Opinion
Trump en acteur de Kabuki
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Dimanche 24 septembre 2017
Donald Trump s’est
trompé, dans sa carrière. Son style
flamboyant en aurait fait un acteur de
Kabuki populaire et très aimé.
Les Japonais aiment ce qu’ils appellent
aragoto, littéralement un style
de drame héroïque “business à la
sauvage”, mettant en scène un énorme
guerrier terrifiant maquillé en rouge et
noir, avec un grand sabre. Le guerrier
fait irruption sur la scène avec des
cris stridents et tonitruants et il
lance jusqu’au ciel son Shibaraku
(« Attends un peu », ou mieux encore
« Bas les armes, rends-toi ». Les
fervents du Kabuki se souviendraient
avec délices de la prestation de Trump à
l’Assemblée générale de l’Onu, et cela
pendant des années, si seulement il
s’était produit au théâtre Kkabukiza de
Tokyo. Dans l’art
japonais, il y aurait un rôle pour Kim,
son adversaire, dans la pièce intitulée
Tora-no-O, « La queue du tigre ».
Il serait celui qui pose le pied sur la
queue du tigre.
Trump et Kim
auraient pu commencer par une battle en
rap, en un superbe défi:
- C’est sûrement
un voyou et un gangster qui adore jouer
avec le feu !
- Je vais le
dompter, ce gâteux dérangé, moi, avec
mon feu !
- Rocket Man est
en mission suicide pour lui-même et pour
son régime!
- Un clébard
effrayé aboie plus fort que ça !
Leurs personnages
de rappeurs seraient Rocket Man et le
Gâteux orangé, et ce serait très drôle.
Mais, pour un
président américain aux Nations unies,
son discours était d’une brutalité
choquante et malvenue. Le monde entier a
éprouvé un soupçon de nostalgie pour feu
Adolf Hitler, un garçon sympa et
tempéré, aux messages subtils, en
comparaison avec le féroce président US.
Le chancelier
allemand est réputé avoir tué six
millions de civils, et ce sacrifice
sublime (ne me demandez pas à quelle
divinité, c’est juste la traduction du
mot grec “holocauste”) est considéré
comme le pire crime de la sanglante
histoire de l’humanité. M. Trump a
publiquement proclamé bien haut qu’il en
réduirait en cendres cinq ou six fois
plus. Tandis que le Teuton ne s’était
jamais vanté sur le sujet, l’Américain
fanfaronne à l’avance sur ce crime
encore en pointillé. Son désir de
détruire totalement la Corée du Nord, de
rayer de la carte une nation entière de
25 millions de personnes, et en plus de
causer la mort de millions de Coréens au
Sud de la péninsule dans la foulée, lui
assure une place exceptionnelle parmi
les méchants.
Kim, le King
effronté du Nord, a traité Trump de
"chien qui aboie”, le genre de chiens
qui, dit-on communément, ne mord
jamais, et c’est certes une pensée
réconfortante, mais pas autant qu’une
bonne muselière. Le chien aboyeur est
forcément dangereux et il faut le tenir
en laisse, ou le délivrer de son
malheur. Le molosse a été intimidé par
ses ennemis tout proches, et le voilà
comme possédé du démon, car il y a à
peine quelques mois, Trump était un être
épris de paix qui voulait s’occuper des
infrastructures US, qui refusait de
plier devant l’AIPAC et qui était amical
avec Poutine. C’est Mme Clinton qui
était la va-t-en guerre. Mais la magie
par invocation a opéré efficacement sur
lui.
Jadis, les
magiciens invoquaient le nom de
Belzébuth, et celui-ci apparaissait. Les
Américains et leurs mentors juifs sont
obsédés par l’Allemagne de Hitler ;
Hollywood lance au moins un film par
mois tournant autour de Hitler. Ils ont
invoqué si souvent les noms de Hitler et
de la Gestapo qu’ils en sont hantés.
Dans une
intervention de la justice poétique, la
nemesis de Trump porte le nom du
chef de la Gestapo, et applique les
méthodes choisies par son homonyme
allemand. Bien des supporteurs
principaux de Trump se réveillent avec
des sueurs froides après toute une nuit
à s'attendre à ce que les sbires du
procureur
Robert Mueller forcent leur porte
pour s’introduire dans leur chambre à
coucher à l’aube, comme ils l’ont fait
avec Paul
Manafort. Cette terreur style
Gestapo a détourné les vents favorables
de la barque de Trump. Les milliardaires
américains et leurs politiciens ne sont
pas si courageux que ça. Ils peuvent
rugir contre un petit Etat du bout du
monde, mais dès qu'ils se sentent
vulnérables chez eux, leur bravoure
rétrécit. Adolf Hitler avait Mueller de
son côté, mais Trump fait piètre figure,
en aspirant au rôle d’Hitler persécuté
par Mueller.
Donald a invoqué
Hitler pour rejeter les tentatives de
résoudre la crise coréenne par la
négociation. Il a qualifié la
tentative du président sud-coréen
d’« apaisement » comme un nouveau
Munich-1938. C’est le terme chargé de
dérision favori de Bibi Netanyahou, le
démon de Trump. Pour Bibi comme pour le
nouveau Trump possédé, toute personne
qui ne se soumet pas aux Juifs est un
Hitler qu’il faudrait anéantir. C’est
une attitude parfaitement
anti-chrétienne, car nous savons Qui a
dit : « bénis soient les faiseurs de
paix, car ils seront appelés enfants de
Dieu ». Si quelqu’un doit devenir le
nouvel Hitler, dans la scène zénithale
où rivalisent Trump et Kim, ce n’est
sûrement pas le Coréen dodu. Tout homme
d’Etat sur la planète sait qu’on ne peut
pas passer par-dessus les US. L’Amérique
est puissante, vindicative et vicieuse,
et on doit lui obéir peu ou prou. Ils
vous détruiront, vous et/ou votre pays
tôt ou tard, pour votre désobéissance.
S’ils ne peuvent pas envahir, ils
bombarderont, et s’ils ne peuvent pas
bombarder, ils commenceront par vous
affamer, en attendant de pouvoir
bombarder, et à la fin, envahir. Il
faudrait être fou pour résister. Mais le
petit Coréen a résisté. Il est donc fou
à lier. Seulement nous les humains nous
adorons ce genre de rebelles cinglés qui
envoient balader l’autorité suprême,
qu’ils s’appellent Che Guevara ou Luky
Skywalker. Ou encore McMurphy.
Oui, par son
courage suicidaire, Kim me rappelle
notre « Mac », Randle McMurphy, le
personnage du roman de Ken Kesy et du
film de Milos Forman Vol au-dessus
d’un nid de coucou. Vous vous
souvenez probablement de cette situation
sans espoir, et de la bataille futile,
perdue d’avance, contre la
toute-puissante infirmière Ratched. Elle
règne en maître sur les internés.
Impossible de faire appel de sa volonté.
Les internés tremblent devant elle. Mais
elle ne peut pas briser Mac. Elle est
obligée de lui brûler le cerveau, de le
flinguer par d’autres moyens, et cet
acte atroce va libérer les internés.
Jusqu’alors, ils soutenaient
l’infirmière et lui obéissaient comme
les nations obéissaient au pouvoir
judéo-américain. Et pourtant, la
crémation des neurones de Mac met fin à
avec sa domination. Révulsés, le
placides internés quittent l’enclos,
choisissent la liberté, et la laissent
brisée derrière eux. C’est dans la
nature humaine. Il n’y a pas d’autre
moyen pour les US s’ils veulent gagner
dans cette bataille contre Kim les
grosses boules. Ils peuvent le tuer et
avec lui trente millions de Coréens de
plus, mais ils ne peuvent pas gagner.
Peut-être que la
position de Kim est déraisonnable.
Peut-être, si et quand la poussière
radio-active aura été portée par les
vents sur toute la péninsule coréenne,
et que les rares survivants coréens
hiberneront dans des tentes près
d’Ussrisysk du côté russe de la
frontière, les gens raisonnables
diront-ils que Kim n’aurait pas dû
résister au bison mauvais. Qu’il aurait
dû fermer sa gueule, comme nous le
faisons. Mais même alors nous
continuerons à penser, même si nous ne
le formulons pas : « Maudit soit le
méga-tueur de Washington. Kim avait un
sacré culot, trop gros pour qu'il s'en
sorte, mais que Dieu le bénisse. »
Nous sommes
habitués au fait que les Américains font
tout ce qu’ils veulent, ils envahissent
des pays indépendants, lancent des
guerres de conquête, confisquent des
bâtiments consulaires et s’assoient sur
les traités et les conventions
sans risquer plus qu’une note de
protestation. En toute insanité, Kim le
gros promet de frapper les Américains
s’ils touchent à son pays. Nous sommes
horrifiés, mais nous sommes secrètement
heureux que quelqu’un ose dire des
choses pareilles.
Tout le monde veut
vivre, et les Russes, naturellement,
sont heureux de la prudence de leurs
dirigeants. Mais ils regardent Kim comme
les internés dociles de l’asile
regardaient McMurphy. La Russie est
scandalisée par ce conflit qui la touche
de près. La Corée, c’est près de
Vladivostok, la grande ville russe, et
les conséquences du conflit c'est la
Russie et la Chine qui auront à les
gérer. La Russie offrait aux Américains
une solution raisonnable, un double gel.
Les Coréens gèlent leurs essais
nucléaires, les Américains gèlent leurs
manœuvres aériennes. Les Coréens avaient
accepté la proposition russe, et les
Américains l’ont rejetée en toute
arrogance. « Ce serait offrir une prime
aux Coréens », a répondu le Département
d’Etat.
Ce serait donc une
prime, le droit de vivre chez soi, sur
son territoire, sans avoir à affronter
des menaces de génocide nucléaire ? Il
nous semblait que cela relevait du droit
inaliénable de chaque nation. Le nouveau
président de la Corée du Sud et ses
habitants ne sont pas chauds pour une
nouvelle Guerre de Corée, où des
millions de leurs frères et sœurs du
Nord comme du Sud vont périr. La Corée
du Sud veut des négociations et une
solution pacifique. De quel droit Trump
refuse-t-il et prétend-il même agir dans
l’intérêt de la Corée du Sud ? Si Kim
survit à cette campagne, ce sera un
immense soulagement pour l’humanité.
Mais s’il n’y survit pas, et que Trump
incinère la Corée et envoie des millions
de Coréens au paradis, alors l’Amérique
n’aura gagné que la haine et le mépris
de l’humanité, comme l’infirmière
Ratched, en cramant la cervelle au
rebelle McMurphy.
Ce qui serait
bien, c’est que le pape exorcise les
démons de Trump, de façon à ce qu’il
redevienne le Trump pour lequel les
Américains avaient voté. Mais alors, on
verrait que Trump est simplement plus
explicite que le reste des gens au
pouvoir. Les libéraux américains
proposent de faire mourir de faim les
Coréens, plutôt que de les bombarder.
L’idée de laisser les Coréens vivre à
leur manière, personne ne l’envisage, au
Capitole.
Les Russes ont
blêmi avec les projets de Trump de
reformer l’Onu et d’éliminer ou de
saboter leur droit de veto. Ils ont
remarqué une ressemblance troublante
avec l’appel d’Adolf Hitler à réformer
la Ligue des Nations en 1937. Ils ne
devraient pas accepter la moindre
tentative pour les priver de leur droit
de veto. Ils ne quitteront pas l’Onu,
non plus. Ils ont essayé de s’en retirer
jadis, et ça ne leur a pas réussi.
En janvier 1950,
les Russes étaient effarés du refus
obtus des Américains de transférer au
Conseil de sécurité le siège de la Chine
au nouveau gouvernement du président
Mao. Ils insistaient, disant que le
siège devait être occupé par le
Kuomintang régnant à Taïwan. Les Russes
ont boycotté le Conseil de sécurité à
leurs risques et périls : le Conseil a
voté (sans les Russes) pour appeler à
une action militaire des Nations unies
pour la première fois dans l’histoire de
l’organisation.
Les Russes auraient
pu bloquer la chose au Conseil de
sécurité, puisqu’ils avaient alors le
pouvoir absolu du veto, mais pas un seul
délégué russe n’était présent. Peu de
temps après, une force multinationale de
l’Onu sous commandement américain a
débarqué en Corée du Sud et la guerre
épuisante de trois ans contre la Corée
était sur les rails. Les Russes sont
immédiatement retournés siéger au
Conseil de sécurité mais ils n’ont
jamais pu le faire revenir sur cette
décision, et jusqu’à ce jour, les
troupes US en Corée brandissent la
bannière de l’Onu.
Les Russes s’en
souviennent, et ne referont jamais leur
erreur. Même si Trump sort ses alliés,
les Russes et les Chinois resteront et
continueront à faire fonctionner le
Conseil de sécurité, sans les
Américains, si besoin.
Les Américains
veulent avoir l’Onu sans les Russes. La
déclaration proposée par Trump de
remanier l’Onu a été soutenue par
plusieurs petits Etats, mais les grands
ont refusé de les rejoindre. Dans un
acte d’une rare arrogance, des pays qui
étaient hésitants ou peu désireux de
signer la déclaration (ce qui inclut la
Russie, la Chine, le Brésil et l’Afrique
du Sud) n’ont pas été invités au
lancement de l’opération. Une
organisation sans eux, ce ne serait pas
les Nations unies, mais peut-être une
Otan 2.0.
Les sentiments
russes envers les US se sont beaucoup
durcis après cette Assemblée générale.
Les Russes ont aidé l’armée
gouvernementale syrienne à traverser
l’Euphrate et à s’emparer de la rive
orientale, malgré les Américains qui
exigeaient qu’ils restent de l’autre
côté du grand fleuve. Pour la première
fois ils ont menacé les Américains
présents en Syrie de se servir de leur
puissance de feu suprême si leurs
troupes étaient piégées comme elles
l’ont été il y a quelques jours, lorsque
les islamistes menés par des
instructeurs américains ont fait une
tentative pour s’emparer d’un groupe de
policiers russes.
Le rêve de beaucoup
de politiciens américains de donner
libre cours à une guerre contre la
Russie ne semble plus aussi improbable
qu’il y a quelques mois. Il y a des gens
qui croient qu’elle est inévitable, pour
une étrange raison. Ils disent que ce
sera la réalisation d’une prophétie de
la bataille d’Armageddon décrite dans
Ezéchiel 39, et dans la Révélation, 16.
Ils disent que, puisque le champ de
bataille s’étend par-dessus l’Euphrate
jusqu’à Babylone, le programme neuro
linguistique profondément ancré (NLP) a
été activé, et qu’il conduit l’humanité
à sa destruction ultime. En clair, le
genre de prophéties qui, sitôt
proférées, tendent d’elles-mêmes à se
réaliser. Reste à voir, simplement, si
cela va commencer en Corée, à
l’Extrême Orient, ou en Syrie, au
Moyen-Orient.
Il vaudrait
vraiment mieux que Trump assume son rôle
dans le cadre du Kabuki…
Pour joindre
l'auteur:
adam@israelshamir.net
Traduction:
Maria Poumier
Publication
originale: The
Unz Review.
Le sommaire d'Israël Shamir
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