Opinion
Erdogan consolide son emprise
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Dimanche 30 octobre 2016
La
Turquie est infatigable. Le président Erdogan consolide son pouvoir, en
essayant de se débarrasser des
interférences irritantes du Parlement.
Il tente de réformer la Turquie dans le
sens d’une république présidentielle, en
assumant les pouvoirs d’un président
américain. Il se voit calife, plaisante
le peuple à Istanbu, et on l’appelle le
sultan Erdogan. Et le putsch éventé de
juillet a été mis à profit comme mettre
en route une grande purge dans la
structure du pouvoir. Cependant, le
résultat pourrait s’avérer encore plus
positif que ce qu’en attendent de
nombreux observateurs.
Voilà ce que j’ai appris pendant ma
visite en Turquie, où j’ai eu l’occasion
de rencontrer des membres turcs du
Parlement, des ministres et des chefs de
rédaction des plus grands médias. Je
m’attendais à ce que le putsch raté
appartienne déjà à l’histoire, mais je
me trompais.
L’ombre du putsch pèse lourdement sur
les évènements quotidiens, dans le pays.
On m’en a montré des traces au siège du
Parlement, où une bombe lancée par les
putchistes était tombée. Il y a aussi
une exposition de photos montrant
d’autres coups d’Etat militaires
victorieux, avec un horrible portrait
président Adnan Menderes pendu en 1960.
Les putschs turcs, ce n’est pas de la
petite bière. L’armée voulait prendre le
pouvoir et le garder, pour elle, et pour
ses alliés de l’Otan.
Le putsch de juillet a causé la mort
de 240 personnes, pour moitié tués sur
le pont du Bosphore dans une
confrontation avec l’armée. Ce n’est pas
grand-chose par rapport au putsch
égyptien, où les victimes se sont
comptées par milliers, et où l’armée a
éjecté le président Morsi, modérément
islamiste, et élu en toute légitimité.
Après le putsch, Erdogan a entrepris
la purge des Gulenistes ou Fethullistes
comme on appelle les partisans de
Fethullah Gülen, le père de l’islam
politique turc modéré et le créateur
d’un vaste réseau d’écoles qui s’étend
sur 160 pays. Ils étaient censés être
les initiateurs du coup d’Etat. Ce n’est
en fait pas très clair, si Gülen et ses
partisans étaient bien derrière
l’opération, mais il ne fait pas de
doute que ce sont des ennemis d’Erdogan.
La purge n’est pas sanglante, mais
douloureuse : les proscrits ne sont pas
abattus, mais perdent leur travail et
atterrissent souvent en prison. Quelque
soixante-dix ou quatre-vingt mille
personnages sont passées à la trappe, 35
000 sont à l’ombre. Ils sont juges,
officiers de l’armée, fonctionnaires, et
souvent enseignants. 500 personnes ont
été chassées du ministère des Affaires
étrangères, certains avaient refusé de
rentrer chez eux quand l’ordre de se
replier avait été donné. L’état
d’urgence a été déclaré juste après le
putsch, et vient d’être prolongé pour
trois mois de plus.
Une telle justice d’exception est
notoirement aveugle : un juge est mort
trois mois avant les évènements, mais
était toujours sur les listes des
proscrits pour sa participation au
putsch. Certaines sociétés appartenant à
des gülenistes ont vu leurs biens
confisqués, tandis que leurs obligations
et dettes restaient bien à la charge des
propriétaires dépossédés. Il est
difficile de se défendre contre des
accusations quelque peu rhétoriques de
gulenisme..
Les Turcs répondent par une saine
plaisanterie, aux tâtonnements de cette
“justice aveugle” : « un aveugle, ça
s’agrippe à tout ce qu’il peut
attraper”.
Le gouvernement argue que
lesgulenistes constituaient une
organisation de comploteurs, appelée
FETO, et la décrivent comme
« organisation terroriste ». Ils la
comparent à Daesch, au Cartel de
Medellín, et, plus surprenant, aux
jésuites.
Mais il reste difficile de comprendre
en quel sens les gulenistes étaient des
terroristes. La pire chose dont ils sont
accusés, c’est d’avoir fraudé pour
obtenir des certificats permettant à
leurs membres d’accomplir un
service civil, et ce faisant, de leur
avoir assuré des positions confortables.
Ce n’est pas conforme aux principes des
joueurs de cricket, mais peut
difficilement être qualifié d’opération
terroriste.
Comment fait-on pour démasquer un
guleniste ? La tâche n’est pas simple,
mais il y a certains marqueurs qui
révèlent le crypto-guleniste.
Les gens qui utilisent la messagerie
ByLock sont suspects. Cette messagerie
d’amateurs avait été populaire parmi les
gens de Gülen et certaines personnes
impliquées dans le putsch. 150 000
utilisateurs de ByLock ont fait l’objet
d’une enquête. Le système avait été
piraté par les services de sécurité de
l’Etat il y a quelque temps, parce que
c’était très léger du point de vue
sécurité. Après quoi, les conspirateurs
s’étaient reportés sur le système de
messagerie professionnelle WhatsApp. Il
offrait une bonne sécurité, mais il
suffisait de mettre la main sur le
smartphone d’un seul comploteur pour
avoir accès à tous les autres.
Autre moyen pour débusquer un crypto-guleniste :
localiser le billet d’un dollar que les
gulenistes reçoivent de leur gourou. Un
membre du Parlement m’a dit qu’un vrai
guleniste coud souvent ce billet sur
l’envers d’un sous-vêtement, au contact
de sa peau.
Cette idée avait été mise en service
par le rabbin fondateur des Loubavitch :
en effet, feu Menachem Mendel
Schneersohn répandait aussi des billets
d’un dollar et bénissait même de la
vodka pour la consommation des juifs
hassidiques. Il conversait avec Dieu, et
Gülen de même, selon ses troupes, et
selon ses adversaires également. Les
juifs ultra-orthodoxes essayaient eux
aussi d’accroître leur influence, avec
un succès considérable.., mais ils
n’avaient jamais été qualifiés de
terroristes.
Gülen avait été - et il le reste – un
personnage très puissant dans le monde
turcophone, particulièrement en ex-URSS
et en Chine, depuis le Tatarstan et la
Yakoutie jusqu’au Xinjiang. Les jeunes
du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan sont
passés par ses écoles. Le mouvement
Gülen était considéré comme la branche
dominante dans l’islam politique modéré
pro-occidental. Pratiquement tous les
islamistes modernes de la Turquie sont
passés par ses écoles. Il était l’allié
le plus important d’Erdogan dans son
combat ascendant contre les kémalistes
violemment laïques qui gouvernaient la
Turquie jusqu’en 2002.
On dit que les kémalistes étaient
tout à fait pro-US, mais ils avaient
refusé de privatiser les biens publics.
Erdogan et Gülen étaient tout autant
pro-US, et acceptaient l’idée de la
privatisation massive et de la vente
d’actifs à des firmes américaines
ou occidentales en général. Une grande
partie de la richesse turque se trouve
maintenant entre les mains d’étrangers,
et c’est cela qui bloque un virage plus
radical d’Erdogan en direction de la
Russie.
Tant qu’Erdogan et Gülen étaient amis
et partenaires, Gülen avait aidé Erdogan
à réduire le pouvoir des généraux
laïques dans des limites raisonnables.
Ses partisans, bien établis dans la
branche légale du gouvernement, avaient
organisé l’affaire Ergenekon. Ils
avaient prétendu avoir découvert une
vaste conspiration terroriste
ultra-nationaliste, appelée Ergenekon,
et ils avaient envoyé 43 généraux et de
nombreux hommes politiques en taule.
Erdogan était sidéré de cet exploit de
Gülen, et quelque peu effaré, parce que
ce vieux monsieur contrôlait apparemment
depuis la Pennsylvanie le système
judiciaire de toute la République
turque, depuis la police jusqu'aux
procureurs et aux palais de justice.
Et Erdogan avait de bonnes raisons
d’être effrayé. En 2013, Gülen demanda à
ce qu’Erdogan le laisse gérer une
centaine de sièges au Parlement, et
quand cela lui avait été refusé, il
avait lâché toute la machinerie
judiciaire contre son vieux camarade. En
décembre 2013, les sympathisants de
Gülen dans la police et autour du
procureur général accusèrent les
ministres du gouvernement Erdogan de
corruption. Parmi les prévenus, il y
avait Bilal, le fils d’Erdogan, ainsi
que des amis personnels d’Erdogan.
Au lieu de tenter de réfuter les
accusations et de se défendre devant les
tribunaux, Erdogan avait décrit les
accusations en termes de « tentative de
coup d’Etat ». Il était allé au-devant
de la population, parcourant le pays, en
appelant au peuple, et les masses
l’avaient soutenu. Il avait forcé la
police et les tribunaux à enterrer des
dossiers, et commencé à mettre en œuvre
la dé-gulenisation de la Turquie.
Pour les gens qui ont été élevés dans
l’idée de la suprématie de la loi, cela
ressemble à un travestissement de
l’ordre normal des choses. Mais le
pouvoir judiciaire n’est pas meilleur
que le pouvoir législatif et l’exécutif,
il est moins démocratique, moins proche
du citoyen ordinaire, bien plus lié au
pouvoir réel de l’argent. Aux US, il n’y
a ni Gülen ni confrérie Gulen, mais les
juges, à commencer par la Cour suprême,
peuvent passer outre la volonté du
peuple comme on a pu le constater
lorsqu’ils ont imposé les mariages
monosexe ou le droit des firmes à
acheter les candidats. L’Etat profond
c’est eux, et ce n’est donc pas une
mauvaise idée de les renverser.
Certes, nous voulons la justice, mais
nous voulons aussi la démocratie.
Jadis, les juges US étaient tous
élus, tous proches de la population,
mais ce n’est plus le cas. En Turquie,
Gülen avait trop bien réussi à placer
ses pions au cœur du pouvoir
judiciaire ; il avait perdu le soutien
populaire. Et les Turcs étaient prêts à
pardonner à Erdogan, y compris pour des
faits avérés de corruption : ils avaient
le sentiment qu’il se souciait du
peuple, alors que Gülen et ses partisans
n’en avaient cure. Pour le système
judiciaire, la corruption est un crime,
et un politicien corrompu doit aller en
prison. Mais s’il n’est pas corrompu, on
peutaussi le condamner pour une
proposition indécente à une femme. C’est
ainsi que le système judiciaire a le
pouvoir de bloquer touthomme politique,
de dévoyer la démarche politique
démocratique. Erdogan avait réussi à
passer outre le système judiciaire.
Après sa victoire de décembre 2013,
Erdogan avait accusé Gülen et ses
partisans d’avoir créé l’affaire
Ergenekon de toutes pièces, et d’avoir
fait arrêter beaucoup de gens innocents.
Les généraux et les politiciens avaient
retrouvé leur liberté.
A Ankara, j’ai rencontré un dirigeant
du camp kémaliste républicain au
Parlement, Mustapha Ali Balbaï. Ce bel
homme énergique, musclé, aux traits
européens (comme beaucoup de Turcs)
venait de passer cinq ans derrière les
barreaux pour avoir trempé dans le
complot d’Ergenekon, selon l’accusation.
Il avait été élu député alors qu’il
était encore prisonnier, et venait
d’être libéré. « Maintenant ce sont les
juges qui m’avaient envoyé au trou qui
se retrouvent derrière les barreaux »
disait-il tout joyeux.
Y a-t-il eu un vrai complot Ergenekon?
C’est la question que j’ai posée au
rédacteur en chef de la CNN turque, un
réseau puissant qui a joué un rôle clé
dans la neutralisation du putsch de
juillet. « Il y a eu un noyau, un petit
noyau, et on en a fait un énorme monstre
qui n’a jamais existé », m’a-t-il
répondu. En d’autres termes, il y avait
bien une conspiration, mais c’était une
cabale de juges et de services de
sécurité, le genre de complot le plus
fréquent.
En ce qui concerne les purges de
gulenistes supposés, il y a un chiffre
qui en dit long. La police d’Ankara
avait reçu quarante mille dénonciations
concernant certains gulenistes, m’avait
on dit à mon arrivée dans la capitale.
Les épouses dénoncent des maris
infidèles, des propriétaires dénoncent
leurs métayers qui ont des arriérés.
C’était devenu une accusation
universelle ; et naturellement, la
police n’arrête pas tout le monde, mais
beaucoup de gens ont été convoqués pour
enquête. Cette campagne me rappelle le
maccarthysme aux US, ou les campagnes
contre les trostkystes dans l’URSS des
années 1930.
Pour certains, la purge n’est pas
assez consistante. Le rédacteur en chef
d’un petit journal, que nous appellerons
Mehemet, m’a dit : « s’ils devaient
pourchasser tous les agents de Gülen,
ils n’auraient plus ni parti ni faction
au Parlement. » Tous les patrons du
parti et tous les ministres sont passés
par les réseaux de Gülen. Mais on ne
s’attaque qu’au menu fretin, les gros
poissons passent à travers les mailles
du filet. »
N’empêche qu’Erdogan prend ce
nettoyage très au sérieux, comme il
l’avait fait lors du complot Ergenekon
cinq ans plus tôt. Il ne veut pas d’un
Gülen prêt à le poignarder dans le dos,
et il préfère se débarrasser
complètement de ce réseau, aussi étendu
soit-il. Erdogan dit que le putsch de
juillet était le deuxième, le premier
consistant en une tentative pour
utiliser la police et les tribunaux en
décembre 2013 contre lui et sa famille.
Les relations de la Turquie avec la
Russie et avec les US sont étroitement
liées à ce discours sur les deux
putschs. Je me suis rendu en
Turquie juste après la visite de
Poutine, en octobre 2016, quand les deux
dirigeants se sont mis d’accord pour le
chantier du très important oléoduc, et
ont mis en place la dernière inflexion,
ou du moins la plus récente, dans leurs
relations en zigzag.
L’amitié entre Erdogan et Poutine
avait souffert d’un brutal retour en
arrière en novembre 2015, lorsqu’un jet
SU-24 avait été abattu par un missile
air-air lâché depuis un avion turc
au-dessus de la Syrie. Les relations
avaient été réduites au minimum, les
touristes russes ne débarquaient plus,
les légumes turcs avaient perdu leur
marché russe, les projets gaziers et
pétroliers avaient été enterrés.
En juin 2016, nouveau zigzag. Erdogan
a présenté des excuses, et les relations
se sont améliorées après le putsch de
juillet. Il est probable que ce pas en
avant d’Erdogan a bien aidé à déjouer le
putsch. Après celui-ci,ce n'était que
tapis de roses. En août, Erdogan s’est
rendu en Russie et a rencontré Poutine.
C’était son premier voyage à l’étranger
après le putsch. Et maintenant, en
octobre, c’est Poutine qui est venu à
Istanbul et qui a fait savoir que leurs
relations étaient plus cordiales que
jamais ; même le projet d’oléoduc a été
signé, invalidant le seul levier dont
Kiev disposait contre Moscou.
Là, les gulenistes se sont avérés
tout à fait utiles: on leur a imputé
l’attaque contre le SU-24, nonobstant le
fait que le premier ministre Ahmet
Davutoglu s’était vanté auparavant d’en
avoir donné l’ordre personnellement.
D’un autre côté, Davutoglu était proche
de Gülen et lui avait même rendu visite
en 2013, mais c’était à l’époque où
Gülen était encore persona grata
en Turquie. Et on a prétendu que
Davutoglu avait été pressenti pour
assumer le pouvoir au cas où le putsch
aurait réussi.
Pourquoi, dans ce contexte, la
Turquie s’est-elle tournée vers la
Russie en tournant le dos aux US, le
vieux partenaire d’antan? Mehemet
l’éditorialiste impute ce virage à
l’instinct de conservation très aiguisé
d’Erdogan.
On
découvre que l’administration américaine
avait décidé de faire son affaire à
l’indocile Erdogan, il y a déjà quelque
temps, et d’installer l’homme de Gülen,
Ahmet Davutoglu, à sa place. Michael
Rubin, le néoconservateur très écouté et
spécialiste de la Turquie, demandait la
tête d’Erdogan depuis longtemps. En mars
2016, il avait lancé un appel au putsch,
en août 2016 il disait qu’Erdogan ne
devait s’en prendre qu’à lui-même pour
la tentative dont il venait de
réchapper, et maintenant en octobre, il
s’est mis à prédire, ou plutôt à
encourager un nouveau soulèvement.
Le nouveau putsch est attendu vers le
10 novembre, et il commencera par
l’assassinat d’Erdogan, dit-on. Erdogan
considère que son partenariat avec la
Russie et avec Poutine constituent sa
seule chance de survivre politiquement.
Les Américains sont choqués par
l’attitude d’Erdogan envers les Kurdes
syriens. Le président turc veut garder
intacte la Turquie, l’Etat qui
vertébrait le vaste empire ottoman,
tandis que les Américains préfèrent
démanteler la Turquie dans la foulée, et
créer un grand Kurdistan à partir des
zones majoritairement kurdes de Turquie,
d’Irak et de Syrie.
Les Américains aimeraient que les
Kurdes syriens fassent l’unité de leurs
enclaves, mais Erdogan ne veut pas en
entendre parler et, de fait, il a arrêté
leur offensive.
Maintenant la bataille de Mossoul est
devenu un nouveau point de discorde. La
Turquie, dit Erdogan, a certains droits
sur Mossoul. La ville et sa région
avaient été illégalement confisquées par
les Britanniques, disent les Turcs.
Mustapha Kémal Ataturk avait envisagé
d’accepter que Mossoul soit donnée à
l’Irak seulement en 1926, bien après le
traité de Lausanne (1923). Et maintenant
Erdogan s’oppose à ce que Mossoul soit
reprise à Daesch pour être transférée
aux Kurdes. Les habitants de Mossoul
sont loin de se réjouir à l’idée de
passer sous domination kurde ou
sous les ordres du gouvernement chiite
de Bagdad.
Dans la bataille pour Mossoul et pour
Alep, dans les batailles entre les
enclaves kurdes en Syrie, Erdogan
contrarie la volonté US. Le problème,
c’est qu’il n’y a pas beaucoup de
dirigeants turcs importants qui soient à
la botte de Washington.L’opposition
kémaliste et les forces gulenistes
préfèrent s’en tenir peu ou prou à la
ligne US.
Si Erdogan perd dans une lutte pour
le pouvoir, la Turquie peut s’enfoncer
dans la guerre civile: entre Turcs et
Kurdes, entre les divers mouvements
musulmans et les kémalistes. Il était
là, le projet porté par le putsch de
juillet, m’a dit le député du parti
républicain Ali Mustapha Balbaï.
Les temps ne sont pas faciles, c’est
le moins qu’on puisse dire. Les livres
turques sont parties vers le Sud. Les
priorités ont changé : au départ, la
place Taksim manifestait contre Erdogan,
maintenant ils manifestent contre le
trop-plein de réfugiés syriens et
irakiens. La droite européenne n’est pas
la seule, la Turquie aussi trouve qu’il
y a trop de réfugiés. Ils ont peur que
la bataille de Mossouldébouche sur
l’entrée en force des deux millions
d’habitants de Mossoul en Turquie.
Et les manifestants ne sont plus les
mêmes. Ce sont les gens ordinaires qui
protestent contre l’afflux de Syriens,
tandis que les Turcs occidentalisés et
éduqués manifestaient contre Erdogan.
Ces derniers sont fort marris, et se
demandent s’ils ont un avenir en
Turquie. La classe politique est
également chagrine. Ils n’aiment pas la
férule autoritaire du sultan Erdogan.
Les gulenistes sont extrêmement
contrariés. Les généraux en sont encore
à consolider leurs positions après
la succession de purges. Et la vieille
rivalité entre populations laïcistes et
religieuses est plus vivace que jamais.
Alors que les US ont une idée très
nette de la voie que devrait suivre la
Turquie, la Russie, sa rivale, ne se
mêle pas de la politique intérieure
turque ; elle ne se soucie au demeurant
des querelles domestiques d’aucun pays.
Les Américains sous Obama et
probablement encore plus sous la
Clinton, sont des gens très enclins à
interférer et à imposer leurs lois,
qu’il s’agisse de tenues de plage ou de
mariages monosexe. Ce n’est pas le cas
des Russes.
C’est chez eux une tradition
immémoriale. Ils ne se sont pas mêlés de
la vie privée des Ouzbeks ni des
Tadjiks, ni des Tchétchènes, ni des
Finnois ni des Polonais. C’est la raison
pour laquelle on peut trouver en Russie
des zones gérées selon la loi musulmane,
selon la tradition bouddhiste et même
selon la plus pure coutume polythéiste.
Pour les Russes, Erdogan est un
partenaire important, et ils le
laissent, lui et les autres Turcs,
décider s’ils devraient avoir un système
parlementaire ou une république
présidentielle, si les filles doivent
porter le voile ou pas. On peut être
sûrs que les Russes ne viendront pas
leur donner de leçon dans leur vie
privée. C’est un grand avantage quand on
est allié des Russes.
Nous allons bien voir s’il suffit
d’avoir d’aussi bons alliés pour s’en
sortir. L’enjeu des élections US est
considérable : Erdogan était furieux
quand Mrs Clinton a fait référence aux
ambitions kurdes. Mais pour l’instant le
monde entier attend de connaître la
décision du peuple américain.
Traduction : Maria Poumier
Pour joindre l’auteur: adam@israelshamir.net
Original publié sur
The Unz Review.
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