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Valls et le renoncement
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mercredi 27 août 2014
Le nouveau gouvernement « Valls-2 »
inquiète, et pour plusieurs raisons. La
première est que, loin de mettre fin à
la crise politique rampante qui dure
depuis plusieurs mois, il va, au
contraire l’exacerber. Ce n’est pas en
changeant des ministres que l’on résout
les problèmes de l’heure. La « Valls-e »
des ministères, si elle permet – peut
être – une meilleure cohérence
politique, réduit l’assise de ce
gouvernement à une tête d’épingle.
Certes, c’est cohérent, une tête
d’épingle, mais comme assise politique
on fait mieux…À moins que Valls n’espère
des ralliements sur sa droite. Il risque
fort, sur ce point, d’être déçu. A moins
de trois ans des prochaines échéances
électorales, on ne voit pas pourquoi des
députés UMP ou UDI prendrait le risque
de s’allier à un gouvernement
nécessairement impopulaire, même si
certains peuvent en apprécier les
politiques. De plus, cette hypothétique
alliance validerait les discours qui
disent qu’il n’y a plus de différence
entre PS et UMP. En fait, le choix était
simple : changer de politique ou
retourner aux urnes, afin d’obtenir un
mandat populaire clair sur les
orientations du gouvernement qui, à
l’évidence, ne sont plus celles de 2012.
Le Président et son Premier-Ministre
n’ont voulu faire ni l’un ni l’autre. Et
l’on appelle cela une décision, et l’on
veut voire dans ce gouvernement un
exemple de courage politique ? On
imagine que Clémenceau, auquel Manuel
Valls aime bien se comparer, s’est
retourné dans sa tombe.
Car, derrière les postures et les
coups de mâchoire de Manuel Valls, c’est
en réalité et comme toujours, la volonté
d’allier la chèvre et le chou. Sauf que
l’on sait bien qui mangera l’autre. En
fait, c’est une politique profondément
anti-démocratique qui est mise en œuvre
aujourd’hui. C’est cette politique que
Manuel Valls est allé faire applaudir à
l’Université d’été du MEDEF ce mercredi
27 août. Les Français le ressentent ; on
peut s’attendre à ce qu’ils ne la
tolèrent pas. Ce gouvernement risque
donc de s’enferrer dans des batailles
parlementaires continuelles, qui
pourraient rendre inévitable une
dissolution à la fin de l’hiver. A ce
compte, mieux aurait valu une
clarification immédiate. Les
déclarations faites mardi à 20h dans le
journal de France 2 par Manuel Valls
sont un autre motif d’inquiétude.
Visiblement, ce monsieur n’a qu’une
connaissance limitée de l’économie, et
une connaissance encore plus courte de
la politique étrangère.
La dette publique et
l’austérité.
Commençons tout d’abord par la
question de l’évolution de la dette
publique. Le rapport qui sert de base à
la discussion est Dette/PIB. Les
grandeurs sont données en Euro courants.
L’accroissement de ce rapport (vulgo :
sa dérivée…) s’écrit Δ Dette –
Δ PIB. Le premier terme, Δ
Dette, c’est le déficit budgétaire en
réalité. Le second terme correspond à
l’accroissement du PIB nominal,
autrement dit à la croissance réelle que
multiplie le taux d’inflation. Le
problème c’est qu’il y a une relation
entre le montant du déficit et le taux
de croissance. Si vous réduisez le
déficit dans la situation actuelle, que
ce soit par une réduction nette des
dépenses publiques ou par une
augmentation des impôts, vous réduisez
la croissance. On a longtemps cru que la
réduction de la croissance était
inférieure à celle du déficit (vulgo :
un multiplicateur des dépenses publiques
inférieur à 1). Ainsi, vous pouviez
réduire de 40 milliards votre déficit
(soit 2% du PIB) et n’avoir, si les
multiplicateur était de 0,5 qu’une
réduction de 20 milliards de votre
croissance potentielle (soit environ 1%
du PIB). Tout allait bien, en somme.
C’était douloureux (pour les autres)
certes, mais jouable. Or, on s’est rendu
compte que le multiplicateur était TRES
supérieur à 1 (de 1,7 à 2,2 suivant les
pays). Il est estimé, aujourd’hui, à 1,5
en France. Donc, si vous réduisez de 40
milliards votre déficit, vous réduisez
votre croissance potentielle de 60
milliards. Ce n’est plus, du tout, la
même chose. On comprend, alors, pourquoi
les politiques d’austérité CREUSENT la
dette au lieu de la réduire.
Monsieur Valls a ensuite prétendu que
la politique française n’était pas une
politique d’austérité. C’est de la
mauvaise foi pure et simple. D’une part,
comme on l’a montré, l’austérité peut
conduire à des déficits et une dette en
constante progression. On l’a vu en
Grèce, en Espagne et en Italie. D’autre
part, l’argument donné par le Premier
Ministre a été : on n’est pas dans une
politique d’austérité car on va créer 60
000 emplois dans l’éducation (en 5
ans…). Cette argumentation est
grotesque. Le chômage augmente de 180
000 personnes par an environ (et sans
doute plus) et l’on nous oppose 60 000
emplois créé en 5 ans ? Cela ferait rire
si on avait le cœur à cela.
Nous avons ensuite le taux
d’inflation. Si nous étions dans les
années 1960, avec 3,5% d’inflation, même
avec une croissance de 0,5%, un déficit
de 4% ne creuserait pas la dette
publique. Sauf que, à la suite de la
politique de la BCE, nous sommes au bord
de la déflation, avec une taux
d’inflation de 0,5%, voire moins. On
comprend tout de suite le
problème. J’entends déjà certains dire :
« Euréka, il suffit que la BCE change sa
politique ». Sauf que, les choses se
compliquent encore. En fait, l’inflation
dépend de plusieurs facteurs (sauf cas
d’une économie surréaliste auquel cas
elle dépend du facteur Cheval). En fait,
la relation de la croissance à
l’inflation dépend du taux d’inflation
dit « structurel », soit de l’inflation
que vous avez si votre politique
monétaire est dite « neutre » et que
vous êtes au plein emploi des facteurs
de production (donc, avec un chômage de
l’ordre de 3%…). Ce taux structurel
n’est pas le même dans différents pays,
ce qui est parfaitement compréhensible.
Il dépend de votre taux
d’investissement, de l’âge moyen du
capital productif, des conditions de
formation de la main d’œuvre et de votre
dynamique démographique (j’en passe et
des meilleurs, PCC Victor Hugo). Donc,
quand vous imposez un taux d’inflation
identique à plusieurs pays, mais pour
certains il correspondra, plus ou moins,
au « taux structurel » tandis que pour
d’autre il sera trop faible, ou trop
fort. Donc, quel taux devrait viser la
BCE ? Admettons qu’elle décide pour 4%
(et que les représentants allemands et
finlandais – entre autres – se suicident
sur la place publique) ; ceci va
convenir à la France et à l’Italie, mais
certes pas à l’Allemagne. En fait, on ne
peut pas avoir un taux d’inflation
harmonisé entre des pays aux structures
économiques très différentes, sauf à
imaginer des transferts financiers
importants entre eux. Pour l’Allemagne,
ce serait au minimum de 8% du PIB par
an. Oublions donc cela, il est clair que
c’est impossible.
Mais, il y a un piège dans le piège.
La question de l’inflation détermine
AUSSI en bonne partie la compétitivité
relative entre les pays. De fait, de
2000 à 2008, les taux d’inflations ont
été très différents dans la zone Euro.
Ce que l’on gagnait, pour certains, en
croissance, on le perdait au bout de
quelques années par accumulation de la
différence des taux d’inflation se
traduisant en écarts importants de
compétitivité si l’on est dans une Union
Monétaire comme l’est la zone Euro.
Donc, si on laisse les inflations se
caler, peu ou prou, sur les taux
structurels, se pose un problème de
compétitivité, et si tout le monde
cherche à faire la même inflation, les
pays ayant un taux structurel élevé sont
terriblement pénalisés. IL N’Y A PAS DE
SOLUTION dans le cadre d’une monnaie
unique. Seule la dépréciation des
monnaies, en fonction des taux
d’inflations réciproques, mais aussi des
gains de productivité, offre une
solution. Mais, cela implique que chaque
pays ait recouvré sa souveraineté
monétaire.
La question de
l’Euro.
Nous y voilà donc : la question de
l’Euro est au cœur du débat. Manuel
Valls l’a reconnu, mais pour dénier
immédiatement la moindre crédibilité à
une politique de rupture avec la zone
Euro. Remarquons d’emblée que si cette
question avait été REELLEMENT
insignifiante, il n’aurait par éprouvé
le besoin de s’appesantir dessus avec
cette violence, et cette mauvaise foi.
Quel est le fond de son argumentation ?
Si la France sort de l’Euro, elle cesse
d’exister et de compter en Europe. On
reste ébahi devant l’impudence du
propos. Pour autant que l’on sache la
monnaie, qu’il s’agisse de l’Euro ou du
Franc, ne fait pas le prestige et la
force internationale de la France. C’est
le dynamisme de son économie, c’est la
clarté de sa politique, c’est pour tout
dire la capacité de la France d’être une
force de proposition, qui déterminent
cette force et ce prestige. Or, l’Euro
condamne la France à une longue et
douloureuse agonie économique, à la
perte de son potentiel industriel
aujourd’hui et à celle de ses capacités
scientifiques demain. On le mesure
désormais dans le traitement des crises
internationales. Quel est donc le poids
de la France au Moyen-Orient ? Quel est
notre rôle dans la crise ukrainienne ?
L’Euro nous met à la remorque de
l’Allemagne, nous prive de notre
souveraineté, nous conduit à un
effacement inéluctable. D’ores et déjà,
la politique économique de la France ne
se fera plus à Bercy mais à Francfort et
Berlin. Nous voici condamnés à
« finasser » comme disait le chancelier
allemand Stresemann dans les années
1920. Mais, il avait l’excuse du traité
de Versailles et du poids de la défaite
de 1918.
Manuel Valls a aussi fait allusion au
contexte international. Il ne serait
donc as sage d’ouvrir une crise
européenne en une période lourde de
menaces extérieures. Mais, cette crise
est DEJA ouverte, ne lui en déplaise.
Quant aux « bruits de bottes » qu’il a
évoqués, faisant implicitement allusion
à la Russie, qui est responsable ?
Comment qualifier la position du
gouvernement français qui s’aligne sur
la position des Etats-Unis et des plus
excités des européens alors qu’il n’y a
toujours aujourd’hui AUCUNE PREUVE de
l’implication de la Russie ou des
insurgés du Donbass dans la dramatique
destruction de l’avion de la Malaysian
Airlines (vol MH17). Notre soutien, plus
que douteux, au processus
« révolutionnaire » ukrainien nous
interdit, désormais, de pouvoir jouer le
moindre rôle de médiateur entre la
Russie et l’Ukraine, et laisse
l’Allemagne libre de déployer ses
tropismes (mais aussi ses
contradictions). En fait, la situation
internationale, qui est aujourd’hui
effectivement difficile, porte en elle
la condamnation la plus radicale de la
«politique étrangère » de l’Union
européenne. Alors, oui, si l’on ne veut
pas être entrainé dans ce gouffre, il
faut faire éclater une crise européenne,
faire passer celle-ci du stade larvé au
stade ouvert.
Dernier argument, sortir de l’Euro
serait faire la politique du Front
National. Il est donc clair pour Manuel
Valls que si, par jour de grand soleil,
Marine le Pen dit qu’il fait beau nous
devons immédiatement prétendre qu’il
pleut et ouvrit nos parapluies. Comment
ne pas être sidéré par la bêtise d’un
tel propos? Une politique se juge sur un
raisonnement, et sur des fruits. Ce que
nous savons hélas aujourd’hui, c’est que
les fruits de la politique menée depuis
2012, et qui est en continuité avec
celle conduite par François Fillon à
partir de 2011, nous a donné des fruits
bien amer. Une de mes collègues
italiens, Alberto Bagnai, écrivait sur
son
blog “l’eau mouille et le chômage
tue”. Nous avons eu 26 000 nouveaux
chômeurs en juillet, chiffre qui fut
annoncé ce mercredi.
Le choix de Manuel Valls, ce n’est
pas celui du courage, ce n’est pas celui
de la volonté, c’est celui du
renoncement. C’est peut-être le sien,
libre à lui ; cela ne peut-être celui de
la France et des français. Nous le lui
rappellerons.
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