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Fidel Castro et le destin de la
révolution cubaine
Jacques Sapir
Photo: RIA
Novosti
Samedi 26 novembre 2016
La mort de Fidel Castro dans la nuit de
vendredi à samedi marque la fin d’une
époque. Avec cette mort, c’est l’un des
derniers symboles d’un monde marqué par
l’affrontement entre les Etats-Unis et
l’URSS qui disparaît, mais aussi le
symbole d’une lutte pour l’émancipation
des peuples contre la domination de
l’impérialisme américain. C’est enfin le
symbole d’une révolution qui, commencée
dans l’allégresse, se termine en
dictature.
Fidel
Castro a été, mais à un degré moindre
qu’Ernesto « Che » Guevara, une icône de
la gauche internationale, d’abord en
occident, puis dans le reste du monde où
sa résistance aux Etats-Unis, qui
tentèrent de l’assassiner un grand
nombre de fois, en fit un héro.
Du
mouvement du 26 juillet au Cuba
socialiste
L’histoire de la Révolution cubaine et
de Cuba depuis les années 1960 est
complexe, et souvent tragique. D’autres
que moi sauront raconter et décrire la
complexité des processus, tant
économiques que politique. Il faut
cependant rappeler que, quand il
commence la lutte contre le dictateur
Batista, Castro n’est pas communiste, et
quand triomphe la Révolution cubaine et
le « mouvement du 26 juillet », le 1er
janvier 1959, cette dernière est
reconnue par le gouvernement des
Etats-Unis. Ils changeront du tout au
tout leur attitude quand ils
comprendront que cette révolution va se
traduire par une perte de leurs intérêts
dans l’île.
En
proie dès lors à la volonté destructrice
des Etats-Unis, qui – outre un embargo
dévastateur pour l’économie – ont
multipliés les actes de guerre contre
Cuba, dont le soutien de la CIA au
débarquement de la « baie des cochons »,
le régime issu de la Révolution s’est
rigidifié et bureaucratisé. Cuba a imité
les pires aspects de l’URSS, combinant
cela avec une tradition politique de
l’Amérique Latine, le « caudillisme ».
Les arrestations arbitraires
d’opposants, mais aussi de personnes au
comportement jugés « déviants » (comme
les homosexuels), furent légions. La
répression fut aggravée par les luttes
intestines qui secouèrent le régime dans
les années 1990. Tout ceci est connu.
Fidel Castro a couvert cela de son nom,
quand il n’en fut pas l’instigateur.
La
direction castriste a aussi empiré la
situation créée par l’embargo en jetant
le pays dans le « tout canne à sucre »
dans les années 1960, avant de
comprendre son erreur. Si bien des
problèmes économiques furent le produit
de l’action des Etats-Unis, un certain
nombre de ceux-ci résultèrent de la
politique du gouvernement castriste. Il
est intéressant de savoir que, dans les
dernières années de sa vie, alors qu’il
avait laissé les responsabilités du pays
à son frère Raul, Fidel Castro a reconnu
certaines de ces erreurs.
En
même temps, Cuba a mis en place un
système de protection sociale qui,
compte tenu des difficultés que
connaissait l’économie, peut être
considéré comme un succès.
Un
système de santé exemplaire
Le
système de santé cubain, quoique ne
dépensant par habitant qu’une petite
fraction de ce que dépensent les
Etats-Unis, obtient des résultats qui
sont comparables et parfois supérieurs[1].
La population de Cuba est, certes, plus
jeune que celle des Etats-Unis. Mais
l’ampleur des écarts ne peut qu’attirer
notre attention. Si l’on compare tant la
part des dépenses dans le PIB (en %) que
la dépense par habitant (calculée en
Dollars US à la Parité de Pouvoir
d’Achat pour minimiser les problèmes de
comparaison), on obtient les résultats
suivants : les Etats-Unis dépensent
17,9% du PIB pour la santé (contre 11,7%
en France) soit 8895 USD par personne et
par an (4260 USD pour la France), alors
que Cuba ne consacre que 8,6% de son PIB
soit un montant estimé de 405 USD par
personne et par an.
Il est
alors frappant de constater qu’en dépit
de l’argent dépensé (deux fois le
montant des dépenses par habitant en
France) les résultats des Etats-Unis
sont relativement médiocres. Par contre,
pour le montant de dépenses consentis,
ceux de Cuba peuvent être considérés
comme excellents. Que l’on regarde
l’espérance de vie, la mortalité
infantile, la mortalité néo-natale, ou
celle des enfants de moins de 5 ans,
Cuba obtient de bons résultats, parfois
meilleurs que ceux des Etats-Unis, avec
une dépense réelle par habitant qui est
entre 10 et 20 fois plus faible.
Cette
réussite ne se limite pas à un système
de santé sans comparaison en Amérique
centrale et en Amérique latine. Les
médecins cubains se feront une
réputation justifiée dans de nombreux
autres pays. La médecine cubaine s’avère
être aussi une médecine de pointe dans
une séries de domaine, maintenant un
effort de recherches médicales dans des
conditions souvent très précaires.
Sources:
UNESCO et OMS
La
prévention des catastrophes
En
septembre 2004 le Secrétariat des
Nations unies pour la prévention des
catastrophes naturelles avait félicité
Cuba pour sa préparation et sa gestion
des risques liés aux ouragans[2].
Le geste est significatif. Il vaut
reconnaissance du travail de longue
haleine mené par les autorités cubaines,
travail qui aboutit à doter le pays d’un
système de prévention et de résistance
face aux ouragans qui dévastent
régulièrement la région.
Alors
que le pays est incommensurablement plus
pauvre – en termes de PIB par habitant –
que les États-Unis, Cuba avait su, lors
du passage de l’ouragan Ivan dont la
force était identique à celle de Katrina,
déplacer 1,5 millions de personnes dont
100 000 dans les trois premières heures
de l’alerte. Aucune victime alors
n’avait été à déplorer. De fait, Cuba,
qui est bien plus exposé que la
Louisiane, a été frappé par 10 ouragans
majeurs (catégorie 5) entre 1985 et
2004. Pourtant on n’a eu à déplorer au
total que 22 décès. Ainsi quand Cuba fut
frappé par l’Ouragan George en 1998, il
n’y eut que 4 morts contre 600 dans les
autres pays touchés. De même l’ouragan
Charley d’août 2004 ne provoqua que 4
morts à Cuba contre 30 en Floride. La
différence avec les ravages provoqués
par l’ouragan Katrina aux Etats-Unis,
ravages qui aujourd’hui encore, plus de
dix ans après, continuent de hanter le
sud des Etats-Unis, est donc tout
particulièrement à noter.
Pour
le responsable de l’agence des Nations
Unies « International Straegy for
Disaster Reduction » M. Salavano
Briceno, cette réussite cubaine repose
sur l’importance de l’effort éducatif et
de prévention consenti par les autorités
cubaines[3].
Le rôle des politiques publiques, et
donc de l’effort financier qu’on est
prêt à faire pour qu’elles puissent
fonctionner, est ici central[4].
De fait, l’expérience cubaine fut
l’objet d’un forum spécifique lors de la
« World Conference on Disaster
Reduction » de janvier 2005.
Cette
réussite cubaine ne vaut pas quitus au
gouvernement de La Havane pour sa
politique quant aux libertés publiques
ou sa politique économique actuelle.
Mais, elle souligne le coût humain et
matériel du libéralisme.
Castro,
Cuba et le CEMI
Il
faut enfin signaler que Cuba, et la
révolution cubaine, ont occupé une place
importante dans l’émergence du
CEMI-EHESS qui était alors le Centre
d’études de planification socialiste
au sein de la sixième section de l’Ecole
Pratique des Hautes Etudes, en raison de
l’implication de son fondateur, Charles
Bettelheim, dans les premières études
économiques menées après la révolution.
Charles Bettelheim réunit auprès de lui
une équipe de jeunes chercheurs qui
allèrent travailler à Cuba. Parmi eux se
trouvaient la militante féministe Maya
Surduts et Isaac Johsua. Ce dernier
ramena de son expérience cubaine un
texte important, montrant comment sous
l’apparence d’une « économie
socialiste » se mettaient en place
d’autres mécanismes qui, eux, n’avaient
rien de socialistes[5].
Ce texte joua un rôle important dans les
travaux ultérieurs du CEMI et dans ma
réflexion personnelle sur l’URSS.
Charles Bettelheim jeta toutes ses
forces pour tenter de convaincre les
dirigeants de la révolution cubaine,
Fidel mais surtout Raul Castro, de ne
pas engager Cuba dans l’aventure de la
« grande récolte » de 10 000 tonnes de
sucre, une aventure qui allait marquer
de manière décisive l’économie cubaine
et approfondir sa dépendance à l’Union
soviétique. Les échos assourdis de ce
combat me parvinrent quand j’arrivais,
jeune étudiant diplômé de l’IEP-Paris,
pour commencer mes recherches au CEMI en
octobre 1976. Plusieurs années plus tard
Charles Bettelheim me confia à quel
point ce combat avait été important, et
avait contribué à l’éclairer sur les
dérives de la révolution cubaine.
[1] Voir :
https://russeurope.hypotheses.org/2850
[2] UN/ISDR, Cuba: A
Model in Hurricane Risk management,
UN/ISDR Press release 2005/05, septembre
2004, New York. Consultable sur:
www.unisdr.org
[3] UN/ISDR, Cuba: A
Model in Hurricane Risk management,
op.cit..
Voir
aussi OXFAM “Weathering the storm,
lessons in risk reduction from Cuba”. À
consulter sur :
http://www.oxfamamerica.org/publications/art7111.html.
[4] Voir l’analyse du
système cubain d’alerte et de protection
dans : UN/ISDR « Platform for the
Promotion of Early Warning », Newsletter
issue 2004/2, Décembre 2004. Consultable
sur http://www.unisdr-earlywarning.org
[5] Joshua I.,
Organisations et rapports de production
d’une économie de transition (Cuba),
Paris, EPHE – VIème section, Centre
d’études de planification socialiste,
1968.
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