherche
à camoufler l’état moribond de son
régime, l’élite britannique a abandonné
son dernier mythe impérial : celui
d’équité et de justice.
Imaginez Tony Blair
traîné hors de sa maison géorgienne de
plusieurs millions de livres à Connaught
Square, Londres, menotté, pour être
ensuite expédié à La Haye. Selon
l’exemple de Nuremberg, le "crime
suprême" de Blair est la mort d’un
million d’Irakiens. Le crime d’Assange
est le journalisme : demander des
comptes aux rapaces, dénoncer leurs
mensonges et donner aux gens du monde
entier les moyens d’agir avec la vérité.
L’arrestation
choquante d’Assange est un avertissement
pour tous ceux qui, comme l’écrivait
Oscar Wilde, "sèment les graines du
mécontentement [sans lesquels] il n’y
aurait pas de progrès vers la
civilisation". L’avertissement est
explicite à l’égard des journalistes. Ce
qui est arrivé au fondateur et rédacteur
en chef de WikiLeaks peut vous arriver
dans un journal, ou à vous dans un
studio de télévision, ou vous à la
radio, ou vous qui diffusez un podcast.
Le principal
bourreau médiatique d’Assange, The
Guardian, collaborateur de l’État
secret, a montré sa nervosité cette
semaine avec un éditorial qui a atteint
de nouveaux sommets en termes
d’hypocrisie. The Guardian a exploité le
travail d’Assange et de WikiLeaks dans
ce que son précédent éditeur appelait "le
plus grand scoop des 30 dernières années".
Le journal s’inspira des révélations de
WikiLeaks et s’attira louanges et
fortune.
Sans verser un sou
pour Julian Assange ou WikiLeaks, un
livre largement promu du Guardian donna
lieu à un film hollywoodien lucratif.
Les auteurs du livre, Luke Harding et
David Leigh, se retournèrent contre leur
source, le maltraitèrent et divulguèrent
le mot de passe qu’Assange avait confié
au journal en toute confidentialité,
conçu pour protéger un fichier numérique
contenant des câbles des ambassades des
États-Unis.
Alors qu’Assange
était piégé à l’ambassade de l’Équateur,
Harding se joignit à la police à
l’extérieur et se réjouit sur son blog
que "Scotland Yard aura le dernier mot".
The Guardian a depuis publié une série
de mensonges à propos d’Assange,
notamment une affirmation discréditée
selon laquelle un groupe de Russes et
l’homme de Trump, Paul Manafort, avaient
rendu visite à Assange à l’ambassade.
Ces réunions n’ont jamais eu lieu ;
c’était faux.
Mais le ton a
maintenant changé. "L’affaire Assange
est une toile moralement enchevêtrée",
estime le journal. « Il (Assange)
croit en la publication de choses qui
ne devraient pas être publiées... Mais
il a toujours fait la lumière sur des
choses qui n’auraient jamais dû être
cachées. »
Ces "choses" sont
la vérité sur la façon meurtrière dont
l’Amérique mène ses guerres coloniales,
les mensonges du Foreign Office
britannique dans son déni des droits des
personnes vulnérables, comme les
habitants des îles Chagos, la
dénonciation d’Hillary Clinton comme une
partisane et bénéficiaire du jihadisme
au Moyen-Orient, la description
détaillée par des ambassadeurs
américains sur la façon dont les
gouvernements en Syrie et au Venezuela
pourraient être renversés, et beaucoup
plus. Tout cela est disponible sur le
site de WikiLeaks.
The Gardien est
nerveux, et on le comprend. La police
secrète a déjà rendu visite au journal
et exigé et obtenu la destruction
rituelle d’un disque dur. Sur ce point,
le journal n’en est pas à sa première.
En 1983, une commis du Foreign Office,
Sarah Tisdall, a divulgué des documents
du gouvernement britannique indiquant
quand les armes nucléaires américaines
de croisière arriveraient en Europe. Le
Gardien fut couvert d’éloges.
Lorsqu’un tribunal
a exigé de connaître la source, au lieu
de laisser le rédacteur en chef aller en
prison sur la base d’un principe
fondamental de protection des sources,
Tisdall fut trahie, poursuivie et
condamnée à six mois de prison.
Si Assange est
extradé vers les Etats-Unis pour avoir
publié ce que The Guardian appelle des
"choses" véridiques, qu’est-ce qui
empêchera la rédactrice en chef
actuelle, Katherine Viner, de le suivre
ou l’ancien rédacteur en chef, Alan
Rusbridger, ou le propagandiste
prolifique Luke Harding ?
Qu’est-ce qui
empêchera les rédacteurs en chef du New
York Times et du Washington Post, qui
ont également publié des bouts de vérité
provenant de WikiLeaks, et le rédacteur
en chef de El Pais en Espagne, de Der
Spiegel en Allemagne et du Sydney
Morning Herald en Australie. La liste
est longue.
David McCraw,
avocat principal du New York Times, a
écrit : « Je pense que la poursuite
[d’Assange] constituerait un très,
très mauvais précédent pour les
éditeurs... d’après ce que je sais, il
est en quelque sorte dans la position
classique d’un éditeur et la loi aurait
beaucoup de mal à distinguer le New York
Times de WilLeaks. »
Même si les
journalistes qui ont publié les fuites
de WikiLeaks ne sont pas convoqués par
un grand jury américain, l’intimidation
de Julian Assange et Chelsea Manning
suffira. Le vrai journalisme est
criminalisé par des voyous, au vu et au
su de tous. La dissidence est devenue
une indulgence.
En Australie,
l’actuel gouvernement pro-américain
poursuit deux dénonciateurs qui ont
révélé que les espions de Canberra
avaient mis sur écoute les réunions du
cabinet du nouveau gouvernement du Timor
oriental dans le but de priver ce petit
pays pauvre de sa part des ressources en
pétrole et en gaz de la mer du Timor.
Leur procès se déroulera en secret. Le
Premier ministre australien, Scott
Morrison, est tristement célèbre pour
son rôle dans la mise en place de camps
de concentration pour les réfugiés dans
les îles de Nauru et Manus, dans le
Pacifique, où les enfants s’auto-mutilent
et se suicident. En 2014, Morrison a
proposé des camps de détention de masse
pour 30 000 personnes.
Le vrai journalisme
est l’ennemi de ces scandales. Il y a
dix ans, le ministère de la Défense de
Londres a publié un document secret qui
décrivait les "principales menaces"
à l’ordre public, au nombre de trois :
les terroristes, les espions russes et
les journalistes d’investigation. Ces
sont ces derniers qui étaient désignés
comme la principale menace.
Le document fut
dûment divulgué à WikiLeaks, qui l’a
publié. "Nous n’avions pas le choix",
m’a dit Assange. "C’est très simple.
Les gens ont le droit de savoir et le
droit de remettre en question et de
contester le pouvoir. C’est ça la vraie
démocratie."
Et si Assange et
Manning et les autres dans leur sillage
- s’il y en a d’autres - étaient réduits
au silence et "le droit de savoir, de
questionner et de contester" était
retiré ?
Dans les années
1970, j’ai rencontré Leni Reifenstahl,
amie proche d’Adolf Hitler, dont les
films ont contribué à jeter le sort nazi
sur l’Allemagne.
Elle m’a dit que le
message de ses films, la propagande, ne
dépendait pas "d’ordres venus d’en
haut" mais de ce qu’elle appelait le
"vide apathique" du public.
"Ce vide
apathique s’étendait-il à la bourgeoisie
libérale et éduquée ?" lui ai-je
demandé.
"Bien sûr,
répondit-elle, surtout
l’intelligentsia... Quand les gens ne
posent plus de questions sérieuses, ils
sont soumis et malléables. Tout peut
arriver."
Et arriva.
Le reste,
aurait-t-elle pu ajouter, c’est de
l’histoire.
John Pilger
Traduction "ce
n’est qu’un début, continuons..." par VD
pour le Grand Soir avec probablement
toutes les fautes et coquilles
habituelles
Source :
»» https://www.counterpunch.org/2019/04/12/the-assange-arrest-is-a-warnin...
©
Copy Left
Le Grand Soir - Diffusion autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Les dernières mises à jour
|