Syrie
La BBC trahit les principes
journalistiques les plus élémentaires
quant il s'agit de la Syrie
(American Herald Tribune)
Jeremy Salt
Vendredi 19 janvier 2018
La BBC trahit les
principes journalistiques les plus
élémentaires quant il s'agit de la Syrie
Article originel :
BBC Betrays the Most Basic Journalistic
Principles When It Comes to Syria
Par Jeremy Salt
American Herald Tribune, 15.01.18
Mensonges,
manipulations et falsifications ont
toujours été «de bonne guerre», la
vérité étant la « première à être
sacrifiée ». Mais les deux dernières
décades ont vu, du fait de la
technologie, une escalade sans précédent
des falsifications en période de guerre.
Les mensonges des Etatsuniens, des
Britanniques, des Australiens et de
leurs alliés avaient déjà atteint un
paroxysme, avant et pendant l’invasion
de l’Irak de 2003. Ensuite, on a eu
droit au tissu de mensonges sur
l’épisode libyen, comme ceux sur les
mercenaires africains « shootés » au
viagra. Et le summum est atteint, depuis
sept ans, avec la Syrie et sa fameuse
« révolution », dont les informations
nous parviennent sous forme de photos
truquées, de montages et de
reconstitutions, le tout cautionné par
les médias grand public.
A de rares
exceptions près, les médias anglo-étatsuniens
(Etats-Unis, Grande-Bretagne, France,
Australie et Canada) n’ont pas couvert
la crise syrienne en tant que telle.
Leur information a consisté en un
déferlement de propagande, par vagues
successives. Dire que la crédibilité des
médias n’est jamais descendue aussi bas
serait un euphémisme. Elle est même
nulle pour ce qui touche au
Moyen-Orient, à l’exception d’une
poignée de correspondants qui rectifient
occasionnellement le tir.
En se fiant à la
parole des « rebelles » et des « activistes »
et en refusant de diffuser celle du
gouvernement syrien, les médias ont
déversé sur la toile un tissu de
mensonges destiné à justifier et
perpétuer une fois de plus l’agression
« occidentale » à l’encontre d’un pays
arabe, à la différence près qu’il ne
s’agit pas cette fois, d’une agression
militaire ouverte comme en Irak ou en
Libye, mais qu’elle est perpétrée par
des groupes armés terroristes
intermédiaires qui tuent et sèment le
chaos à travers tout le pays.
Si l’on s’en tient
aux normes admises, il n’y a pas de
« modérés » parmi ces groupes. Le
vice-président étatsunien Joe Biden a
vendu la mèche à ce sujet en 2014 en
disant ouvertement que les « rebelles »
ne comptaient aucun groupe modéré dans
leurs rangs. Il peut leur arriver de se
battre entre eux sur des questions de
territoire, d’armes, et de
pouvoir, mais ils ont la même idéologie
que leur ennemi officiel – qui est aussi
l’ennemi désigné par les gouvernements
occidentaux – l’Etat Islamique :
l’objectif majeur commun à tous ces
groupes est l’élimination des Chiites et
des Alaouites et l’établissement d’un
régime islamique takfiriste
(d’excommunication) à Damas.
Les derniers gros
titres auxquels nous avons eu droit sont
consacrés au « siège »
imposé par le « régime » aux
habitants de la Ghouta orientale, une
région située aux environs de Damas, sur
fond d’histoires poignantes d’enfants
mourant de faim ou de refus de soins
hospitaliers. La responsabilité de ces
exactions est imputée au régime,
exonérant ainsi le groupe takfiri
Jaysh al-Islam (l’Armée de l’Islam) de
toute implication – John Kerry lui-même
désignait ce groupe comme une branche de
l’Etat Islamique et du Front al-Nosra.
Ces groupes, armés et financés par des
gouvernements étrangers, dont l’Arabie
Saoudite et le Qatar, se sont emparés
d’une grande partie de la région et y
maintiennent la population en otage.
Leur élimination, légitimement
entreprise par le Gouvernement syrien,
entraîne la mort de civils. Les
reportages qui parlent du « siège »
de la Ghouta et du soutien sincère
apporté par la population aux groupes
takfiris sont donc aussi affabulateurs
que ceux qui ont relaté l’épisode d’Alep
Est. Dans sa restitution médiatique, il
était présenté comme un « siège »
imposé par le « régime« , mais
lorsque la ville a été libérée de ses
occupants takfiris, les habitants ont
dansé de joie dans les rues ! Il se
produira la même chose dans la Ghouta,
dans les différents secteurs d’où les
groupes terroristes seront chassés.
On évoque
maintenant un recours aux armes
chimiques par le « régime » dans
cette région. Selon le site web
d’informations de la BBC (‘‘Syrian
war: Reports of chlorine gas attack on
rebel-held Eastern Ghouta’ –
« Guerre en Syrie : Signalement
d’attaques au chlore perpétrées dans la
Ghouta orientale tenue par les
rebelles » 13 janvier), « des
personnes » ont fait état d’une
odeur de gaz à la suite d’une attaque de
missile. Un « soignant » est
également mentionné, ainsi qu’un « travailleur
humanitaire » selon lequel dix
hôpitaux seraient concernés. Rien de
réellement concret, aucune preuve d’une
attaque au chlore, pas plus que de
confirmation ultérieure de ces
informations par la BBC.
Cette dernière
réalise de merveilleux documentaires sur
la faune et d’excellents long-métrages
mais, pour ce qui est du conflit syrien,
elle a totalement enfreint les règles
déontologiques du journalisme en matière
d’objectivité et de pondération. Tout
comme les autres médias [de
l’establishment dont Le Monde, Le Temps,
Libération, Ndlr] elle diffuse le point
de vue des « rebelles » et des « activistes ».
Les accusations portées par ces groupes
apparaissent en gros titres sans être
étayées, leur vocation n’étant pas
d’informer mais de dénigrer le
gouvernement syrien, dont le point de
vue n’est jamais présenté
autrement que sous l’angle du déni : « Le
gouvernement syrien rejette les
accusations…. » Ce jeu symbiotique
entre les groupes terroristes et les
médias fonctionne depuis sept ans. A
travers ces informations biaisées, les
médias ont soutenu le conflit syrien et
doivent à ce titre assumer leur part de
responsabilité des énormes destructions
humaines et matérielles qu’il a
générées.
Parmi tous les
organes de presse, la BBC bat les
records de la non-crédibilité sur cette
question des armements chimiques. En
2013, elle s’est compromise dans
l’invention d’une prétendue
attaque à l’arme chimique contre une
école d’Alep. Enfants et jeunes gens
gémissant sur le sol, visages recouverts
de crème à raser, effets théâtraux pour
donner l’illusion de brûlures et
de lambeaux de peau arrachés, le tout
n’était qu’ une grotesque mise en scène
avec de mauvais acteurs. La femme qui
s’adressait à la caméra, le Dr Roula,
s’est révélée être Roula al-Hallam, la
fille d’un membre de l’opposition
syrienne en exil. Avant ce montage, il y
avait eu l’histoire de la jeune femme
qui avait prétendu en pleurant comme un
veau que des bébés étaient jetés de
leurs couveuses par des soldats irakiens
après l’invasion du Koweït en 1991. On
avait découvert qu’il ne s’agissait pas
d’une infirmière de l’hôpital, mais de
la fille de l’ambassadeur du Koweït aux
Etats-Unis. Ce montage théâtral avait
été produit par une société de Relations
Publiques.
Dans le délai de
quelques heures qui s’était écoulé avant
sa deuxième diffusion le 30 août, la
première déclaration du Dr Roula (en
date du 29 août), établissant qu’il
semblait s’agir d’une attaque au
napalm, avait été remplacée par « une
attaque à l’arme chimique« . Le film
était identique, il s’agissait du même
Dr Roula, mais les mots sortant de sa
bouche n’étaient pas les mêmes.
La date de ce
montage est centrale dans cette
histoire. Le 21 août, qui est le jour
précis où des experts en armements
chimiques mandatés par les Nations Unies
sont arrivés à Damas, le gouvernement
syrien était accusé d’avoir orchestré
une attaque chimique dans la région de
la Ghouta qui aurait tué des
centaines de personnes. Le 26 août,
avait lieu la prétendue attaque au
napalm – devenue ensuite une attaque
chimique – contre l’école d’Alep. Les 29
et 30 août, ces accusations étaient
diffusées deux fois par la BBC, avec le
remplacement du mot « napalm »
par « chimique » dans le second
reportage. Plus tard dans la même
journée (30 août), la Chambre des
Communes votait sur la question de
l’intervention militaire en Syrie. Le
gouvernement de Cameron perdait
finalement la partie, mais de très peu
(285-272). La diffusion de ce montage
produit par la BBC avait
vraisemblablement eu pour but de faire
basculer le vote en faveur d’une
intervention.
Cette (prétendue)
attaque chimique dans la région de la
Ghouta à la périphérie de Damas – qui
devait préparer et justifier une
intervention militaire contre la Syrie –
n’a jamais été expliquée par les médias
qui avaient faussement accusé le
gouvernement syrien. L’identité des
enfants dont les corps avaient été
exhibés (parfois les mêmes corps en
différents emplacements) reste un
mystère. Ils ont été utilisés à des fins
de propagande avant de disparaître pour
toujours. Les takfiris ont récemment
massacré des centaines d’Alouites dans
le Gouvernorat de Lattaquié et ont
kidnappé des dizaines de femmes et
d’enfants : selon Mère Agnès, la
religieuse qui, faisant ce que les
médias auraient dû faire, a cherché à
connaître la vérité, certaines mères ont
identifié les enfants de la Ghouta comme
étant les leurs.
Les preuves
établies par des scientifiques et des
journalistes, en particulier celles
établies par Seymour
Hersh, ont irréfutablement montré
que les tirs d’armes chimiques
provenaient de positions tenues par les
takfiris. Barack Obama a déclaré qu’une
attaque aux armes chimiques
constituerait sa « ligne rouge » et les
takfiris se sont employés à la lui faire
franchir. L’implication vraisemblable
d’autres gouvernements dans cette
provocation était un autre sujet auquel
les médias n’ont pas donné suite.
Le New Yorker
ne s’intéressant pas à son histoire,
Hersh l’a soumise à la London Review
of Books (magazine politique et
littéraire), qui l’a publiée.
Quand il a relaté le mensonge sur la
deuxième pseudo-attaque, à Kan Shaikhum,
en avril 2017, il a dû se tourner vers
un éditeur allemand (Die Welt). Son côté
« diseur de vérités qui dérangent » lui
a valu une rapide baisse d’intérêt de la
part des médias alors
qu’incontestablement, c’est un
remarquable journaliste d’investigation,
à commencer par sa couverture du
massacre de My Lai pendant la guerre
que les USA ont menée au Vietnam (et
dans d’autres pays limitrophes). Alors
que Trump a bombardé une base aérienne
syrienne près de Khan Shaikhum, Obama,
lui, a battu en retraite à la dernière
minute. Selon Hersh, les spécialistes du
renseignement savaient que le
gouvernement syrien n’était pas derrière
l’attaque aux armes chimiques des
environs de Damas mais « Comment
servir ce gars – Obama – quand lui et
son équipe de la Maison Blanche
maquillent les renseignements au fur et
à mesure ? ».
La guerre en Syrie
se poursuit. Elle est, comme beaucoup
l’avaient prédit, loin d’être terminée :
mais pour ce qui concerne l’intervention
extérieure, elle n’aurait jamais dû
commencer. Alors que l’anéantissement de
l’Etat Islamique en Syrie, qui
justifiait la présence de son armée, est
virtuellement achevé, l’Amérique refuse
de quitter le terrain. Elle a joué un
double jeu, déclarant la guerre à l’EI
tout en coopérant secrètement avec lui
de différentes façons. Elle a misé sur
la création d’une principauté salafiste
dans la partie orientale de la Syrie et
l’Etat Islamique l’a fait. Elle a laissé
les combattants terroristes
quadriller le désert syrien, en
direction de Mossoul et de Palmyre, sans
intervenir, alors que sa reconnaissance
par satellite avait clairement repéré
les ornières creusées par leurs camions
dans la poussière estivale. Au cours de
leur déplacement vers Deir Ezzor, les
forces spéciales de l’armée étatsunienne
ont traversé des positions tenues par
l’Etat Islamique ; c’est avec leur aide
que des combattants takfiris et leurs
familles ont pu sortir de Raqqa ; nombre
d’entre eux, rebaptisés comme
« rebelles », ont bénéficié de
l’entraînement dispensé par l’armée
étatsunienne sur sa base de al-Tanf.
Loin de se retirer
de Syrie, les Etats-Unis s’y retranchent
même plus profondément. Ce n’est pas
pour les Kurdes ni pour le bien du
peuple syrien. C’est pour leurs intérêts
et vraisemblablement ceux d’Israël – qui
vient de passer un an à préparer sa
prochaine guerre, avec le Liban dans sa
ligne de mire prioritaire, et qui admet
avoir tiré au moins 100 missiles contre
la Syrie. Les Etats-Unis ne quittent pas
non plus l’Afghanistan. En aucun endroit
d’ailleurs, il n’est question qu’ils
désarment ou se rabattent ; ils
renforcent au contraire leur position
globale, à l’affût de toute opportunité
qui puisse les avantager dans leur
rivalité avec la Russie et la Chine. La
Syrie est actuellement prise dans cet
étau.
La rhétorique
creuse qui consiste à soutenir
« uniquement les rebelles » se poursuit.
Si les groupes takfiris regroupés dans
Jaysh al-Islam ne sont pas
officiellement désignés en tant que
groupe terroriste, c’est parce que,
lorsque la Russie a proposé, en novembre
2016, de les ajouter à la liste de
sanction des Nations Unies, les
Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni
y ont opposé leur véto. Ces pays
soutiennent politiquement les
terroristes, qui reçoivent dans le même
temps de l’Arabie saoudite et de
quelques autres pays l’argent et les
armes nécessaires pour maintenir en
otage la population de la Ghouta
orientale. C’est cela la vraie réalité
du « siège » de cette région.
* Ancien
journaliste, Jeremy Salt est maintenant
professeur d’Université. Il travaille au
Département de Sciences Politiques et
d’administration Publique, de
l’Université de Bilkent, à Ankara, où il
dispense des cours sur l’histoire
moderne du Moyen-Orient et sur la
propagande. Son ouvrage le plus récent
« The unmaking of the Middle East– A
History of Western Disorder in Arab
Lands » (Berkeley: University of
California Press, 2008.)
Le
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