RussEurope
Mensonges d’Etat
Jacques Sapir

Photo:
D.R.
Samedi 15 novembre 2014
Deux mensonges d’Etats défraient la
chronique et méritent que l’on s’y
arrête. L’affaire « Fillon-Jouyet », qui
est avant tout une « affaire Jouyet »,
et les circonstances ayant accompagnées
la mort de Remi Fraisse, lors de la
manifestation contre le projet de
barrage à Sievens. Ces mensonges sont
très révélateurs de la décomposition de
notre classe politique, n’en déplaisent
à certains. Il faut donc revenir sur ces
mensonges, pour montrer en quoi ils sont
révélateurs d’une pathologie du pouvoir
politique actuel.
Un barrage contre la
vérité.
En premier lieu, il y a les
circonstances qui ont donc accompagné la
mort de Rémi Fraisse. C’est le mensonge
le plus dramatique, mais pas
nécessairement le plus grave. La
révélation, par des sources
journalistiques, mais qui n’ont pas été
démenties par le Ministère de
l’Intérieur ni par le Ministère de la
Défense, des communications entre
gendarmes la nuit ou Rémi Fraisse perdit
la vie sur le site du barrage de Sievens
montrent que les gendarmes ont très
rapidement su ce qui s’était passé.
Mais, cette vérité fut cachée à la
famille et aux français pendant 48h.
C’est un acte d’une extrême gravité. Nul
ne doute que les gendarmes n’avaient
nullement l’intention de donner la mort,
ni que la manifestation avait pu prendre
un tour extrêmement violent (on voit
dans l’une des vidéo un groupe de
gendarme arrosé des flammes d’un
cocktail Molotov). L’usage de grenades
offensives a été décidé par la
hiérarchie, et ce sont les services du
Préfet qu’il faut interroger à leur
sujet. On peut penser que le niveau de
violence a été excessif et
disproportionné. Mais, l’essentiel est
qu’une fois l’accident mortel survenu,
les services de l’Etat on
délibérément caché la vérité alors
qu’ils en avaient connaissance ce
qui met en cause tant la préfecture que
les plus hautes instances du Ministère
de l’Intérieur. Au problème du barrage à
construire est venu s’ajouter le
scandale d’un barrage établi pour cacher
la vérité. Le retard dans la divulgation
des faits ouvre la porte à toutes les
théories du complot possibles et
imaginables. Quand M. Bernard Cazeneuve,
Ministre de l’Intérieur, décide que les
grenades offensives seront dorénavant
exclues il pense calmer l’émotion
provoquée par ce drame. Mais, il répond
à une autre question que celle qui est
en réalité posée. Qui a donné l’ordre de
se taire pendant 48h ? Qui a pris la
décision d’un mensonge par omission s’il
s’avère que les gendarmes ont su
rapidement quelle était la cause du
décès de Remi Fraisse ? Le mensonge
d’Etat est là.
Par ailleurs, ce drame met en lumière
un fait que l’on a tendance à ignorer.
La vérité est que les gendarmes agissent
sur ordre de l’autorité civile. Ce sont
ces ordres qu’il nous faut donc
connaître, et non pas la responsabilité
« personnelle » de tel ou tel gendarme.
Les gendarmes ont-ils reçu des ordres
particuliers de fermeté en raison de
l’engagement à une très large majorité
du Conseil général du Tarn, ou le PS est
d’ailleurs majoritaire, en faveur du
barrage ? Il y a, ici aussi, un mensonge
d’Etat.
Scandale à
l’Elysées.
Mais, l’affaire Jouyet est encore
plus emblématique et, pour être moins
dramatique, elle n’en est que plus
révélatrice. Rappelons les faits :
Jean-Pierre Jouyet, ci-devant secrétaire
général de la Présidence de la
République, poste important s’il en est,
tient devant des journalistes, des
propos accusateurs quant au comportement
qu’aurait eu François Fillon lors d’un
déjeuner avec lui. Il ne fournit aucune
preuve de ce qu’il avance, mais
néanmoins il répète ces accusations
alors qu’il est enregistré, et qu’il a
connaissance de ce fait. Les
journalistes s’empressent de mettre les
« révélations » de Jouyet dans un livre
sans chercher le moins du monde à les
vérifier. Ceci en dit long sur l’éthique
d’une presse où le scandale, ou le « buzz »,
l’emporte sur l’information. Mais, à
leur décharge il semble bien que Jouyet
ait été très explicite. Ce dernier ne
pouvait ignorer les pratiques des
journalistes. Il savait que les
accusations qu’il avait proférées
seraient rapidement mises à la
connaissance du Public. On n’entrera pas
dans le détail de manœuvre politicienne
de bas étage que contiennent ces
accusations. L’essentiel ici est qu’un
haut fonctionnaire, occupant un poste au
plus haut niveau, ait pu se livre à ces
manœuvres, puis mentir en déniant avoir
tenu les propos qui furent les siens.
Devant l’évidence, et l’existence de
l’enregistrement, il a dû tardivement
reconnaître la vérité. Il est clair
qu’il ne peut continuer à exercer ses
responsabilités. Que le Président de la
République, qui est son ami de longue
date, cherche à le protéger est une
ultime preuve que François Hollande n’a
pas compris les attitudes que l’on
attend d’un Président de la République.
Un menteur, pris la main dans le sac, se
trouve à l’Elysées, et le Président s’en
accommode. C’est effectivement un stade
inouï du mensonge d’Etat.
Mais le plus grave est à venir.
François Fillon, mis en cause par les
propos de Jouyet, a porté plainte. Il
obtiendra certainement de la justice la
saisie et la communication de
l’enregistrement où il est mis en cause.
Un procès en diffamation se déroulera et
Monsieur Jouyet ne détenant aucune
preuve de ce qu’il a affirmé, que cela
soit faux ou vrai, sera alors
probablement condamné. Que fera la
Président ? Quelle échappatoire
cherchera-t-il alors ? Cette affaire
aurait pu être réglée très vite, par la
démission de Jean-Pierre Jouyet. Elle
menace, au contraire, de se transformer,
mutatis mutandis, en un Watergate
à la française. Car, n’en doutons pas,
certains voudront voir dans
l’obstination de François Hollande à
vouloir garder auprès de lui Jouyet, la
preuve que cette manipulation avait été
concoctée au plus haut niveau du
pouvoir.
Le cardinal et le
petit homme.
Ces mensonges d’Etat jettent une lumière
bien particulière sur l’exercice du
pouvoir par quelqu’un qui prétendait
ramener de la « normalité » dans ce
dernier. Nous savons tous que l’on
n’exerce pas les plus hautes
responsabilités impunément, et qu’il y
a, dans tout système démocratique, une
part d’ombre qui subsiste. Encore
faut-il que cette part d’ombre
corresponde au bien de l’Etat. Dans
Les Trois Mousquetaires, Alexandre
Dumas écrit une scène dramatique ou la
Cardinal de Richelieu fait face à Milady
de Winter, qui part assassiner le Duc de
Buckingham, et finit par lui signer ce
blanc-seing : « Ce qui a été fait
par le porteur l’a été pour le bien de
l’Etat ». Mais, qui peut prétendre que
dans la mort de Remy Fraisse ou dans le
scandale Jouyet, il soit question du
« bien de l’Etat » ? Le mensonge d’Etat
ne couvre plus que des arrangements
personnels, des combines locales, un
clientélisme qui s’affiche en tant que
tel. Et c’est en cela qu’il révèle une
profonde décomposition du pouvoir.
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