Monde
La Catalogne et le Kosovo :
qui sème le vent récolte la tempête
John Laughland
© Francois
Lenoir Source: Reuters
Vendredi 6 octobre 2017
Source :
RT Le
précédent du Kosovo a jeté «dans les
poubelles de l'histoire» les principes
du droit international, autrefois
stables, qui interdisaient la
déclaration unilatérale d'indépendance.
Selon John Laughland, l'Espagne en subit
les conséquences.
Il semble inévitable que les
autorités catalanes déclareront bientôt
leur indépendance et que l'Etat espagnol
répondra en abrogeant l'autonomie de
cette région, licenciant ainsi les
indépendantistes. Dans cette hypothèse,
de futures confrontations entre la
police et les indépendantistes sont à
craindre. Celles qui ont été filmées et
diffusées le 1er octobre, le jour du
référendum, ont déjà fait réagir. La
condamnation de la violence et les
appels au dialogue sont de mise.
Quel contraste avec le silence total
à l'égard de l'extrême violence utilisée
contre les indépendantistes à l'Est de
l'Ukraine, dans le Donbass, contre
lesquels Kiev a déployé non seulement la
police mais aussi son armée. Si Madrid
envoie l'armée espagnole à Barcelone,
les commentateurs hurleront que c'est le
retour du franquisme. Ils
évoqueront la gloire de la Barcelone
républicaine pendant la guerre civile
espagnole et l'héroïsme des brigades
internationales. Mais quand
Kiev déploie des milices nazies contre
les indépendantistes, on n'en parle pas,
et on passe sous silence le caractère
clairement aveugle des bombardements
qu'ont subi les villes rebelles. Le jour
où il y aura une Anna Tuv catalane, tout
le monde sera au courant : mais
la triste histoire de cette femme
ukrainienne, victime des
bombardements ukrainiens qui ont tué sa
fille et son mari en 2015, reste
totalement inconnue au grand public.
En réalité, le soutien aux mouvements
indépendantistes est toujours à
géométrie variable – c'est-à-dire
totalement contradictoire.
Particulièrement criantes sont les
incohérences qui interviennent quand une
sécession en cache une autre. Quand la
République soviétique de Moldavie
proclama sa souveraineté en août 1991,
c'était bien. Mais quand la République
de la Transnistrie déclara son
indépendance de la Moldavie en 1992, ce
n'était pas bien. Quand la
Bosnie-Herzégovine fit sécession de la
Yougoslavie, c'était très bien. Mais
quand la République serbe fit sécession
de la Bosnie-Herzégovine, l'ONU envoya
ses casques bleus sur le terrain pour
l'en empêcher, et cela pendant trois ans
de guerre. Quand les Etats-Unis
proclamèrent leur indépendance de la
Grande-Bretagne, de nouveaux horizons
s'ouvrirent pour toute l'humanité ; mais
quand les Etats confédérés déclarèrent
leur indépendance des Etats-Unis, le
monde fut plongé dans une nouvelle ère
de ténèbres. Aujourd'hui encore, on
enlève les statues de leurs généraux,
tellement honnie est la cause pour
laquelle ils se battirent. On peut
multiplier les exemples de sécessions
condamnées (Rhodésie, Chypre-Nord) ou
soutenues (Timor Oriental, Soudan du
Sud) quasiment à l'infini.
A part les situations de
colonialisme, ou les cas de
violations graves des droits de
l'homme, la jurisprudence
internationale considère qu'il n'y a
pas de droit général à
l'indépendance unilatérale ou à la
sécession
Dans ces conditions de désarroi
intellectuel, il peut sembler fastidieux
de parler de droit. Cette approche, qui
est celle de Madrid, peut vite tourner
au vinaigre car nous savons depuis
le dialogue mélien raconté par Thucydide que
les grands enjeux en politique sont
décidés non pas par le droit, mais par
la force. Théophile Delcassé, ministre
des Affaires étrangères français au
moment de la crise de Fachoda en 1898,
où l'armée britannique expulsa les
troupes françaises d'un poste militaire
dans le sud du Soudan, résuma fort bien
le dilemme ainsi : «Ils [les
Britanniques] ont des soldats. Nous
n'avons que des arguments.» Or, les
Catalans sont sans doute moins forts sur
le plan militaire que l'Espagne mais ils
ont aussi des armes de propagande non
négligeables, dont la plus efficace est
leur soi-disant statut de victimes.
Mais il existe une bonne
jurisprudence sur la question de
l'indépendance : à part les situations
de colonialisme, ou les cas de
violations graves des droits de l'homme,
la jurisprudence internationale
considère qu'il n'y a pas de droit
général à l'indépendance unilatérale ou
à la sécession. L'intégrité territoriale
des Etats existants, surtout si ceux-ci
sont démocratiques et respectueux de
l'Etat de droit, ne peut être remise en
cause par une déclaration unilatérale,
qu'elle soit la conséquence d'un
référendum ou non. L'un des précédents
judiciaires les mieux connus pour cette
position est
l'arrêt de la Cour suprême du Canada de
1998 qui a stipulé que le Québec ne
disposait pas d'un droit unilatéral
d'indépendance : «Le Québec ne pourrait,
malgré un résultat référendaire clair,
invoquer un droit à l'autodétermination
pour dicter aux autres parties à la
fédération les conditions d'un projet de
sécession.» Venant d'un pays éminemment
démocratique, cet arrêt faisait autorité
aussi dans le droit international, qui
dans ses propres documents confirme, de
manière explicite et répétée, le
principe de l'intégrité territoriale des
Etats (ex :
Article 2.4 de la Charte de l'ONU;
Résolution 2625 de l'Assemblée générale
de l'ONU du 24 octobre 1970).
Certes, dans l'histoire des relations
internationales, ces principes sont des
coutumes que les grandes puissances
pensent qu'il est plus honorable de
violer que d'observer. Mais cette
relative stabilité du droit
international a volé en éclats en 2010 à
cause d'un arrêt hautement regrettable
de la Cour internationale de justice,
l'organe judiciaire suprême de l'ONU et
une instance qui, jusqu'à cette date
avait agi en tant que gardien
respectable du droit international.
Saisi par l'Assemblée générale de l'ONU
sur la question de la licéité de la
déclaration de l'indépendance du Kosovo
en 2008, une question à laquelle la
Serbie était convaincue qu'une seule
réponse était possible car le statut de
sa province méridionale était gouverné
par une résolution du Conseil de
sécurité, la résolution 1244 de juin
1999, et parce que son initiative avait
recueilli une grande majorité de voix
des Etats membres de l'ONU au sein de
l'Assemblée générale, la Cour
internationale de justice, à la grande
déception de Belgrade, statua que cette
déclaration ne violait «aucune règle
applicable du droit international».
L'affirmation de certains
gouvernements pro-kosovars selon
laquelle le Kosovo serait un cas
unique qui ne fournirait aucun
précédent à d'autres déclarations
d'indépendance est parfaitement
mensongère
Or, nous savons que les mains de ceux
qui rédigèrent la déclaration du Kosovo
de février 2008 furent tenues par les
Etats membres de l'Union européenne
(avec quelques exceptions, dont
l'Espagne), qui gouvernera désormais la
province par le biais d'une nouvelle
agence,
EULEX, et par les Etats-Unis,
véritable auteur de la guerre de l'OTAN
de 1999, dont la conséquence était
l'occupation de cette province par ses
troupes. La fameuse
déclaration d'indépendance du Kosovo,
d'ailleurs, est en réalité une
déclaration de dépendance de la province
à l'égard de l'OTAN et de l'UE, qui font
partie de la minorité des Etats
reconnaissant cette indépendance. Ces
grandes puissances avaient-elles réussi
à peser sur les réflexions des juges à
La Haye, peut-être par l'intermédiaire
du juge britannique, Sir Christopher
Greenwood, ancien professeur de droit
qui travaillait en cachette pour le
gouvernement de Tony Blair et qui était
à l'origine du célèbre avis légal du
gouvernement britannique en 2003
proclamant la guerre en Irak légale ?
Ce qui est certain, c'est que
l'affirmation de certains gouvernements
pro-kosovars selon laquelle le Kosovo
serait un cas unique qui ne fournirait
aucun précédent à d'autres déclarations
d'indépendance est parfaitement
mensongère. La Cour ayant conclu
qu'aucune règle de droit international
n'avait été violée par cette
déclaration, il faut par définition
arguer – comme le fait la Cour – que le
droit international ne contient aucune
interdiction générale applicable aux
sécessions unilatérales. Celles-ci sont
donc autorisées et la sauvegarde de
l'intégrité territoriale des Etats est
lettre morte. L'arrêt canadien se trouve
désormais dans la poubelle de
l'histoire.
Nous savons depuis la sécession de la
Crimée en 2014 quelles sont les
conséquences de cet arrêt : il est
moralement intenable de soutenir la
sécession en 2008 du Kosovo d'un Etat,
la Yougoslavie, qui était devenu
parfaitement «démocratique» (aux dires
de l'Occident) en 2000, mais de
condamner la sécession de la Crimée de
l'Ukraine putschiste en 2014. Cet arrêt
a donc mis le feu aux poudres et nous en
voyons maintenant les conséquences au
sein même de cette Europe qui, l'Espagne
comprise, avait attaqué la Yougoslavie
en 1999. Autrement dit : qui sème le
vent récolte la tempête.
John
Laughland est directeur des
Etudes à l'Institut de la Démocratie et
de la Coopération (Paris), philosophe et
historien. De nationalité britannique,
il est l’auteur de plusieurs ouvrages
historiques et géopolitiques traduits en
sept langues.
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