Le processus d’extradition de Julian
Assange
est « une mascarade »
John Pilger
Jeudi 7 novembre 2019
Le cinéaste John Pilger a assisté à la
dernière audience de Julian Assange et a
observé non seulement qu’Assange souffre
visiblement de mauvais traitements en
prison, mais que sa défense n’a pas eu
une chance équitable de faire valoir ses
arguments contre son extradition vers
les États-Unis.
GREG WILPERT :
Bienvenue à Real News Network. Je
suis Greg Wilpert, d’Arlington, en
Virginie.
Julian Assange s’est récemment vu
refuser un report de son audience
d’extradition prévu en février 2020.
L’audience sur le report a eu lieu le 21
octobre et, selon les observateurs
présents, il pouvait à peine parler en
phrases cohérentes. Réagissant à
l’audience, le Rapporteur des Nations
Unies pour les droits de l’homme, Nils
Melzer, a averti vendredi dernier qu’Assange
continue de présenter des symptômes de
torture psychologique. Melzer avait
rendu visite à Assange en mai et avait
fait procéder à un examen approfondi de
son état physique et psychologique. Dans
sa déclaration de vendredi, Melzer a
déclaré : « Malgré l’urgence médicale de
mon premier appel et la gravité des
violations alléguées, le Royaume-Uni n’a
pris aucune mesure d’enquête, de
prévention et de réparation en vertu du
droit international. »
En plus des
préoccupations concernant le traitement
d’Assange à la prison de Belmarsh, à
l’extérieur de Londres, beaucoup ont
également exprimé des doutes quant à
l’impartialité de la procédure engagée
contre lui. Assange fut emprisonné en
avril dernier lorsque l’ambassade
équatorienne, où il avait obtenu l’asile
politique, a autorisé la police à
l’arrêter. Il fut ensuite condamné à 50
semaines de prison pour avoir violé sa
liberté sous caution en 2012.
L’administration Trump a depuis lors
demandé l’extradition d’Assange pour 17
chefs d’accusation d’espionnage pour
lesquels il pouvait être condamné à une
peine de 170 ans de prison aux
États-Unis.
John Pilger se
joint à moi pour discuter des derniers
développements dans l’affaire Julian
Assange. Il a suivi de très près
l’affaire Assange et a assisté à
l’audience du 21 octobre. Il est
journaliste et documentariste primé. Son
film le plus récent est The Coming
War on China. Merci de vous joindre
à nous, John.
JOHN PILGER : Merci
à vous.
GREG WILPERT :
Commençons par l’état d’Assange. Comme
je l’ai dit, vous étiez présent à la
dernière audience. Quelle était votre
perception de son état et de son
apparence ?
JOHN PILGER : Eh
bien, j’étais à la dernière audience, et
j’avais vu Julian environ une semaine
auparavant, je l’ai donc vu de près à
plusieurs reprises récemment. Je suis
d’accord avec l’évaluation de Nils
Melzer. C’est très difficile à dire. Son
état physique a radicalement changé. Il
a perdu environ 15 kilos. Le voir au
tribunal faire des efforts pour dire son
nom et sa date de naissance fut vraiment
très émouvant. Je l’ai vu lorsque j’ai
rendu visite à Julian à la prison de
Belmarsh, il a du mal au début puis
arrive à se ressaisir. Je suis toujours
impressionné par la résilience de cet
homme car, comme le dit Melzer, rien n’a
été fait pour changer les conditions
imposées par le régime carcéral. Rien
n’a été fait par les autorités
britanniques.
Cela a été presque
souligné par la manière méprisante dont
ce juge, ce magistrat, a conduit cette
audience. Nous avions tous le sentiment
que toute cette mascarade, car cela
avait tout l’air d’une mascarade, avait
été préprogrammée. Assis devant nous,
sur une longue table, se trouvaient
quatre Américains de l’ambassade des
États-Unis ici à Londres, et l’un des
membres de l’équipe du procureur faisait
de rapides allers-retours pour
recueillir des instructions auprès
d’eux. Le juge l’a vu et l’a autorisé.
C’était absolument scandaleux.
Lorsque Julian a
essayé de parler et de dire qu’on lui
refusait les moyens dont il avait besoin
pour préparer sa défense, on lui a
refusé le droit d’appeler son avocat
américain. On lui a refusé le droit
d’avoir n’importe quel type de
traitement de texte ou d’ordinateur
portable. Certains documents lui ont été
refusés. Comme il l’a dit, "je suis même
privé de mes propres écrits",
c’est-à-dire ses propres notes et
manuscrits. Cela n’a pas changé du tout,
et bien sûr, l’effet sur son moral -
c’est le moins qu’on puisse dire - a été
très important, et c’était visible au
tribunal.
GREG WILPERT :
Oui, j’aimerais approfondir un peu la
question de l’équité de ce procès. Craig
Murray, qui est un blogueur et qui a
également participé à la dernière
audience,
a écrit sur un certain nombre de choses,
que vous avez également mentionnées. Il
mentionne expressément la juge de
district Vanessa Baraitser, et l’une des
choses qu’elle a faites a été de rejeter
complètement la demande d’Assange de
déterminer si la procédure d’extradition
était même légale. C’est-à-dire, selon
le droit britannique, "l’extradition ne
sera pas accordée si l’infraction pour
laquelle l’extradition est demandée est
une infraction politique". Que
pensez-vous de cette question ?
L’infraction commise par Assange
est-elle politique, et que pensez-vous
de la réaction du juge à cette demande ?
JOHN PILGER : Je
connais très bien son avocat, Gareth
Peirce, et ce n’est pas quelqu’un qui se
met en colère. Mais je l’ai vue avant et
après l’audience, et elle était très
fâchée du fait que, comme elle l’a dit,
"Nous sommes à une audience
d’extradition, fondée sur un traité
entre les États-Unis et la
Grande-Bretagne, et il y a un article
dans ce traité qui dit", comme vous
venez de le mentionner, "personne ne
peut être extradé si", et je paraphrase,
si les prétendues infractions sont de
quelque manière politiques. Et d’après
la loi, ce n’est pas une question
d’opinion, elles sont politiques. Toutes
les accusations concoctées en Virginie,
sauf une, sont fondées sur la loi de
1917 sur l’espionnage, qui était une loi
politique utilisée pour poursuivre les
objecteurs de conscience pendant la
Première Guerre mondiale.
C’est politique. Il
n’y a pas d’accusation. Il n’y a aucun
fondement pour poursuivre cette
procédure d’extradition et, de façon
presque perverse, le juge a semblé
l’admettre dans son mépris pour la
procédure. Chaque fois que Julian
Assange parlait, elle feignait un
désintérêt, un ennui, et chaque fois que
ses avocats parlaient, c’était la même
chose. Chaque fois que le procureur
parlait, elle était attentive. L’aspect
théâtral de cette audience a été tout à
fait remarquable. Je n’ai jamais rien vu
de tel. Puis, très précipitamment,
lorsque l’avocat de Julian Assange a
demandé que l’affaire soit reportée –
elle a dit : "Nous ne serons pas prêts
en février" – la juge a rejeté la
demande d’un revers de la main.
Non seulement cela,
mais elle a dit que l’affaire
d’extradition se déroulerait devant un
tribunal qui est en fait adjacent à la
prison de Belmarsh. Il fait presque
partie de la prison. C’est loin de
Londres. Vous avez donc, sinon un procès
secret, mais un procès ou une audience
d’extradition dans laquelle très peu de
places sont disponibles pour le public.
C’est un endroit très difficile d’accès.
Ainsi, tous les obstacles ont été placés
sur la voie d’une audience équitable
pour Assange. Et je ne peux que le
répéter, il s’agit d’un éditeur et d’un
journaliste condamné pour rien, inculpé
pour rien en Grande-Bretagne, dont le
seul crime est le journalisme. Cela peut
sembler être un slogan, mais c’est vrai.
Ils veulent le punir pour avoir dénoncé
les crimes de guerre scandaleux, l’Irak,
l’Afghanistan, ce que les journalistes
sont censés faire.
GREG WILPERT :
J’aimerais aussi vous poser des
questions sur le soutien qu’Assange
semble recevoir ou pas. Il semble que
les médias qui ont énormément bénéficié
du travail d’Assange ne mentionnent
guère son cas, et encore moins le
soutiennent. De plus, des groupes de
défense des droits humains comme Amnesty
International ont exhorté le Royaume-Uni
à ne pas extrader Julian, mais ne sont
pas emparés de son cas. Je viens de
vérifier. Ils ne font pas campagne comme
ils le font normalement pour les
prisonniers politiques. Comment
expliquez-vous ce manque d’intérêt des
médias et des groupes de défense des
droits humains pour la situation d’Assange ?
JOHN PILGER : Parce
que de nombreux groupes de défense des
droits humains sont profondément
politiques, Amnesty International n’a
jamais fait de Chelsea Manning une
prisonnière d’opinion. C’est vraiment
honteux. Chelsea Manning, qui a été
torturée en prison, et ils n’ont pas,
comme vous le dites, soulevé le cas de
Julian. Pourquoi ? Eh bien parce qu’ils
sont une extension. L’extension d’une
classe dirigeante qui s’attaque
maintenant presque systématiquement à
toute forme de dissidence réelle. Au
cours des cinq ou six dernières années,
les dernières brèches, les dernières
niches, les derniers espaces dans les
médias grand public pour les
journalistes, qu’ils soient des
journalistes ordinaires ou des
journalistes comme Assange, mais pas
seulement Assange, aussi pour des gens
comme moi et d’autres, ont été fermés.
Les médias grand
public, certainement en Grande-Bretagne,
avaient toujours maintenu des espaces
ouverts. Ils ont été fermés, et je pense
qu’il y a généralement, dans tous les
médias, une crainte de s’opposer à
l’État dans une affaire comme l’affaire
Assange. Voyez comment toute cette
obsession pour la Russie a consumé les
médias avec tant d’histoires absurdes.
L’hostilité, l’animosité envers Julian.
Ma propre théorie est que son travail a
fait honte à tant de journalistes. Il a
fait ce que les journalistes auraient dû
faire, et ne font plus. Il a fait le
boulot de journaliste. C’est la seule
explication. Je veux dire, quand vous
prenez un journal comme The Guardian,
qui a publié à l’origine les révélations
de WikiLeaks sur l’Irak et
l’Afghanistan, ils se sont retournés
contre Julian Assange de la manière la
plus féroce qui soit.
Ils l’ont exploité
pour une chose. Un certain nombre de
leurs journalistes se sont extrêmement
bien débrouillés avec leurs livres,
leurs scénarios hollywoodiens, et ainsi
de suite, mais ils se sont retournés
contre lui personnellement. C’est l’un
des phénomènes les plus inédits que
j’aie jamais observés dans le
journalisme. La même chose s’est
produite au New York Times. Encore une
fois, je ne peux que supposer pourquoi.
C’est qu’il leur fait honte. Nous avons
un désert journalistique en ce moment.
Il y en a quelques uns qui font encore
leur travail, qui s’opposent encore au
pouvoir en place, qui n’ont toujours pas
peur. Mais il y en a si peu maintenant,
et Julian Assange n’a peur de rien. Il
savait qu’il allait au devant de
beaucoup de problèmes avec l’État
britannique, l’État américain, mais il a
quand même continué. C’est un vrai
journaliste.
[...]
Traduction "un
procès mascarade pour des médias
mascarades" par VD pour le Grand Soir
avec probablement toutes les fautes et
coquilles habituelles
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