Justice ?
Tariq Ramadan ou le présumé coupable
Jeunesse citoyenne

Dimanche 18 février 2018
L'affaire Ramadan
affole les médias et la toile. Pour
cause, une question demeure au vu du
traitement médiatique et judiciaire du
dossier. Est-ce le musulman ou le
citoyen que l'on juge? Décryptage ...
Les affaires de
harcèlements et d’agressions sexuelles
ont largement occupé l’espace médiatique
de la rentrée 2017. Et ce pour une
raison simple, les personnes mises en
cause sont des personnalités publiques
reconnues ou de haut rang. Si les
journalistes ne sont pas avares de
détails et de commentaires sur les
affaires, il faut néanmoins admettre que
le traitement médiatique varie selon la
personnalité mise en cause. La
présomption d’innocence n’a pas le même
effet lorsque l’on parle d’un ministre
encore membre du gouvernement - et qui a
toute la confiance du premier ministre -
ou d’un universitaire réduit au titre de
prédicateur sulfureux. L’affaire Ramadan
révèle la schizophrénie médiatique qui
tantôt rappelle le droit et le statut du
présumé innocent tantôt n’hésite pas à
organiser le lynchage à travers des
débats à charge ou la présomption
d'innocence est sacrifiée sur l’autel
des convictions personnelles et de la
rancoeur.
Est-ce le
musulman ou le citoyen que l’on juge?
“Qu’est ce que
prévoit vos textes sacrés sur celui qui
viol?” C’est dans ces termes que Jean
Pierre El Kabbach interpelle Amar Lasfar
(président des musulmans de France) lors
d’un entretien télévisé au plus haut de
l’affaire Ramadan. Comment comprendre la
question? Faudrait-il juger l'intéressé
selon d’autres lois? La question de M.
El Kabbach met en évidence la confusion
qui règne dans l’esprit des
journalistes. Qui peut imaginer qu’une
telle question ait été posée à Dominique
Strauss-Khan lors de l’affaire du
Sofitel “Qu’est-ce que prévoit le
Talmude sur celui qui viol?” Question
impensable, car DSK est jugé en tant que
citoyen, Tariq Ramadan en tant que
musulman-citoyen. L’amalgame entre
l’individu c’est-à-dire le citoyen et
son statut, en l'occurrence “un
prédicateur musulman” pour la presse
occidentale, est rapide et efficace
puisque l'interviewé répond tout
naturellement à la question sans s’en
offusquer: “Aujourd’hui, on ne se réfère
pas aux textes sacrés en matière de
législation, nous avons une loi
française.” Est-ce le musulman ou le
citoyen qui est jugé? À en croire le
traitement médiatique que subit
l'intéressé, rien n’est moins clair.
Duplicité de
la personnalité … mais selon quel
argument?
Le 30 octobre 2017,
Caroline Fourest, journaliste et
éditorialiste est l’invité d’Yves Calvi
sur la radio RTL matin. Reconnue comme
sa principale détractrice en France
notamment pour ses confrontations lors
de plusieurs débats télévisés, mais
aussi pour lui avoir consacré un livre
“Frère Tariq” où il est question de
démontrer son imposture intellectuelle
et son double discours. Elle n’hésite
pas à se faire le porte-voix des
victimes présumées en parcourant les
plateaux télévisés pour marteler à qui
veut l’entendre “qu’elle avait raison”:
la duplicité intellectuelle supposée de
l'intéressé masquait une duplicité de la
personne. Lorsque Yves Calvi
l’interpelle sur son rôle dans
l’incitation des présumées victimes à
porter plainte, le présentateur
poursuit: “Que découvriez-vous de la
personnalité et des comportements de cet
homme?” Réponse de Caroline Fourest:
“Je savais que la personnalité de Tariq
Ramadan était double, ça je le savais
depuis très longtemps puisque j’avais
suffisamment travaillé pour le
découvrir. Je n’imaginais pas que cette
duplicité pouvait prendre des formes
aussi violentes (...) ce que l’une des
victimes m’a raconté relevait clairement
de la justice (...)”. Comment
justifier le glissement de la duplicité
supposée des idées vers la duplicité de
la personnalité? Voilà une journaliste
qui accuse un homme de double discours
depuis un certain nombre d’années et qui
nous explique que les accusations de
viol sont forcément fondées puisque s’il
à un double discours, il a de fait une
double personnalité. L’argument est
insensé, mais il a le mérite d'être osé.
“Osé” est-ce le terme qui convient à la
situation? Pas tout à fait, puisque la
détractrice - sous on ne sait quel
statut et pour quelles motivations -
arpente les plateaux télévisés et amorce
le tribunal médiatique ou la
contradiction est éradiquée au profit de
la condamnation sauvage et féroce.
Pourtant, c’est avec la même férocité
que Mme Fourest prétendait avoir gagné
son procès dans l’émission “On n’est pas
couché” devant Aymeric Caron qui
l’accusait d’avoir été condamné pour
diffamation dans une chronique sur
France culture ou encore le même Tariq
Ramadan qui démontre en direct lors de
l’émission “Ce soir ou jamais” qu’il
existe des erreurs dans les citations de
son livre “Frère Tariq”. Vérifications
faites, Caroline Fourest a bien perdu
son procès et les citations visées dans
son livre sont bel et bien tronquées. La
journaliste est donc coutumière des
allégations approximatives et
mensongères. C’est la raison pour
laquelle la vigilance est requise quant
à ses affirmations sur l’affaire Ramadan
d’autant plus que l’affaire est en cours
d’instruction et que de nouveaux
éléments sont constamment versés au
dossier.
Journalistes ou
magistrats?
Le tribunal
médiatique est ouvert: les journalistes
occupent la place des magistrats, les
questions sont inquisitrices; les
plateaux télévisés se transforment en
cours d’assises, les débats se
métamorphosent en plaidoyer pour la
condamnation de l’accusé. La flopée
d’articles, débats et reportages
raisonnent comme un même son de cloche.
Comme lobotomisé, les chroniqueurs,
journalistes et autres commentateurs
abattent à bout portant les règles
journalistiques de base, le vocabulaire
est touché. Voilà que la plaignante est
qualifiée de victime, que le
présumé innocent devient celui qui
persiste à nier. Le langage est à
charge, l’opinion publique s'emballe, le
show peut commencer. Les témoins sont
appelés à la barre. Manuel Valls,
Caroline Fourest, Ian Hamel, Jean Pierre
El Kabbach, et bien d’autres donnent le
ton des débats ou faudrait-il dire des
sentences. Hier des adversaires
politiques et idéologiques, aujourd’hui
des accusateurs acharnés qui saturent
l’espace médiatique. Les complices sont
convoqués à la barre. Edwy Plenel, Edgar
Morin, Pascal Boniface, Alain Gresh sont
sommé de s’expliquer. Vous saviez?
Pourquoi n’avez-vous rien dit? Êtes-vous
mal à l’aise? Répondez! Les intéressés
se débattent comme si l’on maintenait
leur tête sous l’eau. À ce moment
précis, la moindre erreur de vocabulaire
peut briser une carrière, anéantir une
réputation. Les mots sont choisis, la
nuance est requise. Les invités
défilent, les uns pour confirmer
l’accusation, les autres pour abdiquer.
Rien ne doit entraver le rouleau
compresseur qui est marche. Voilà une
situation cocasse ou les médias de l’une
des plus grandes démocraties
s’accordent pour organiser le lynchage
d’une personnalité sur des faits
présumés au nom du droit des femmes. Ces
mêmes médias qui offrent un silence
assourdissant sur l’affaire Darmanin et
sur la scène invraisemblable d’un
ministre qui est ovationné par une
assemblée qui le soutient contre la
plainte d’une femme qui l’accuse de
viol. Monsieur Valls, Madame Fourest ou
est donc votre micro? Votre silence
révèle votre double indignation: féroce
pour le médiocre prédicateur, inoffensif
pour le puissant ministre. Mesdames et
messieurs les débats sont clos, l’accusé
est condamné … le procès n’aura pas
lieu.
Tariq Ramadan
… un justiciable comme les autres?
Ce dernier
paragraphe prend sa source dans un
sentiment personnel et n’engage que son
auteur. Si en théorie, l’institution
judiciaire symbolise l’indépendance en
refusant toute forme d'accointance
politique ou économique, il y a
néanmoins dans cette affaire des
éléments qui pousse à croire que le
traitement de M. Ramadan va à l’encontre
de toute forme d'impartialité et
démontre à quel point le deux poids et
deux mesures est encore profondément
enracinées dans un pays qui se flatte
d’appliquer le même droit à chaque
justiciable. La justice n’a pas vocation
à juger un homme politique, un artiste,
un sportif ou un prédicateur. Elle n’a
pas vocation à juger un juif, un
musulman, un chrétien ou un athée. Elle
n’a pas non plus à juger un riche ou un
pauvre, un noir ou un blanc, un homme ou
une femme. Elle s’en tient à juger un
citoyen sur des faits. Or, si l’on s’en
tient aux faits dans cette affaire, rien
ne peut justifier une mise en détention
provisoire de l’accusé. Pour cause, un
prévenu qui se rend de lui-même à la
justice, une pièce importante invalidant
la version d’une plaignante est égaré
par on ne sait quelle roublardise, une
plaignante qui change à plusieurs
reprises de version, une autre qui
refuse la confrontation, des éléments
probants versés au dossier par M.
Ramadan qui contredisent la version
étayée par les deux plaignantes. Des
éléments qui ne prouvent pas l’innocence
de l’accusé à ce stade, mais qui mettent
en évidence la complexité de l’affaire
et l’important travail d'enquête à
réaliser pour rétablir la vérité.
En filigrane de
cette affaire, on s’aperçoit combien, le
statut du prévenu et l’opinion publique
lui sont défavorables tant on en arrive
à se demander si c’est le citoyen ou le
“prédicateur sulfureux” que l’on juge.
Et pourtant rappelez-vous … Gérald
Darmanin, accusé de viol est encore au
gouvernement et reçoit l’ovation d’une
assemblée qui soutient l’un des siens,
Denis Baupin accusé de viol comparait
libre et conserve de manière naturelle
son mandat de député durant toute
l’instruction, Georges Tron accusé de
viol en réunion et agressions sexuelles
par personne ayant autorité est mise en
examen et comparait libre. Un deux poids
et deux mesures qui questionnent
l’impartialité de la justice. Venons-en
au fait et soyons claires: cela fait
plus de vingt cinq ans que Tariq Ramadan
participe au débat public en France et
en Europe. Si ses positions font
régulièrement l’objet de polémiques
(très largement en France), il n’en
reste pas moins l’un des penseurs
musulmans les plus influents de ces
vingt dernières années. Intervenant dans
plus d’une dizaine d’universités à
travers le monde, professeur à Oxford,
auteur d'ouvrages étudiés et commentés
partout dans le monde. Le personnage
fait peur à ses détracteurs, à
l’évidence, il ne s’agit pas du petit
prédicateur de banlieue auquel on veut
le réduire dans la presse, mais d’un
penseur et intellectuel reconnu à
l’échelle international et qui a ses
entrées dans les plus grandes
institutions académiques.
Au vu des éléments
que nous avons parcourus à travers ce
texte, nous pensons que le traitement
qui lui est réservé ne vise pas à rendre
la justice, mais à briser le symbole,
étouffer le discours, démolir l’homme,
neutraliser les idées, anéantir toute
forme de retour dans le débat public.
L’affaire Ramadan ne concerne pas plus
l’homme que ses idées. Est-ce le
musulman ou le citoyen que l’on juge ? À
vous de juger …
Le sommaire de Tariq Ramadan
Les dernières mises à jour

|