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Devenue l’outil premier du mensonge et
de la bêtise,
la télévision a une urgence absolue
Jacques-Marie BOURGET
Jacques-Marie Bourget
Mardi 15 octobre 2019
A la télé on ne peut pas regarder sans
cesse Hanouna ou Zemmour, au bout d’un
moment ça fatigue. Un de ces derniers
soirs par hasard, je suis tombé sur un
débat Marchais contre Chirac, ou
inversement, cuvée 1971. Etonnant la
façon de débattre de ces archétypes de
politiciens. Ils avancent derrière le
bouclier des chiffres de l’INSEE, ou des
Comptes de la Nation, les
arguments-missiles ont du poids, de la
source. Même quand ils mentent, ces
garçons affutent le fourchu de la langue
sur la pierre de la statistique
économique, plongent presque dans la «
science ».
Pour dire
qu’aujourd’hui, si vous assistez (deux
minutes plus tard une bière s’impose) à
un « débat » Christian Jacob-Olivier
Faure, vous avez face à vous des ignares
qui, une heure durant, vous jouer un
ping-pong mou sur le thème : « C’est
celui qui le dit qui y est ». Rien. Le
vent d’El Nino et même pas d’éoliennes.
Ca mouline avant. Et pendant. Assez pour
vider les « hémisphères de Magdebourg ».
Devenue l’outil
premier du mensonge et de la bêtise, la
télévision a une urgence absolue, si
elle veut se sauver, et nous aussi, elle
doit faire jaillir une étincelle de
connaissance et de vérité. De temps en
temps alors que pour le reste nous
sommes en apnée. Mais attention aussi,
la vision du monde tel qu’il est c’est
dangereux pour la santé. Les images
peuvent vous précipiter vers le
pharmacien et ses tubes de Lexomil. Ce
qui mine aussi. Pour avoir suivi, à la
devanture de la boutique d’Elise Lucet,
un reportage traitant de «
L’intelligence artificielle » ; puis un
autre, sur la « 5 », consacré à « Amazon
», tout cela vous dézingue lourdement.
Finalement la seule tranquillité n’est
pas le savoir, la connaissance, mais la
certitude. Et c’est ainsi que je vais
remplacer mon « Canalsat » par un
abonnement à la « République en Marche
». Seule voie vers le bonheur.
Avant d’allumer
l’écran noir de mes nuits blanches, des
vôtres peut-être, vous avez
l’injonction, sur « Arte » le 15 octobre
au soir, de vous visser à votre
cosy-corner : du lourd est au programme.
Ce soir-là « Travail-Salaire-Profit »
sera à l’affiche. Profitez-en avant que
ne revienne assez vite le bon vieux
temps annoncé du «
Travail-Famille-Patrie ». Deux
énergumènes se sont attelés à la charrue
de l’histoire pour accoucher une vérité
d’aujourd’hui : vers quel précipice nous
poussent les Jeff Bizos et les libéraux,
les démocrates, qui encouragent ces
éradicateurs de l’humanité, tout dévoués
à célébrer saint Uber. Ces deux égarés
de l’orthodoxie, sont le
réalisateur-écrivain Gérard Mordillat,
compagnon de route et observateur
accablé du monde du travail, et
l’économiste Bertrand Rothé, personnage
lui aussi étonnant. De la même façon
qu’en 1968 quelques intellos, se voulant
cohérents, sont allés « s’établir »
comme ouvriers en usine ce Rothé, à
rebours, a interrompu une belle carrière
dans le CAC 40 pour passer du « Rotary »
au col Mao. Glisser de premier à dernier
de cordée pour pédaler contre le vent.
Ces deux échappés
du peloton des économistes bien-pensants
vont vous décevoir. Dans leur boutique
ni Attali, ni Minc. Ce qui est dommage
pour l’avenir du monde, mais l’étal
donne la parole à des inconnus (de moi
sauf James K. Galbraith). Naguère,
reprenant l’odieux moulin à prières de
Thatcher, « Il n’y a pas d’alternative »
le duo Mordillat-Rothé a publié un
bouquin ébouriffant portant ce titre.
L’idée du film d’Arte est née du livre :
bâillonner les mensonges de ces «
économistes » peu économes de la sueur
des autres. Et mettre en regard d’eux
des hommes et des femmes qui, à force de
chercher, travailler, observer, penser,
aimer, se sont fait des ampoules au
cerveau. Mais ont vu, et voient encore,
le monde dériver comme on voit l’ours
partir sur son bout de banquise. Onze de
ces savants-sachants sont français et,
croyez-moi ne sont jamais passés sur le
plateau de la moindre télé Nescafé,
instantanée. C’est dire s’ils ont à
dire.
Et que puis-je
faire pour vous mettre à nu les
entrailles de tout ce savoir ? En crétin
sachant seulement qu’Adam Smith est le
nom d’une impasse ? Eh bien que fais-je
? Comme tout le monde j’ubérise. Je
prends le dossier de presse parfaitement
torché et « l’exploite ». Et je vous
annonce le gala qui vous attend.
Attention, contrairement aux critiques
de films qui ne vont jamais au cinéma,
n’étant pas systématiquement malhonnête,
j’ai eu le privilège de regarder le
travail de Mordillat-Rothé. C’est
passionnant :
20 heures 50, «
TRAVAIL » :
Certains mots sont
d’un usage si courant qu’on finit par
les utiliser sans en interroger le sens.
Travail… par exemple. Depuis la nuit des
temps l’homme travaille, or du
Paléolithique à nos jours cette activité
n’a cessé d’évoluer. Qu’est-ce que le
travail aujourd’hui ? Le travail est-il
devenu une marchandise ? Et
qu’achète-t-on sur le marché du travail
? Pourquoi et comment est apparu le Code
du travail ?
21 heures 40, «
EMPLOI »
Le travail et
l’emploi apparaissent comme deux termes
interchangeables. De façon ordinaire,
aujourd’hui, c’est l’emploi qui est le
plus souvent utilisé pour désigner le
travail… Travail et emploi seraient-ils
de faux jumeaux ? D’un côté il y a les
incroyables transformations du
management contemporain, et de l’autre,
l’invention de l’auto-entreprenariat
comme forme moderne de l’emploi
22 heures 35, «
SALAIRE »
« Le salaire est la
somme d’argent que le capitaliste paye
pour un temps de travail déterminé ou
pour la fourniture d’un travail
déterminé ». Cette citation de Marx
est-elle encore valide aujourd’hui ? Il
y a le salaire de subsistance, le
salaire différé et depuis peu sont
apparues les idées d’un revenu universel
ou d’un salaire à vie. Serait-ce la fin
du salariat ?
23 heures 25, «
MARCHÉ »
Aujourd’hui, le
marché occupe une place hégémonique dans
les sciences économiques. D’Adam Smith
et sa « main invisible » aux libéraux
contemporains, tous y voient le principe
central de l’économie. Forts d’un
discours théologico-économique, ils en
font un dieu incontestable. Pour les
libéraux, le marché a toujours raison.
Mais de la guerre commerciale à la
guerre entre nations, il n’y a qu’un
pas…
A partir du
lendemain, le 16 octobre et les jours à
suivre sur un site dont j’ignore l’accès
mystérieux, vous pouvez achever de vous
désespérer, sur Internet, en allant sur
arte.tv avec deux épisodes qui n’ont pas
trouvé place dans la « grille », comme
le disait Saint-Laurent (pas YSL) :
« CAPITAL »
Comme tous les
concepts économiques, le capital a une
histoire. Une histoire singulière que
l’on peut raconter de bien des manières.
D’autant plus que la signification de ce
terme s’est transformée au rythme du
changement des modes de production…
Plutôt que de faire une théorie du
capital, la situation contemporaine de
l’économie ne nous invite-t-elle pas à
faire une théorie de l’actionnariat ?
« PROFIT »
D’où vient l’argent
? Au cours de l’histoire les thèses se
sont succédées sans parvenir à répondre
à la question. Le profit est un concept
fuyant. Pour Marx il était le produit
d’un vol, le capitaliste volait au
travailleur une part de son travail ;
pour Milton Friedman, Prix Nobel
d’économie, accroître les profits était
l’unique responsabilité des entreprises.
Entre l’enjeu financier et l’enjeu
social, la querelle demeure.
Voilà. Si vous
n’avez pas compris que vous n’avez pas
d’autre choix, ce mardi 15 octobre, que
d’aller au savoir -parce que c’est rare
face à des écrans venimeux et crétins-
c’est que vous êtes Alain Minc.
« Travail, Salaire,
Profit ». ARTE Mardi 15 octobre 20h50
« Capital, Profit »
sur arte.tv
Et un le livre de
l’émission « Les Lois du Capital »
Edition Arte-Le Seuil.
Jacques-Marie
Bourget
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