RussEurope
Président sous valium ?
Jacques Sapir
Photo:
D.R.
Vendredi 7 novembre 2014
Ainsi donc François Hollande s’est prêté
à cet exercice de communication sur TF-1
à l’occasion de son « mi-mandat ». Rien
de bouleversant, ni simplement
d’intéressant ne fut dit à cette
occasion et le Président s’est bien
gardé de répondre aux questions qui lui
étaient directement posées. Comme
toujours avec Hollande, c’est dans le
non-dit que se cachent les éléments les
plus révélateurs, et ce non-dit est
inquiétant.
Une
approche compassionnelle de la
politique.
C’est ce qui a caractérisé la partie
de cette intervention où notre Président
a dialogué avec quatre français
soigneusement triés sur le volet par la
rédaction de TF-1. La tactique qu’il
adopta fut de ne rien nier des problèmes
qui lui étaient soumis, de compatir avec
les souffrances et les angoisses de
chacun, et de présenter des mesures
censées soulager les misères de tous. A
l’en croire, tout irait mieux dès le 1er
janvier 2015… Cela décrit en réalité une
posture d’accompagnement compassionnelle
du chômage et de la misère qui a
abandonné toute perspective de peser sur
les causes réelles de ces deux maux.
Il n’est pas niable qu’avec la
persistance et la constante augmentation
du chômage de masse la misère se
développe de manière extrêmement
inquiétante dans notre pays. Cette
misère touche désormais non seulement
les personnes âgées mais aussi les
jeunes actifs au chômage et de nombreux
enfants. Leur nombre se serait accru de
plus de 400 000 ces dernières années[1].
Les propositions que François Hollande a
faites sont pathétiquement
insuffisantes. Mais, et c’est cela le
plus important, elles ne sont nullement
une réponse aux causes même de la
misère. Cette approche compassionnelle
est dans les faits un terrifiant aveu
d’échec et d’impuissance.
La croissance hors
du champ d’action du gouvernement.
Cet aveu d’impuissance, on le décèle
aussi dans la manière dont François
Hollande a traité de la croissance. A
plusieurs reprises il a convenu que,
sans croissance, le chômage continuerait
de s’accroître. Mais, la véritable
question, qu’il n’a jamais abordée et
qu’il s’est bien gardé de traiter et de
savoir quelles politiques
gouvernementales pourraient relancer une
croissance forte qui est la seule
solution à une diminution substantielle
du chômage.
La croissance économique a été
traitée implicitement par le Président
comme un facteur d’ordre « naturel »,
échappant dans une large mesure à
l’action gouvernementale. Cette
« naturalisation » de la croissance, qui
la met au même niveau qu’une tempête ou
que les intempéries qui ont frappé le
Sud de notre pays, est un énorme
mensonge. Le gouvernement a les moyens
de relancer la croissance mais, et c’est
là tout le problème, il devrait pour se
faire rompre avec la politique conduite
dans la zone Euro, et de fait sortir de
l’Euro. On a dans une publication de
2013, calculé suivant diverses
hypothèses, ce qu’une sortie de l’Euro
permettrait de créer comme nouveaux
emplois, de l’ordre de 1,2 millions à
2,5 millions sur trois ans[2].
Cette « naturalisation » de la
croissance, qui n’est que l’envers d’une
politique anti-croissance, trahit
l’imaginaire du Président de la
République et de ses conseillers. Ils
ont fétichisé le cadre européen, et ne
veulent y toucher sous aucun prétexte.
Aussi, cela conduit à réifier les
institutions et tout ce qui relève en
réalité de l’action humaine et
décisionnelle. Involontairement,
François Hollande a donné sur ce point
une éclatante démonstration de la
théorie marxienne de l’aliénation. Sa
fonction, et les choix qu’il a pris,
l’ont conduit à devenir étranger à la
réalité de son propre pays.
France fermée ou
France ouverte ?
Reconnaissons qu’il a abordé cette
question à un moment de sa piteuse
prestation. Répondant à une question
d’Yves Calvi, il a affirmé qu’une sortie
de l’Euro conduirait à une France
« rabougrie, rapiécée, fermée sur
elle-même ». On sait que le discours
catastrophiste est aujourd’hui le seul
argument opposé par les tenants de
l’Euro à leurs adversaires, qui sont de
plus en plus nombreux. On sait qu’il
faut absolument pour faire endurer les
souffrances inouïes que l’Euro provoque,
prétendre que des souffrances encore
pires seraient la conséquence d’une
sortie de l’Euro. Que n’a-t-on pas
entendu depuis deux ans, des mensonges
éhontés sur la dette publique à
l’affirmation que la richesse des
français serait amputée de 30% en cas de
sortie. Tout ceci est faux et, une fois
encore, on renverra les sceptiques soit
au travail réalisé pour Res Publica[3],
soit à différentes notes publiées sur
RussEurope[4].
Mais, sur ce discours convenu et
mensonger, François Hollande s’est livré
à une petite variation. Il n’a pas
promis l’apocalypse en cas de sortie de
l’Euro, mais il a simplement dressé le
tableau d’une France « rapiécée » et
fermée sur elle-même. On croit rêver.
L’idée d’une sortie de l’Euro, qui
provoquerait à court terme une explosion
générale de la zone Euro, est au
contraire de redonner de la
compétitivité internationale à
l’économie française. Une dissolution de
l’Euro, ou une sortie de l’Euro,
entraînerait immédiatement une forte
augmentation des exportations
françaises, et conduirait donc à
fortement améliorer l’image de notre
pays à l’étranger. C’est donc tout le
contraire de cette France « rabougrie,
rapiécée, fermée sur elle-même ». En
fait, c’est le maintien dans la zone
Euro qui est en train de conduire à
cette situation, avec l’étiolement et la
disparition progressive de notre
industrie. Oui, il y a bien un risque
d’avoir une France « rabougrie,
rapiécée… », mais ce risque découle de
la poursuite de la situation actuelle et
du maintien dans la zone Euro. Il est
stupéfiant qu’un président puisse se
permettre d’inverser des causalités sans
qu’aucun des journalistes présents ne le
lui fasse remarquer.
Au total, la prestation du 6 novembre
aura donné le sentiment étrange d’un
Président étrangement étranger à la
réalité du monde qui l’entoure,
poursuivant un rêve alors que la réalité
s’effondre sous ses pas, et sujet à ce
qu’il nous faut bien appeler des
hallucinations. Un Président sous
valium ?
[3] Sapir J, Murer P. , et
Durand C., Les scenarii de
dissolution de l’euro,
op.cit.
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