Palestine
Les massacres de Gaza par Israël
vont-ils enfin décider la CPI à agir ?
Joe Catron
29 septembre 2018, Khan Younis, dans le
sud de Gaza. Un cortège funèbre
accompagne le corps
de Nasser Musabeth abattu et tué par les
troupes israéliennes au cours d’une
manifestation
à la frontière entre Gaza et Israël.
(Photo : Sanad Abu Latifa | AP)2018.
Hundreds have attended the funeral of
the boy, apparently the youngest killed
by Israeli fire
in six months of protests along Gaza’s
perimeter fence. (AP Photo/Sanad Abu
Latifa)
Jeudi 8 novembre 2018
Tant
Amnesty International que Human Rights
Watch, d’habitude réservés dans leurs
critiques à l’égard d’Israël, ont accusé
l’État occupant de « crimes de guerre ».
D’aucuns espèrent que l’ampleur des tirs
israéliens contre des civils sans armes,
de même que les nombreux documents qui
en témoignent, vont inciter la CPI à
agir.
LA HAYE –
Alors que la Grande Marche du Retour
organisée par les Palestiniens dans la
bande de Gaza entre dans son huitième
mois, les organisations juridiques de
l’enclave palestinienne assiégée ont
demandé à la Cour pénale internationale
de poursuivre Israël en raison des tirs
répétés de ses forces armées contre des
manifestants sans armes.
Vendredi 26
octobre, à la fin de la 30e mobilisation
hebdomadaire, après plus de 200 journées
pendant lesquelles Israël n’a cessé de
lancer des gaz lacrymogènes, de tirer à
balles réelles et, occasionnellement, a
recouru à des tirs d’artillerie et des
frappes aériennes, 163 manifestants ont
perdu la vie, 8 770 ont été blessés,
rapportait le Centre palestinien pour
les droits de l’homme (CPDH).
L’association ajoutait :
« Le CPDH insiste
sur le fait que viser des civils qui
exercent leur droit à se rassembler
pacifiquement ou qui font leur devoir
humanitaire constitue une violation
grave des règles du droit international,
du Statut de Rome de la CPI et de la
Quatrième Convention de Genève.
« Par conséquent, le CPDH demande à la
procureure de la CPI d’ouvrir une
enquête officielle sur ces crimes, de
poursuivre et de rendre responsables
toutes les personnes impliquées dans
l’élaboration et la transmission
d’ordres au sein des Forces israéliennes
et ce, aux échelons de la sécurité et de
la politique. »
Mardi dernier, les forces israéliennes
ont tué un autre manifestant, Muntasir
Muhammad Ismail al-Bazz, 17 ans. Il est
le 34e mineur d’âge palestinien à perdre
la vie.
À diverses
reprises, par le biais du Comité de
défense juridique et internationale de
la Commission nationale qui la dirige,
la Marche a invité instamment la CPI à
agir.Vendredi dernier
encore, le Comité a dit dans une
déclaration qu’il réitérait « son
appel à l’adresse de la procureure de la
CPI afin qu’elle prenne la franche
décision d’ouvrir une enquête criminelle
sur les crimes commis par Israël dans le
cas de la Palestine ».
« Les acteurs
des deux camps »
Le 17 octobre, la
procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a
déclaré qu’elle était « très
préoccupée par la violence incessante
exercée par les acteurs des deux camps à
la frontière entre Gaza et Israël ».
Le 8 avril, dans
une précédente déclaration qui, de la
même façon, combinait des faits établis
et de vagues insinuations, Bensouda
avait déjà lancé une mise en garde :
« La violence
contre des civils – dans une situation
telle que celle qui prédomine à Gaza –
pourrait constituer un crime, selon le
Statut de Rome de la CPI (…) comme le
pourrait également le recours à la
présence de civils dans le but de
protéger des activités militaires. »
Au contraire de la violence massive
exercée par Israël contre des civils,
aucun incident du genre « recours à
la présence de civils dans le but de
protéger des activités militaires »
n’a été renseigné, sauf peut-être dans
les colonies israéliennes à proximité de
la bande de Gaza, où des militaires se
déploient régulièrement durant la
Marche.
« Présenter une
situation extrêmement déséquilibrée
comme équilibrée est aussi déplacé
moralement que ce n’est indéfendable sur
le plan intellectuel », écrivait
Gregory Shupak mardi dans un article
qui, alors qu’il analysait la couverture
médiatique de la Marche, aurait plutôt
dû se pencher sur les tentatives de
Bensouda d’imposer une équivalence dans
un scénario où il n’y en a aucune.
« Ce ne sont pas
les preuves qui manquent »
« S’adressant à
un groupe de collègues qui avaient
participé à une réunion où Bensouda
était absente, mais pas certains des
membres de son équipe, ils ont rapporté
qu’ils avaient eu l’impression qu’il n’y
avait »pas de volonté politique
réelle », même pour entamer une enquête
en propre et due forme », a déclaré
Suzanne Adely, membre de l’Association
internationale des avocats démocratiques
(IADL), dans MintPress.
Le 13 septembre,
l’IADL lançait une pétition demandant à
la CPI d’aller de l’avant et de lancer
une enquête et d’entamer des poursuites
contre Israël.
« Ce ne sont pas
les preuves qui manquent, dans les
crimes de guerre d’Israël, mais la CPI
n’a pas entrepris la moindre action
sensée en vue de demander des comptes à
Israël », a ajouté Adely. « Mais
il est toujours impératif de tenter de
le faire. »
22 octobre 2018. Une femme réconforte
un garçon blessé qui s’est fait tirer
dessus les troupes
israéliennes à la
côte, à la frontière entre Israël et le
nord de Gaza. (Photo : Khalil Hamra |
AP)
« Des crimes de
guerre »
D’aucuns espèrent
que l’ampleur des tirs israéliens contre
des civils non armés, de même que les
nombreux documents qui en témoignent,
vont inciter la CPI à agir.
Tant
Amnesty International que
Human Rights Watch, habituellement
réservés dans leurs critiques à l’égard
d’Israël, ont accusé l’État occupant de
« crimes de guerre ».
Michael Lynk,
rapporteur spécial des Nations unies
pour les droits de l’homme en Palestine
occupée, a fait écho à leur déclaration
sans équivoque le 2 octobre :
« Le fait de
tuer et de blesser des manifestants en
l’absence de toute justification
sévèrement contrôlée et dans le contexte
de l’occupation, peut équivaloir à une
volonté de tuer, ce qui constitue une
grave violation de la Quatrième
Convention de Genève ainsi qu’un crime
de guerre.
« Il s’agit également d’une grave
violation de la législation en matière
des droits humains internationaux et des
protections qu’elle prévoit quant aux
droits à la liberté d’expression et de
rassemblement. »
« Pas assez
africain »
Mais certaines
personnes soupçonnent que, même si la
simple réalité des massacres de
manifestants sans armes par Israël à la
frontière de Gaza pouvait venir à bout
des réticences et des dérobades de
Bensouda, la nature même de la CPI en
tant que telle pourrait constituer un
défi encore plus insurmontable.
« Aucun
dirigeant occidental n’a jamais été
poursuivi – ni n’a jamais fait l’objet
d’une enquête – par la CPI », a
expliqué Audrey Bomse, vice-présidente
du sous-comité pour la Palestine de la
National Lawyers Guild (Guilde nationale
des avocats), à MintPress.
Au cours de ses 16
années d’existence, la CPI a poursuivi
43 accusés, alors que 15 autres sont
restés en liberté.
Sans exception, chacun d’entre eux
était africain. Presque tous étaient
noirs.
« Tony Blair n’a
pas été jugé pour son implication dans
la guerre de l’Irak de 2003, du fait que
le procureur a estimé que »la décision
du Royaume-Uni de partir en guerre
contre l’Irak tombait en dehors de la
juridiction de la Cour » », a
expliqué Bomse. « On a même plaisanté
en disant qu’il n’était » pas assez
africain » pour être condamné. »
« Le jouet des
puissances impériales en déclin »
L’an dernier,
l’Union africaine a adopté une
résolution non contraignante appelant
ses États membres à se retirer
massivement de la CPI, que le président
du Kenya Uhuru Kenyatta – jadis accusé
lui aussi par la CPI – a qualifiée de
« jouet des puissances impériales en
déclin ».
Quelques années
plus tôt, bon nombre de ces mêmes États
africains avaient rallié la CPI, surtout
en vue d’obtenir un accès aux lucratifs
marchés occidentaux par le biais de
l’accord de Cotonou.
Les accords
commerciaux d’Israël, bien plus
avantageux, n’ont pas été soumis à de
telles contraintes.
« Afin de
sauvegarder sa légitimité – puisqu’on
l’accuse d’être un tribunal qui ne
poursuit que des criminels de guerre
africains –, la CPI pourrait ouvrir une
enquête sur les actions d’Israël tant à
Gaza qu’en Cisjordanie. Finalement »,
a ajouté Audrey Bomse, « je pense
qu’il est très peu probable que le
moindre dirigeant militaire ou politique
israélien soit poursuivi par la CPI. »
Au vu de la
réputation en déclin de la CPI et du
fait que sa validité reste une question
ouverte, les hauts fonctionnaires du
tribunal sont susceptibles de peser
minutieusement soigneusement leur
prochaine démarche.
« S’ils
agissent, je pense que c’est parce
qu’ils ont besoin de conserver leur
légitimité face aux pressions
croissantes de la communauté
internationale », a déclaré Adely.
Publié le
28/10/2018 sur
Mintpress
Traduction : Jean-Marie Flémal
Joe Catron est
journaliste pour le compte de
MintPress. Il couvre la Palestine et
Israël. IL est également activiste de la
solidarité et reporter free-lance.
Récemment, il est rentré à New York
après avoir séjourné à Gaza durant trois
ans et demi. Il a écrit fréquemment pour
The Electronic Intifada et pour
Middle East Eye et il a participé
à la publication de The Prisoners’
Diaries: Palestinian Voices from the
Israeli Gulag (Journaux de
prisonniers : Voix palestiniennes du
goulag israélien), une anthologie de
récits de détenus libérés lors de
l’échange de prisonniers de 2011.
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