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Les deux fautes d’Emmanuel Macron
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Mercredi 31 mai 2017
Emmanuel Macron a commis deux erreurs.
Elles constituent de véritables fautes
politiques. Leur proximité indique les
limites de sa présidence. Elles peuvent
encore être corrigées, mais le Président
en a-t-il le désir et la volonté ? Ce
que ces fautes nous révèlent, c’est
peut-être la vérité de ce que sera la
Présidence Macron.
Une odeur d’affairisme
La première est
indiscutablement le mode de gestion de
ce que l’on peut appeler « l’affaire »
Richard Ferrand. Vient alors s’y joindre
l’affaire autour de Murielle de Sarnez,
mais aussi l’affaire François Bayrou.
Ces trois personnes sont actuellement
des ministres du gouvernement Edouard
Philippe. Ils ont été des piliers de la
candidature d’Emmanuel Macron : Richard
Ferrand étant le secrétaire générale de
La République en Marche, le parti
du Président, et François Bayrou ayant
été l’un des principaux alliés
d’Emmanuel Macron.
On dira qu’il n’y a
rien eu d’illégal. Cela reste à prouver,
mais ne constitue pas le cœur de
l’affaire. Cette dernière est morale
avant d’être légale. L’odeur
d’affairisme qui se répand désormais
autour du gouvernement, un gouvernement
que le Président voulait exemplaire, est
dévastatrice pour sa légitimité. Quand
ce gouvernement va, par ordonnances,
gravement attaquer les droits des
salariés, quand ce gouvernement va
accroître les impôts (par la CSG) et
baisser les cotisations chômages, cette
odeur d’affairisme deviendra
parfaitement insupportable.
On dira que le
Président n’a pas à demander à des
ministres qui ne sont pas encore mis en
cause par la justice de démissionner. On
devrait même dire qu’une mise en examen,
en bonne logique, ne devrait pas
entraîner de démission, car tout accusé
est présumé innocent jusqu’à ce que la
justice le déclare coupable. Mais, c’est
encore une fois se retrancher derrière
le légal quand c’est le moral qui est en
cause. Et c’est là tout le problème.
Emmanuel Macron a fait de la question du
comportement de ses (futurs) ministres
une question morale, une question de
légitimité. Il ne peut aujourd’hui
revenir en arrière et prétendre se
cacher derrière des arguments de
légalité. Ou, alors, cela signifie que
ses principes sont à géométrie variable,
intangibles pour ses ennemis, ajustables
pour ses amis.
Car, la vérité d’un
homme se révèle dans la manière dont il
traite ses amis, et non ses ennemis. La
démonstration qu’Emmanuel Macron est en
train de faire est qu’il est un
politicien comme les autres, un adepte
du double discours. Cette démonstration
sera un acide qui rongera sa Présidence
jusqu’à la racine. Il peut encore faire
la démonstration inverse, et se décider
à se séparer des ministres sur lesquels
plane le doute ; la femme de César n’a
pas à être suspectée, et les ministres
de la République doivent être
inattaquables. Mais, s’il ne prend pas
cette décision très vite, alors le mal
sera fait.
Une odeur
d’autoritarisme
La seconde erreur
réside dans sa réaction vis-à-vis de la
presse. Emmanuel Macron a ainsi déclaré
que les journalistes n’ont pas à
s’ériger en juges. C’est exact ; mais on
aurait aimé qu’il le dise non pas quand
ses ministres sont attaqués, mais quand
la presse a commencé à se déchaîner
contre tel ou tel de ses adversaires.
Cette déclaration,
juste sur le fond, révèle alors le
mépris dans lequel Emmanuel Macron tient
ceux qui s’opposent à lui. Il montre
que, là encore, le Président applique un
double langage. Venant après une
campagne présidentielle qui fut
extraordinairement violente, venant
après des comportements de journalistes
qui ont été scandaleux, et qui le sont
encore comme on peut le voir dans le
traitement des principaux adversaires de
LREM, cette déclaration relève en
réalité du plaidoyer pro domo.
Elle n’a donc aucune légitimité, et de
ce fait, aucune crédibilité.
Mais, cette
déclaration est aussi grave car elle
révèle la volonté d’instrumentaliser la
presse au profit de sa Présidence. Le
nombre de sociétés de journalistes, pas
une, pas deux, mais en réalité quinze,
qui ont protesté devant les tentatives
d’instrumentalisation est révélateur[1].
Emmanuel Macron voudrait que les
journalistes lui appliquent certaines
règles, toutes de déférences, et se
déchainent sur ses adversaires. C’est
revenir aux pratiques du Second Empire,
ou de Charles X. Cela ne peut que rendre
ridicule et odieux l’attaque publique
qu’il a faite lundi 29 mai contre deux
médias russes. Que le contenu de ces
médias ne lui plaise pas, c’est son
droit. S’il se considère avoir été
calomnié, qu’il les attaque devant la
justice. S’il y a eu diffamation, c’est
à un tribunal de trancher. Cela
s’appelle l’état de droit. Mais, ce qui
se dévoile dans les pratiques de la
nouvelle Présidence et dans sa récente
déclaration montre que c’est à une
véritable mise au pas de la
Presse qu’Emmanuel Macron entend
aboutir. Et pourtant, cette même presse,
des chaines de télévisions aux
hebdomadaires dits politiques qui ont
multiplié à loisir les unes consacrées à
Emmanuel Macron durant ces derniers
mois, avait donné de nombreux gages de
sa docilité. Mais, le Président veut
plus ; il veut tout.
La faute est
grave ; elle est lourde. Emmanuel Macron
n’a que quelques jours pour chercher à
réparer les dommages causés. On peut
douter qu’il en est conscience. Au-delà,
on peut douter qu’il le veuille.
Cela commence donc
à faire beaucoup. Entre l’odeur – il
n’est plus temps de parler de parfum –
d’affairisme qui vient de ses alliés, et
l’autoritarisme que révèle son rapport à
la presse, mais aussi à la politique, et
l’on en revient ici au projet de
légiférer par ordonnances, la Présidence
Macron pourrait faire reculer
dramatiquement la démocratie en France.
Mais la France intéresse-t-elle encore
Emmanuel Macron ? Perdu dans ses rêves
européens, se croit-il tout puissant ?
Nous sommes
désormais à moins de deux semaines du
premier tour des élections législatives.
Les Français peuvent encore freiner ce
gouvernement sur la pente dangereuse
dans laquelle il s’est engagé en
refusant de lui donner une majorité, et
en votant contre ceux des candidats qui
d’ores et déjà annoncent leur volonté de
composer avec le Président.

[1] Voir
http://www.bfmtv.com/politique/lettre-ouverte-des-journalistes-a-macron-1167116.html
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