Actualité
Le journaliste sans carte a dit la
vérité.
Il doit être exécuté
Jacques-Marie Bourget
Dimanche 28 avril 2019
À défaut de se poser des questions sur
leurs qualités professionnelles, sur
leur traitement honnête de
l’information, éventuellement sur leur
talent, les caporaux chefs du
journalisme, pour affirmer leur pouvoir,
ne s’abritent plus que derrière leur
mince “Carte de presse”. Biseauté le
rempart de papier.
Les journalistes constituent une tribu
morte et un autre Lévi-Strauss n’a pas
eu le temps de les étudier. Triste
topique (1) : les derniers qui gigotent
encore dans les sables mouvants crient
en sombrant : « Journaliste !
Journaliste ! ». Pour nous convaincre de
leur jeter une laisse afin de les
sauver. Ne sont-ils pas la démocratie ?
Leur carte tricolore n’est-elle pas
notre territoire ? Ne faut-il pas qu’ils
continuent de nous éclairer le bon
chemin ?
L’ultime indice du
létal qui gagne, la réaction des
professionnels de la profession après
que de jeunes photographes, experts en
misère sociale et en Gilets Jaunes, ont
été privés de liberté par la police et
sa justice. Ils s’imaginent contrôleurs
du poids et de la mesure, garant du
juste, employés au tri sélectif du vrai
et du faux. Mais qui les a fait rois ?
Sinon un équivalent Macron ou Drahi ?
Ces oblitérés, ces « diplômés en
journalisme », n’ont aucune légitimité.
Sauf celle, aussi, venue de l’argent de
parents assez fortunés pour payer leurs
études. Ces hommes de presse s’abritent
derrière leur Carte comme les
pharmaciens de Chaval « fuyant devant
l’orage ». Privés de ce sésame ils sont
nus alors que le typhon d’Internet les
tue.
Le tenancier en
chef de la petite boutique de l’horreur,
celle qui dénonce et veille à ce que les
images, les bonnes, ne soient prises et
diffusées que par des journalistes
encartés, se nomme Xavier Gorse. C’est
la tête de gondole, mais il a des
clones. Vous le connaissez, ce Xavier,
il tient banquise dans les pages du
Monde. Son corporatisme d’arrière-garde,
digne de la messe en latin au
Chardonnet, le dessinateur le manifeste
à l’aide de pingouins, ou de manchots.
On ne sait trop. Pourquoi pas : les
oiseaux sont des cons, nous a enseigné
ce même Chaval, ils ont besoin d’un
maître. Mais ne l’accablons pas, ce
Gorse, qui ne supporte que les
journalistes parcheminés a jadis
souffert sous Philippe Val. Une séquence
de vie dont on ne sort pas intact. Et
notre ami du Monde de dauber sur ces
journalistes sans carte, les
sans-papiers du métier.
Sa dernière blague,
dans le quotidien du soir – qui est la
propriété d’un ancien tenancier de
sexshop, d’un ami du barbare Sassou
Nguesso et d’un oligarque tchèque – est
d’avoir mis en scène l’un de ses
manchots disant à un congénère : « Vous
êtes journalistes ? » et l’autre de
répondre « Oui : j’ai la facture de ma
Go Pro ». Ce qui décrypté, signifie que
les jeunes photographes qui sont
aujourd’hui victimes des indignes
outrances de la police et de sa justice,
sont des professionnels de la Go Pro,
des experts en films de soirée catégorie
Club Med. Ce dessin, commis par un être
humain qui se présente comme « peintre »
(Ripolin ?) et vomit de façon injurieuse
les Gilets Jaunes depuis leur « Acte 1
», colle parfaitement au contenu de son
journal : le mépris. Le mépris de celui
qui doit vivre avec pas grand-chose, de
celui « qui n’est rien ». Et donc du
photographe qui penche son œil sur eux.
Et qui n’est –ouh lala- pas digne de
recevoir le chrême du journalisme.
Ce qui serait bien,
avant de moquer, bafouer, nier les
qualités d’autrui, serait que ce Gorse
s’informe sur l’histoire du journalisme
qu’il dit défendre, et donc de celle de
la photo de presse. Il découvrirait que
sans une contribution massive de
photographes sans carte, des agences
comme Gamma ou Sipa, celles qui ont
inventé le photo journalisme français,
n’auraient jamais vécu. Un exemple. En
1975, Arnaud Borrel, lassé des chagrins
d’amour et des photos de mariage, part à
Phnom Penh avec un « Foca Sport »,
quelques pellicules et un casque lourd.
Arrivé au Cambodge il, se rend dans un
hôtel et demande « la direction du champ
de bataille ». Heureusement des
journalistes, des vrais, qui picolent
dans le hall l’arrêtent, le prennent
dans leur équipe. Il va survivre et
devenir photographe « de guerre ». Sans
même une carte de presse.
Et Françoise
Demulder, la fée des photographes,
première femme à obtenir le World Presse
pour sa photo iconique prise à Beyrouth,
celle des Palestiniens chassés des
baraques de la Quarantaine…cette « Fifi
», alors mannequin en rupture, a-t-elle
une « Carte de presse » en 1972 quand
elle débarque au Vietnam avec un Nikon
dans un panier d’osier ?
Et Alfred
Yaghobzadeh, le seul homme ayant jamais
pris des photos debout face à un canon
en action… En Iran avait-il une la carte
à jour ? Ou doit-il déchirer ses photos
qui sont de prodigieux monuments de
l’histoire, des Tombeaux mallarméens de
« nos » guerres ?
Abel Khorti,
l’homme qui m’a accompagné en 2000 à
Gaza, avant d’être martyrisé puis
assassiné par les israéliens, Mohamed
Baltaji, mon frère de Beyrouth, tué
aussi et par les mêmes, avaient-ils du
papier timbré en poche. Et, ici, je
demande pardon aux oubliés, à ces
photographes, ces journalistes en images
qui se sont glissé dans le métier sans
effraction mais pas passion.
A ce point
d’ignorance, la question qui se pose est
de comprendre la cause de ce
corporatisme ranci. Certes il vient de
l’origine sociale des employés de
presse, tous en haut du ruissellement.
Mais quand la production journalistique
est indigente, quand la plume n’est plus
qu’enclume et les images dignes d’une
pub pour le chocolat Poulain, le dernier
rempart qui permette de se cacher, est
un petit rectangle de plastique marqué
en tricolore au coin. Voilà l’outil de
l’existence, celui de la distinction.
Mais puisque les mots sont maintenant
morts étouffés, c’est aux images libres
de les suivre. Tout faire pour ne plus
les garder à vue.
Jacques-Marie
BOURGET
1 Freud créa les
topiques psychiques comme un schéma
explicatif du fonctionnement mental
normal et pathologique de l’être humain.
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