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Régionales: deux leçons
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 7 décembre 2015
Les ondes de choc des résultats du 1er
tour des élections régionales, et des
scores réalisés par le Front National,
ne finissent pas d’agiter le microcosme
politique. La décision du Bureau
Politique du P« S » de retirer ses
listes là où le Front National est en
position remporter le 2ème
tour apparaît comme une décision de
l’exécutif qui a été imposée au parti[1].
Cette décision n’est pas sans soulever
des oppositions et des rancoeures dans
les rangs même des « socialistes ».
Ainsi, Jean-Pierre Masseret, le
responsable « socialiste » dans la
région du Grand-Est se fait-il tirer
l’oreille[2].
Car, s’il y a un vainqueur à ce premier
tour, il y a aussi très clairement un
perdant : le P« S ». Cette défaite est
historique, si on la remet en
perspective. Elle signe l’accélération
de la transformation de ce parti en un
instrument politique de la bourgeoisie
mondialisée et de la petite-bourgeoisie
associée. Telle est la première leçon
qu’il convient de retenir. Mais, la
victoire du Front National, que traduit
son extension à des zones
géographiquement nouvelles pour lui, le
confronte à un nouveau problème : passer
du statut de « parti de 1er
tour » à celui de « parti de 2ème
tour ». Il n’est pas dit qu’il le
puisse, et pour des raisons de fond et
non de simple tactique. Telle est la
seconde leçon de ce premier tour.
Défaite du
Parti dit « socialiste » et conséquences
Il est ici important de constater que
la défaite du P « S » ne vient pas que
de son score. Celui-ci est faible, et le
met dans nombre de régions en troisième
place derrière le Front National et les
« Républicains ». En fait, c’est la
transformation géographiques et
sociologique de ce parti qui est encore
plus intéressante. De ce point de vue,
il faut regarder avec attention les
cartes des votes du 1er tour.
Carte 1
Source :
FranceTVInfo
Une première estimation montre que le
vote pour le Front National est
concentré à l’est de la fameuse ligne Le
Havre – Marseille qui fut utilisée
pendant des générations par les
géographes pour distinguer une France de
la Grande Industrie (et urbaine) d’une
France agricole et rurale. Dans cette
France de l’Est, le Front National
arrive en tête dans 4 régions et les
« Républicains » dans 2 seulement. Le P
« S » n’est nulle part en tête. Cette
typologie est confirmée par l’ordre
donné aux préoccupations des français
lors de ce vote[3] :
- Le Chômage
- La Sécurité
- La Délinquance
- L’Immigration
Or ces régions sont, à l’exception de
la région parisienne, des régions à fort
taux de chômage. Mais, cette typologie
est incomplète. On discerne des
différences, qu’il faudra affiner, entre
le vote en région PACA, où la candidate
du Front National a mené une campagne
sur les thèmes traditionnels de
l’extrême-droite, et celui qui s’est
manifesté dans le Nord et dans l’Est.
Extension du
domaine de la lutte
Encore plus intéressant est le fait
que le vote Front National dépasse cette
ligne. Il ne correspond plus aux terres
traditionnelles de la grande industrie,
mais il touche aussi celles de la petite
et moyenne industrie, composée
d’entreprises soient liées aux activités
agricoles soient liées aux activités de
sous-traitance ou à des productions
spécifiques. La carte du vote pour le
Front National correspond largement à
celle de la France de l’industrie dans
toutes ses dimensions, une industrie qui
a payé un prix disproportionné à la
mondialisation et à l’Euro. De ce point
de vue, il est clair que le vote Front
National dans la région PACA à un
caractère anecdotique du point de vue de
la sociologie de ce parti.
Carte 2
De ce point de vue, il est
intéressant de comparer ce vote à celui
pour les listes « socialistes ».
Ces dernières, qui disparaissent des
anciennes zones ouvrières (et la déroute
dans le Nord comme dans le Grand-Est est
symptomatique) ne connaissent des succès
que dans des régions où se développent
une industrie liée aux loisirs (sur la
côte atlantique) et des activités de
service. Ceci est parfaitement cohérent
avec les choix de politique économique
qui ont été fait ces dernières années et
qui ont visé à « adapter » le tissu
industriel et social aux conséquences de
la mondialisation et de l’Euro. Les
résultats que le P « S » enregistre dans
Paris (à la différence de l’Île de
France) confirment que ce parti a bien
changé de nature et qu’il est devenu le
parti des élites mondialisées et des
couches sociales qui sont tributaires de
ces dites élites. La répartition des
votes lors du 1er tour des
élection régionales ne fait que rendre
visible cette transformation, que l’on
peut considérer comme achevée. Cette
transformation est le véritable
sujet de ce 1er tour des
élections régionales. C’est ce qui
explique la décision imposée par le
gouvernement au parti de procéder à un
retrait des listes car ce gouvernement
est clairement entièrement composé de
partisans de la mondialisation et de
l’Euro.
Le dilemme
du Front National
Si ce parti est indiscutablement le
vainqueur du 1er tour, il
n’est cependant pas dit qu’il puisse
confirmer au second. Le problème est
moins le « TSF » (ou « Tout Sauf le
Front ») qui est mis en place par
François Hollande et Manuel Valls, que
dans la capacité de la direction du
Front National à choisir entre deux
lignes, celle qui le porte dans les
régions de l’industrie en péril et celle
qui le porte en PACA. Car, et il ne faut
pas se le cacher, on a vu dans la
campagne qu’a mené le Front National en
PACA ressurgir des thèmes qui sont ceux
classiques de l’extrême-droite.
L’alliance de l’ultra-catholicisme qui
conteste la laïcité et des thématiques
des « identitaires », si elle est
localement porteuse et pourrait même
être localement victorieuse, condamne à
terme le Front National à se
marginaliser à l’échelle nationale, ou
plus précisément à s’enkyster dans le
tissu social français sans pouvoir se
poser la question du pouvoir.
Cette dernière impose tout d’abord à
tout parti de réunir au-delà des
questions religieuses et non de diviser.
De ce point de vue, on ne peut se
référer au principe de laïcité à
Hénin-Beaumont pour l’oublier au Pontet.
L’absence, remarquée, de Marine le Pen
dans les manifestations de 2013 était le
signe que la direction du Front National
avait compris cela. Mais, cette
direction a voulu cultiver l’ambiguïté
sur sa ligne politique pour en tirer le
maximum de bénéfices politiques. Elle
risque de se rendre compte que c’est un
calcul à très court terme. Il faudra
aussi qu’elle se pose la question
fondamentale de la division des
travailleurs sur leur lieu de travail au
travers de la nationalité. Cette
question non seulement compromet à terme
le niveau de salaire des travailleurs
français, mais elle rompt les
solidarités naturelles qui existent, en
particulier dans le mouvement syndical,
entre français et étrangers. Or, cette
rupture des solidarités, face à un
patronat qui est aujourd’hui à
l’offensive du fait de l’ampleur du
chômage, aura des conséquences
catastrophiques pour les travailleurs
français.
On pourrait continuer la liste. Elle
montre qu’après avoir retardé le temps
des clarifications, le Front National y
est aujourd’hui confronté sans détour
possible. Et ceci constitue aussi l’une
des leçons de ce 1et tour.
Notes
[1]
http://www.francetvinfo.fr/elections/regionales/regionales-comment-manuel-valls-et-francois-hollande-ont-decide-le-retrait-des-listes-socialistes_1210545.html
[2]
http://www.leparisien.fr/elections-regionales/regions-france/region/Masseret(PS)/refuse-la-consigne-de-retrait-de-cambadelis-07-12-2015-5347747.php
[3] Sondage IPSOS de sortie des
urnes
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