RussEurope
A l’intention des français inquiets
d’une sortie de l’Euro et qui n’ont
aucune raison de l’être
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 24 mars 2017
Effaré par l’ampleur des
méconnaissances, mais aussi parfois par
la mauvaise foi, des journalistes et des
hommes politiques qui s’expriment sur la
question de la sortie de l’Euro, j’ai
décidé de rassembler ici certaines des
principales questions qui se posent. On
peut parfaitement comprendre que nos
concitoyens se posent des questions sur
une possible sortie de l’Euro et un
retour au Franc, et ce d’autant plus que
désormais 5 des candidats à l’élection
présidentielle de mai 2017 (soit
Asselineau, Cheminade, Dupont-Aignan, Le
Pen et Mélenchon) en parlent. Ces
questions sont légitimes. Ce qui, par
contre, ne l’est pas est le sentiment de
panique que l’on cherche à produire dans
l’opinion française sur ce sujet. Il
devrait être de la responsabilité des
journalistes et des hommes politiques
(du moins de certains) de ne pas
chercher à indûment inquiéter les
français. Constatant que ce n’est pas le
cas, que très souvent des propos
contradictoires avec des textes
officiels de l’Union européenne sont
tenus, j’ai décidé à publier cette suite
de questions-réponses pour éclairer le
débat.
Comment va se faire le passage de l’Euro
au Franc ?
Rien de plus
simple ; l’ensemble des comptes et des
contrats en France seront re-dénominés
de l’euro au franc au taux de 1 pour 1.
Admettons qu’un foyer dispose de 1200
euros sur son compte courant, d’une
assurance-vie de 50 000 euros, qu’il
paye un loyer de 800 euros, et qu’il se
soit endetté de 3000 euros pour acheter
une voiture. Du jour ou se fait la
conversion, il a 1200 « nouveaux »
francs sur son compte courant, 50 000
francs sur son assurance-vie, le loyer
de son appartement est de 800 francs et
sa dette de 3000 francs. Lors de la
conversion, les règles s’appliqueront à
tous les comptes, tous les contrats et
toutes les dettes en France.
Seront appliquées
les règles établies lors du passage du
franc à l’euro (sauf pour la valeur de
la conversion », telles qu’elles sont
précisées dans le règlement de l’Union
européenne Règlement (CE) nº 1103/97 du
Conseil du 17 juin 1997 fixant certaines
dispositions relatives à l’introduction
de l’euro[1],
règlement qui précise à ses points n°8
et n°9 :
-
(8) considérant que
l’introduction de l’euro constitue
une modification de la loi monétaire
de chacun des États membres
participants; que la reconnaissance
de la loi monétaire d’un État est un
principe universellement reconnu;
que la confirmation explicite du
principe de continuité doit
entraîner la reconnaissance de la
continuité des contrats et autres
instruments juridiques dans l’ordre
juridique des pays tiers;
-
(9) considérant que le terme
«contrat» utilisé dans la définition
des instruments juridiques englobe
tous les types de contrats,
indépendamment de la manière dont
ils ont été conclus;
L’épargnant français
sera-t-il ruiné par le passage de l’Euro
au Franc ?
Comme il a été
expliqué plus haut, la totalité des
comptes bancaires et des contrats
d’assurances seront re-dénominés de
l’euro vers le (nouveau) franc au taux
de 1 pour 1. Les valeurs mobilières
verront, si elles sont cotées à la
bourse de Paris, de même leur valeur
automatiquement re-dénominée. Pour les
biens immobiliers, cela dépendra de
l’évolution du marché de l’immobilier ;
mais on peut penser que le passage de
l’euro au franc aura tendance à faire
monter les prix de l’immobilier. D’une
manière générale l’épargne ne sera pas
touchée par cette re-dénomination. Il
faut, pour la suite voir dans quel pays
elle sera utilisée, et cela implique de
regarder l’impact de la sortie de l’euro
sur le taux de change.
La sortie de l’Euro
va-t-elle provoquer une explosion des
dettes publiques ?
Les dettes
négociables émises par le gouvernement
français ont été émises à 97% en droit
français. Cela signifie que 97% des
montants seront intégralement re-dénominés
de l’euro au (nouveau) franc, et ce pour
la même valeur. Ceci correspond au
principe de droit international qui
s’appelle la « loi monétaire », principe
reconnu par la totalité des tribunaux
tant français qu’étrangers. Je rappelle
que ce principe fut explicitement
mentionné dans le règlement nº 1103/97
du Conseil du 17 juin 1997, règlement
cité plus haut, et qu’il fut utilisé
sans problème lors de l’abandon du franc
pour l’euro. L’euro s’était d’ailleurs
fortement déprécié pendant les premières
années (de 1999 à 2003). Il n’y a eu
aucune protestation de détenteurs
américains de la dette française (ou
italienne, ou allemande).
C’est Nicolas
Sarkozy qui, le premier, à parlé de
cette « explosion de la dette » qu’une
sortie de l’euro provoquerait, et sur ce
point soit il ne connaissait pas la loi
(étrange.. ?) soit il a menti.
Admettons que
sur le stock des dettes existantes il ne
se passe rien. Mais, l’Etat continuera
d’émettre de la dette, ne serait-ce que
pour payer une partie des dettes
existantes. On estime à 200 milliards
par an cette somme. Une sortie de l’euro
ne provoquerait-elle pas une forte
hausse des taus d’intérêts ?
Il est exact que le
besoin d’endettement de la France est
d’environ 200 milliards (« nouvelle »
dette et « ancienne » dette cumulées).
Les opérateurs étrangers vont pénaliser
la dette française par rapport à la
dette allemande. Mais ils le font
déjà ! Il faut savoir que les taux
auxquels la France emprunte sont plus
élevés de 0,50% à 0,75% que ceux de
l’Allemagne. Cet écart pourrait-il
augmenter ? Pas de manière importante
car le besoin des investisseurs de
placer de l’argent est très important,
et le volume des émissions de dettes
allemandes sont réduits. La hausse des
taux serait alors le produit d’une
concurrence entre les taux français et
les taux italiens ou espagnols. Et les
investisseurs auraient plus confiance
dans le Franc que dans la Lire…
Mais, ces 200
milliards peuvent être souscrits par des
banques opérant en France (qu’elles
soient françaises ou non) si on rétablit
la loi rendant impératif à ces banques
de détenir un certain pourcentage de
leur bilan en dettes publiques
françaises. Ce mécanisme a existé et
bien fonctionné, des années 1950 aux
années 1980. Il permet au gouvernement
de rediriger les investissements des
banques françaises, mais aussi des
banques étrangères opérant en France.
Avec ce mécanisme, les taux
n’augmenteraient pas plus que ce
qu’autorise de fait le gouvernement.
Voilà pourquoi les
annonces catastrophistes sur une
« forte » hausse des taux sont
irréalistes et irresponsables[2].
Pour le reste, je
renvoie les lecteurs à l’étude faite par
Cédric Durand et Sébastien Villemot sur
les conséquences d’une sortie de l’Euro
pour les entreprises et les banques
françaises[3].
Dans cette étude figure la table
suivante sur les « risques financiers »
d’une sortie de l’Euro.
Source :
Durand C. et Villemot S.,
Balance
Sheets
Effects of an Euro Break-Up,
OFCE,
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/balance-sheets-effects-of-a-euro-break-up/
Qu’adviendra-t-il du
taux de change du (nouveau) Franc une
fois effectuée la sortie de l’Euro ?
Le (nouveau) Franc
verra son taux de change fixé par les
marchés, sous réserve de mesures
conservatoires que le gouvernement
pourrait (et devrait) prendre, comme un
contrôle des capitaux. A la suite de
nombreuses discussions avec des traders
opérant sur les taux de change on peut
faire le pronostic suivant :
-
Le taux de change du Franc par
rapport à « l’euro-maintenu » (soit
l’Allemagne, et les pays qui étaient
dans la zone Mark, baisserait. Plus
précisément, la sortie de la France
de la zone Euro provoquerait un
mouvement d’appréciation de l’euro-Mark,
mouvement que l’on peut estimer
entre 20% et 30%.
-
Le taux de change du Franc par
rapport au Dollar des Etats-Unis (et
à la « zone Dollar ») baisserait
entre -5% et -10%. Rappelons que la
« zone Dollar » inclut la Chine, la
Corée du Sud et Taiwan.
-
Par rapport aux autres pays
européens, dont on peut penser
qu’ils imiteraient la France
rapidement (dans un délai de 3 à 6
mois), comme l’Espagne, la Grèce,
l’Italie et le Portugal, le Franc
s’apprécierait d’environ +3%-+5% par
rapport à l’Italie et à l’Espagne,
+10% par rapport au Portugal,
+20%-+30% par rapport à la Grèce.
Une sortie de
l’Euro, et la dissolution de fait de la
zone Euro que cela entraînerait,
conduirait à une redistribution des
parités monétaires et non simplement une
dévaluation du Franc. Rappelons que le
gouvernement français pourrait contrôler
ce processus par un mécanisme de
contrôle sur les mouvements à court
terme des capitaux.
Quelles seraient les
conséquences pour le consommateur ? Ne
verrait-on pas les prix augmenter
subitement très fortement ?
Rappelons d’abord
que dans le budget d’un ménage, une
large part des dépenses se fait pour des
produits ou des services fabriqués en
France. La part dans nos dépenses des
produits importés est inférieure, en
moyenne, à 40%. Dans cette part, les
prix des produits fabriqués en Allemagne
augmenteraient fortement (+20% à +30%).
Les prix des produits issus de la Zone
Dollar augmenteraient faiblement (+3% à
+5%), les prix des produits importés
d’Italie, d’Espagne, du Portugal ou de
Grèce baisseraient.
Penons le cas du
carburant. Le pétrole est acheté en
dollars, puis raffiné en France. Mais,
dans l’essence (ou le gazole) payé à la
pompe, il faut savoir qu’il y a une très
forte part d’impôts, de 60% à 75%. Donc,
la hausse à la pompe induite par la
dépréciation du Franc par rapport au
Dollar serait infime.
Mais, une
dévaluation a toujours provoqué une
hausse des prix ?
En fait, la
situation actuelle est très différente
de celle des années 1960 ou 1970. Plus
qu’une « dévaluation », la sortie de
l’euro provoquerait un mouvement de
redistribution des parités des diverses
monnaies par rapport au Franc. En
cumulant les hypothèses les plus
négatives, on arrive à une hausse de 3%
des prix dans l’année qui suivrait cette
sortie de l’euro. Mais, il faut aussi
tenir compte du surcroît d’activité
qu’impliquerait cette sortie, surcroît
qui se ferait sentir pendant au moins 3
ans, et qui entraînerait un retour à
l’emploi de 1,5 millions à 2,5 millions
de personnes. Ce retour à l’emploi
permettrait de régler les déficits des
comptes sociaux et de baisser les
cotisations sociales, rendant du pouvoir
d’achat aux salariés.
Mais, le
contrôle des capitaux dont vous parlez,
c’est une inquisition ! L’Etat va
vouloir savoir combien on détient quand
on partira à l’étranger ?[4]
Le contrôle des
capitaux s’appliquera essentiellement
aux entreprises financières qui veulent
soit placer à court terme de l’argent en
France soit en placer (toujours à court
terme) à l’étranger. Ces mouvements sont
de la spéculation et celle-ci
peut être dommageable pour l’économie.
Ce sont donc ces mouvements là que le
gouvernement devra contrôler, par le
biais d’une taxe payée (en partie) lors
de l’opération et remboursable à partir
d’un certain délai. Les dépenses
correspondant à des opérations
commerciales, des investissements à long
terme, en seraient exemptées.
Pour les
particuliers (vous et moi…) une
franchise de 15 000 euros existera sur
les comptes. On ne demandera des
documents (factures, notes d’hôtels) que
si vos dépenses à l’étranger vont
au-delà.
J’ai par
ailleurs publié ces dernières semaines
plusieurs notes sur la question de
l’euro. En voici la liste avec les
adresses précises sur mon carnet
RussEurope.
1. Une note
porte spécifiquement sur le statut légal
des dettes en cas de sortie de l’euro,
et montre que cette sortie ne serait
certainement pas assimilable à un
défaut, contrairement à ce qui est
affirmé (un règlement européen reconnaît
la Lex Monetae).
Lex Monetae et droit européen
https://russeurope.hypotheses.org/5835
2. Deux notes
sont des réponses à l’Institut Montaigne
et critiquent la description
« catastrophistes faite d’une sortie de
l’euro :
Les cauchemars
idéologiques de l’Institut Montaigne et
la sortie de l’Euro
https://russeurope.hypotheses.org/5790
Une sortie de
l’Euro
https://russeurope.hypotheses.org/5754
3. Une note
examine les mesures d’accompagnement qui
seraient nécessaires dans le cas d’une
sortie de l’euro
Un sortie de l’Euro
(suite)
https://russeurope.hypotheses.org/5758
4. Une note
porte sur le statut international de
l’euro (comme monnaie de réserve)
L’échec
international de l’Euro
https://russeurope.hypotheses.org/5831
5. Une note
porte sur les origines historiques de
l’euro
Les origines de
l’Euro
https://russeurope.hypotheses.org/5829
6. Une note
porte sur l’impact de l’euro sur
l’Italie
L’Italie, l’Euro et
Berlusconi
https://russeurope.hypotheses.org/5810
[1]
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:31997R1103
[2] N’en déplaise à M.
Delhommais, dans Le Point,
http://www.lepoint.fr/economie/delhommais-les-aberrations-monetaires-de-marine-le-pen-24-03-2017-2114445_28.php
[3]
http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/balance-sheets-effects-of-a-euro-break-up/
[4]
http://www.boursorama.com/actualites/l-etat-regardera-sur-notre-compte-en-banque-quand-on-partira-en-voyage-en-cas-de-sortie-de-l-euro-selon-l-economiste-jacques-sapir-59a17e401d93e4d9c7de00ca147cdf6e
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