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Europe en crise cherche stratégie
française
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 26 juin 2017
La presse commence, enfin, à s’inquiéter
de la crise bancaire que l’on connaît en
Espagne et en Italie[1].
Cela montre l’importance d’une crise,
sur laquelle on ne peut que recommander
à nos lecteurs d’écouter l’émission
réalisée vendredi 23 sur
Radio-Sputnik[2],
une crise donc qui a été pourtant niée
avec la dernière énergie jusqu’à ces
derniers jours. Ceci devrait nous
interroger sur la manière dont les
grands médias d’information rendent
compte des problèmes au sein de l’Union
européenne. Et cette interrogation est
d’autant plus importante que ces mêmes
médias nous ont présenté une image
idyllique, et fort éloignée de la
réalité, du premier sommet européen
auquel Emmanuel Macron a participé[3].
La réalité qui se dégage d’un examen des
faits montre qu’il y a un lien très net
entre la crise des banques en Italie et
en Espagne et le blocage structurel de
l’Union européenne, blocage auquel
Emmanuel Macron s’est heurté de plein
fouet jeudi et vendredi dernier[4].
Cette situation pose un problème
existentiel pour l’Union européenne.
Macron à Bruxelles : chronique d’un
échec
Emmanuel Macron a
développé un discours qui cherche à
présenter comme compatibles des mesures
minimales de protection dans le cadre de
l’UE et une alliance avec l’Allemagne
visant à faire progresser l’UE sur le
chemin du fédéralisme. Dans la logique
de ce discours c’est en étant
associées que la France et
l’Allemagne pourront convaincre leurs
partenaires de mettre en œuvre les
mesures de protection, concernant les
travailleurs détachés ou les
investissements, que la France réclame.
Ce discours part du principe qu’un
intérêt général théorique peut être
défini avant que ne s’engage le moindre
débat, et que cet intérêt peut s’imposer
par la seule force de sa simple logique.
Emmanuel Macron a
rapidement été confronté à la réalité
des relations internationales. Lors du
Conseil des 22 et 23 juin 2017 rien n’a
été fait sur la question des
travailleurs détachés, sujet sur lequel
la France avait demandé un durcissement
immédiat de la réglementation. La France
ne fut d’ailleurs nullement soutenue par
l’Allemagne, et ceci contrairement à ce
qui avait été prétendu à la veille de ce
Conseil. Le bilan est un peu meilleur
sur la question de la protection des
investissements. Le Conseil a accepté de
se saisir de ce sujet, mais uniquement
pour rappeler que les règles de l’OMC
s’imposent et qu’aucune réglementation
européenne ne peut s’y opposer. Enfin,
sur la question du « Buy European Act »,
une idée qui avait figurée dans le
programme d’Emmanuel Macron, il s’est
heurté là aussi à une fin de non
recevoir.
Emmanuel Macron
s’est donc fendu d’une magnifique
déclaration dans la langue de bois la
plus pure en affirmant à la fin de ce
Conseil : « Je veux dire ici combien
à la fois le fait que nous ayons très
étroitement préparé ensemble nos
remarques à ce Conseil, que nos
interventions aient été constamment en
ligne et que nous puissions en rendre
compte en commun est à mes yeux
important. C’est en tout cas ce que je
m’attacherai à faire, dans les années à
venir, parce que je pense que quand
l’Allemagne et la France parlent de la
même voix, l’Europe peut avancer ; ce
n’est parfois pas la condition
suffisante mais c’est en tout cas la
condition nécessaire. » Autrement
dit, il accepte de se mettre sous la
coupe de l’Allemagne et nous dit, mais
est-ce étonnant alors que Paris va
concourir pour les jeux olympiques de
2024, que l’importante n’est pas de
gagner mais de participer. C’est,
certes, une belle logique sportive, mais
elle n’a rien à voir dans une situation
où les intérêts supérieurs du pays et de
ses habitants sont en cause.
Macron face à la
réalité de l’UE
Emmanuel Macron
s’est heurté de plein fouet à la
réalité. Et celle-ci est d’une part que
l’UE est aujourd’hui dans un état de
paralysie avancé, et que d’autre part
cet état de paralysie correspond à ce
qui intéresse l’Allemagne et cette
dernière ne fera rien pour s’y opposer
ou pour le changer. Cette paralysie de
l’UE implique le maintien d’un statu-quo
qui est hautement favorable à
l’Allemagne. Elle lui garantit que rien
ne viendra combattre la politique
mercantiliste qu’elle met en œuvre à
l’intérieur de l’UE en se fournissant en
produits et en hommes au moindre coût,
et que l’UE ne se constituera nullement
en autorité capable de contester la
politique internationale de l’Allemagne.
Elle est gagnante sur les deux tableaux,
et l’erreur fondamentale d’Emmanuel
Macron a été, et reste, d’ignorer cet
état des choses.
Mais, Emmanuel
Macron n’est pas le seul à s’être heurté
à cette réalité. Le gouvernement italien
a fait le même constat, remarquant que
l’Union bancaire, dont l’UE avait fait
une telle réclame en 2013 et 2014, s’est
avérée incapable de résoudre la crise
des banques en Italie. Il en a tiré les
conséquences et il s’est engagé dans une
logique de résolution de ces crises qui
fait l’impasse sur l’Union bancaire et
ses différents mécanismes[5].
En cela, il a été hautement symbolique
que l’échec subi par Emmanuel Macron au
Conseil européen des 22 et 23 juin soit
survenu en même temps que la décision
prise par le gouvernement italien d’agir
de lui-même. Mais, cette décision du
gouvernement italien peut avoir un effet
à plus long terme. Elle va donner des
arguments à l’Allemagne pour se refuser
à avancer au-delà du point auquel elle
est allée, sur la route de l’Union
bancaire[6].
Le gouvernement italien n’avait
certainement pas d’autre solution, mais
ce faisant, il joue indirectement dans
la main de l’Allemagne et renforce la
position de cette dernière.
On voit ici comment
les événements s’articulent. La
réticence initiale de l’Allemagne avait
compromis l’Union bancaire. L’Italie,
faisant le constat de l’inachèvement de
cette dernière, se décide d’agir par
elle-même sans en respecter les règles.
Si l’Union européenne a donné son aval,
l’Allemagne voit ses réticences validées
par le comportement italien et fera
d’autant plus obstacle à la mise en
place totale de l’Union bancaire. Cette
dernière est morte de fait, et avec elle
c’est un nouveau pan de l’Union
Economique et Monétaire, autrement dit
la zone Euro, qui disparaît.
La réalité de l’UE
Derrière ces
événements différents, l’échec
d’Emmanuel Macron et la décision
italienne, ont voit se profiler la
logique réelle de l’Union européenne.
Cette dernière n’a actuellement pas
d’autres buts, et pas d’autres
fonctions, que d’imposer les conditions
économiques voulues par l’Allemagne aux
autres pays. Et, ces conditions
économiques aboutissent à mettre les
Etats sous la tutelle des marchés
financiers et des grands groupes
économiques, une situation qui
correspond parfaitement aux intérêts
actuels de l’Allemagne. Cette politique
a pour symbole et pour instrument
l’Euro, dont il est évident qu’il
fonctionne économiquement comme une
subvention pour l’Allemagne et
politiquement comme un instrument
disciplinaire dans les mains de
l’Allemagne faisant en sorte que ce
dernier pays n’ait pas à payer le prix
pour sa domination qui ruine les autres
pays. Toute politique vis-à-vis de l’UE
qui ignorerait ces réalités est
condamnée à l’échec.
Ce qui pose le
problème de comment faire avancer les
intérêts nationaux dans le cadre de
l’UE. Si l’on considère que les intérêts
nationaux de la France sont les mêmes
que ceux de l’Allemagne, la réponse est
simple. Et, en un sens, c’est ce que
suppose implicitement l’attitude
d’Emmanuel Macron. Pourtant, on connait
bien toutes les différences et
divergences qui existent, tant à
l’échelle de la société (le taux de
naissance) ou à l’échelle des structures
des systèmes productifs. Cette position
n’est guère réaliste. Une autre
interprétation est qu’il pourrait
exister une convergence entre les
positions de la France et de
l’Allemagne. Mais, cette convergence
implique la définition d’un but commun.
Or ce but doit être défini politiquement
au travers d’un débat, et ce débat n’a
jamais eu lieu. On est donc renvoyé à
l’idée qu’Emmanuel Macron et ses
conseillers ont adopté les intérêts
allemands comme étant les intérêts
français, sans tenir compte des
différences et divergences citées. Mais
si tel n’est pas le cas, si les intérêts
de la France divergents de ceux de
l’Allemagne, comment faire avancer ces
intérêts ? Par ailleurs, dans ces
intérêts, quels sont les intérêts que
l’on peut définir comme « vitaux » et
ceux sur lesquels des compromis sont
possibles ? Faute de s’être livré cet
exercice de définition des intérêts, la
politique européenne d’Emmanuel Macron
souffre d’un défaut irrémédiable. Et
l’on retrouve ici le principe
fondamental de la politique européenne
d’Emmanuel Macron : chercher l’accord de
l’Allemagne. Mais, ceci interdit à
Emmanuel Macron de pouvoir définir les
intérêts de la France, et surtout
d’établir la distinction entre intérêts
vitaux et intérêts non vitaux, car seul
un conflit ouvert pourrait permettre de
le faire. Il n’est pas d’intérêts
existant en surplomb au débat. C’est
dans ce dernier que ces intérêts se
définissent.
L’erreur
fondamentale d’Emmanuel Macron
On mesure ici
l’erreur fondamentale que commet
Emmanuel Macron en cherchant à priori un
accord à tous prix avec l’Allemagne.
C’est cette erreur qui explique l’échec
qu’il a subi lors du Conseil européen
des 22 et 23 juin. Et il ne pouvait en
être qu’ainsi.
La question du
levier politique qui pourrait (et qui
devrait) être mobilisé par la France
pour faire avancer ses intérêts se pose
alors. Ce levier ne peut être qu’une
crise imposant une autre logique que
celle inscrite dans les traités. Mais,
cette crise contient en elle la
possibilité d’une rupture de l’Union
européenne. Cette possibilité doit être
acceptée comme telle, sinon, on se
condamne d’emblée à l’immobilisme, et
cet immobilisme est exactement ce qui
convient à l’Allemagne.
Seule, une crise
ouverte peut permettre de s’affranchir
des règles internes de l’UE et provoquer
un débat sur des règles alternatives.
Mais, cette crise ne pourra être
profitable que si nos partenaires sont
persuadés de notre détermination, si
certains intérêts ne sont pas reconnus,
de sortir de l’UE. Pour établir cette
détermination, et construire la
crédibilité de notre position il
convient de mettre en cause ce qui
constitue aujourd’hui le cœur de la
logique de l’UE (mais non le cœur de
l’UE elle-même), soit l’Euro. La mise en
cause ouverte et publique de la monnaie
unique est le seul instrument qui soit à
notre disposition pour forcer nos
partenaires à accepter une refonte de
l’Union européenne. L’atout qui est
entre nos mains est que sans la France,
l’Union européenne n’a plus guère
d’intérêts pour l’Allemagne, mais aussi
pour des pays comme l’Italie et
l’Espagne. La France est politiquement,
mais aussi économiquement et
géographiquement (on l’oublie trop
souvent), au cœur du projet de l’Union
européenne. Qu’elle sorte de ce projet
et ce dernier est mort. Il ne resterait
alors aux autres pays que de rejoindre
une « zone Mark », avec les effets de
sujétion économique et politique qui en
découleraient, ou construire des formes
alternatives d’union, mais ces dernières
les confronteraient directement à la
politique française.
Dans le débat, et
le conflit, qu’entraînerait une décision
unilatérale de sortir de l’Euro,
décision qui entraînerait rapidement un
effet « boule de neige » pour les autres
pays, il deviendrait possible de
redéfinir les intérêts et les priorités
de la France et des autres pays. Des
formes de compromis découleraient de
cela, et il conviendrait d’être alors
constructif sur ces compromis. Mais,
ceci constitue la seule, et sans doute
la dernière, chance de transformer
l’Union européenne et de dépasser la
situation de blocage dans le statu-quo,
situation qui correspond au choix, qu’il
soit implicite ou explicite, de
l’Allemagne.
L’histoire n’attend
pas…
Emmanuel Macron est
un homme intelligent. Mais,
surmontera-t-il ses préjugés qui lui
font croire que la survie de l’UE dans
son état actuel est la moins mauvaise
des solutions, de cela on peut en
douter. S’il persiste dans sa politique,
il ira d’échec en échec, et les français
avec. Au-delà de cette question, au-delà
de l’avenir immédiat de notre économie
et de l’ampleur du chômage qui ronge
notre société, il y a aussi la question
des formes de coordination, tant
économiques que politiques, entre les
pays européens.
Mais, l’histoire
n’attend pas. Emmanuel Macron devrait se
souvenir de l’histoire de la crise du
système soviétique en Europe et en URSS,
une histoire dont il n’a de connaissance
que livresque. La volonté de faire
survivre à tous prix le système dans
l’état où il se trouvait dans les années
1960 a été la cause politique profonde
de sa mort. Ce qui est aujourd’hui en
cause n’est rien d’autre que les formes
de coordination entre les pays
européens.
Emmanuel Macron
entraîne tant l’économie de la France
que la construction européenne dans une
impasse du fait de sa politique actuelle
de compromis avec l’Allemagne. Non que
le compromis ne soit pas bon en
lui-même, mais ce compromis ne peut être
obtenu qu’une fois le conflit établi, et
les marges d’action dans ce conflit
clairement établies. En faisant du
compromis un fétiche, une vache sacrée,
il rend impossible la détermination et
la définition des intérêts de la France
et par conséquence la formation d’un
réel compromis. Il ne laisse
d’alternative qu’entre la capitulation
la plus complète face à l’Allemagne et
un sursaut désordonné, conduisant à un
conflit d’autant plus inexpiable qu’il
aurait été trop longtemps refoulé.
[1]
http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/banques-italiennes-operations-couteuses-mais-espoir-d-ameliorer-la-stabilite_1921671.html
et
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/06/25/l-italie-engage-17-milliards-d-euros-pour-sauver-deux-banques-au-bord-de-la-banqueroute_5150833_3234.html
[2]
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201706231031960129-banques-italie-espagne-crise/
[3]
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/06/23/operation-de-communication-reussie-a-bruxelles-pour-le-new-boy-macron_5149772_3214.html
[4]
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2017/06/26/31002-20170626ARTFIG00198-premier-sommet-europeen-de-macron-le-dessous-des-cartes.php
et
https://www.contrepoints.org/2017/06/25/293023-emmanuel-macron-deculottee-sommet-europeen
[5]
https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-06-21/italy-s-intesaproposes-to-buy-veneto-assets-under-conditions
[6]
https://www.bloomberg.com/view/articles/2017-06-23/europe-s-banking-union-is-dying-in-italy
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