Opinion
Les secrets de la guerre en Syrie
Israël Adam Shamir
© Israël
Adam Shamir
Jeudi 22 octobre 2015
Les plus gros secrets :
l’Occident n’a personne en Syrie pour
prendre le contrôle des territoires
libérés; les Russes cherchent encore
des partenaires, Erdogan a eu les yeux
plus gros que le ventre, et ISIS n’est
qu’un fantasme, après tout.
Les Russes sont aux anges, avec leur
aventure syrienne. Vingt jours après
leur entrée dans la guerre de Syrie,
l’opération est rentabilisée. Ils ont
déployé leurs joujoux militaires et bien
épaté les autres gars dans le bac à
sable. Après une longue période de
découragement, les Russes ont été
acclamés, merci pour eux, ils se sentent
bien mieux, comme un convalescent après
une grave maladie. Ils adorent les
images de leurs pilotes en tenue chic,
style américain, de leurs jets
exquisément dernier cri, de cette
campagne intrépide si loin de chez eux.
Ils adorent la publicité faite à leurs
opérations militaires, tout à fait
inédite. Les commandements postent des
vidéos et leur permettent de suivre
attaques et tirs en temps réel.
Poutine était déjà très populaire
avant la guerre, avec 86% d’opinions
favorables dans les sondages, et
maintenant il crève le plafond. Ce que
les Russes ont préféré, c’est le
lancement osé de leurs 26 Kalibr tout
neufs, ces missiles de croisière, tirés
depuis une frégate dans la Mer
Caspienne, bondissant jusqu’en
Syrie par-dessus les buttes et déserts
d’Irak et d’Iran. Irak et Iran avaient
été prévenus, mais n’ont pas vendu la
mèche à leurs partenaires US. Les
missiles ont frappé à la perfection, et
les experts militaires disent que ce
nouveau type de missiles de croisière
pourrait permettre, si nécessaire, à la
Russie de faire son affaire du bouclier
anti-aérien US installé chez les voisins
d’Europe orientale. Les Russes ont été
aussi heureux que le jour où ils ont
lancé leur premier Spoutnik au
firmament.
La campagne syrienne était tellement
populaire qu’une tentative pour
organiser une manif anti-guerre a
spectaculairement échoué : cent
cinquante personnes en tout et pour tout
s’y sont retrouvées, sur les
quinze millions de Moscovites. Par
comparaison, les rassemblements contre
l’intervention dans les affaires
ukrainiennes ont attiré quelques
milliers de protestataires au moins.
Comme nous l’avions prédit, les
Russes ne se sont pas trop inquiétés à
propos d’Isis (en dehors de quelques
raides sur Raqqa, leur « capitale »
supposée), mais ont attaqué d’autres
groupes d’opposition autour de Damas et
d’Alep, en projetant de libérer tout le
nord de la Syrie, pour ouvrir la route
jusqu’à la frontière turque. Les
opérations terrestres sont menées par
l’armée syrienne, peut-être avec le
renfort d’unités iraniennes et de
combattants du Hezbollah, avec une
couverture aérienne russe. Ça ne se
passe pas en douceur, parce que
l’opposition garde des positions bien
ancrées, mais ça avance, car
l’opposition fragmentée n’est pas une
cible digne d’une armée régulière avec
un soutien aérien.
Ils envisagent de boucler la
frontière turque du côté syrien, mettant
ainsi fin à l’approvisionnement des
rebelles (y compris Isis) mais en leur
laissant probablement une issue de
secours. Les Occidentaux disent qu’ils
bombardent « l’opposition modérée ».
Mais les Russes nient qu’une telle
opposition existe : ce sont tous des
djihadistes, disent-ils. Les
Russes comparent leur indignation contre
l’attaque des rebelles (réputés agents
de la CIA) avec leur indifférence
relative après le bombardement de
Médecins Sans Frontières en
Afghanistan : « donc l’hôpital a été
touché par accident, ça ne compte pas,
aucune raison de nous répandre
là-dessus chez nous non plus», a
renchéri Sergueï Lavrov, emboîtant le
pas aux Occidentaux sur cette atrocité
perpétrée par les US.
Dans le cadre négociations
confidentielles entre officiers de
haut-rang russes et européens, les
Russes disent que l’Armée Syrienne Libre
est complètement désintégrée, n’est plus
bonne à rien en pratique. Elle était
constituée principalement de déserteurs
de l’armée syrienne, les uns
religieux, les autres pas, mais « les
rasés ont pris la fuite parce que les
autres, les barbus, leur ont fait
peur. » De fait, même les journaux les
plus favorables aux rebelles comme le
Guardian ont arrêté de clamer
qu’il existe une opposition non
djihadiste consistante. Ils disent que
les rebelles sont divisés entre
djihadistes et « unités
non-idéologiques », c’est-à-dire des
gangs. Ils terrifient la population, qui
préfère nettement la férule du
gouvernement. Bachar al Assad tient 20%
du territoire, mais 80% de la
population.
Lors de la rencontre de Lavrov avec
le chef de l’opposition syrienne Burhan
Ghalioun, le ministre des affaires
étrangères russe lui a dit suavement :
« vous êtes un professeur émérite de la
Sorbonne, vous savez tout cent fois
mieux que moi. Vous dites que
Bachar est un criminel de guerre. Vous
comprenez certainement que si
aujourd’hui le président syrien vous
embauchait, Isis vous combattrait comme
ils le font avec Bachar. Ils veulent
établir leur califat de l’Andalousie
espagnole jusqu’au Pakistan, et ils ne
tolèreront même pas les Frères
musulmans, encore moins les
intellectuels éclairés comme vous, s’ils
vous trouvent sur leur passage. »
Dans les intenses négociations
diplomatiques pour convaincre de la
légitimité de l’intervention russe,
ceux-ci ont rappelé à leurs partenaires
européens que lors du sommet du G8 en
Irlande du Nord, les parties avaient
convenu d’utiliser leur force aérienne
contre les rebelles djihadistes, parce
qu’ils menaçaient la sécurité mondiale.
Cela avait été proposé par le Hollande
de France et le Cameron du Royaume Uni,
et applaudi tant par Obama que par
Poutine.
Les Français ont fait quelques
sorties, disant qu’il y avait quelque
1600 Français combattant dans les unités
de l’Isis, et pour eux c’était une
question d’autodéfense. Fort bien, ont
dit les Russes, si c’est là un argument
valable, il y a 2000 citoyens russes
aussi, dont il va falloir prendre soin
de la même façon. Voilà pour notre
auto-défense.
Les Russes ont proposé aux Français
de faire le travail pour eux (avec un
certain sourire, j’imagine).
« Dites-nous où et qui vous souhaitez
que nous lâchions quelques pétards », a
demandé le Russe. Mais les
Français n’ont dit mot. « Eh bien
dites-nous alors où et qui vous ne
voulez pas que nous ramenions à la
raison », insistait le Russe. Mais le
Français est encore resté coi.
Les Russes soupçonnent que les
Occidentaux n’ont pas de réponse et
n’ont personne sur le terrain pour
s’emparer des territoires libérés. Ce
qui le prouve, ce sont les millions de
dollars lamentablement gaspillés par les
US pour entraîner quatre ou cinq
combattants. Ce qui explique aussi la
longue campagne futile de
bombardements : plus de 7500 sorties
sans résultat tangible, à moins de
compter la centrale récemment détruite,
qui fournissait leur électricité aux
habitants d’Alep.
Lavrov a quelques histoires
intéressantes sur l’époque antérieure,
quand les Forces aériennes russes
n’étaient pas encore installées dans la
région. Les observateurs russes ont
clairement identifié la colonne d’Isis
sur des jeeps Toyota avec des étendards
noirs, se déplaçant dans le désert
autour de Palmyre, mais ils ont reçu,
avec leurs alliés syriens, une
requête des US, leur demandant de les
laisser passer sans les toucher. Plus
encore, les US ont prévenu Bachar : ils
le frapperont s’il essaie seulement de
se servir des sorties US contre l’Isis
pour gagner du terrain.
Mais il n’y a pas d’alternative à
Bachar al Assad, maintenant, a dit
Lavrov. C’est lui ou l’anarchie. Il n’y
a pas d’opposition unie pour faire
contrepoids à Isis, juste des troupes
clairsemées. « Laissez l’opposition se
rassembler et former une coalition.
Qu’ils s’unissent et prennent part à la
bataille contre Isis ». Il est peu
probable que l’offre soit retenue.
La tonalité des entretiens russo-européens
a récemment changé. Auparavant, les
ministres européens se comportaient
comme des sahibs arrogants avec des
indigènes rétifs, maintenant les voici
devenus respectueux, voire obséquieux.
L’envol des Kalibr a modifié la
perception, comme les vagues de réfugiés
syriens. Les Européens ont fini par
comprendre que les Russes sont capables
de pacifier la Syrie et de ramener les
réfugiés chez eux. Seulement il y a une
autre partie prenante dans le conflit,
la Turquie d’Erdogan.
Erdogan en
difficulté
J’ai beaucoup de sympathie pour le
dirigeant turc : il a arraisonné les
généraux, rendu une certaine prospérité
à son pays, a défendu les pauvres, s’est
exprimé en faveur des Palestiniens.
C’était un excellent ami et voisin de la
Russie, pour le plus grand profit des
deux pays. Mais sa politique syrienne a
été désastreuse pour la Syrie, pour la
Turquie et pour l’Europe.
Une personnalité de haut-rang m’a dit
qu’au premier signe de problème en
Syrie, Erdogan a demandé au président
Assad de donner la moitié des postes au
gouvernement à de Frères musulmans.
Assad a refusé, et Erdogan a lâché ses
chiens. Les djihadistes, c’est-à-dire
les combattants islamistes de toute
espèce, se sont rassemblés en Syrie à
partir de la Turquie. Ils ont reçu des
armes grâce à la Turquie, la Turquie est
leur itinéraire préféré pour les
antiquités pillées et pour le pétrole
illégalement produit.
Erdogan a des projets
grandioses : créer un vaste empire
construit sur les Frères musulmans. Ces
plans se sont effondrés quand l’armée
égyptienne a chassé le président Morsi
et a pris le pouvoir. Ils ont raté leur
coup en Syrie aussi, et la chute a été
pesante.
Erdogan a invité les Syriens à venir
en Turquie pour un cout séjour, le temps
que Bachar soit détrôné : plus de deux
millions de personnes ont accouru, un
flot intarissable. Les Turcs embarrassés
ont découvert que cela minait leur
sécurité, ainsi que leur qualité de vie,
et leur fragile prospérité fondait. Les
élections récentes l’ont confirmé :
Erdogan escomptait une claire majorité
pour sa réforme constitutionnelle, mais
n’est pas parvenu à former un
gouvernement, il a été forcé d’appeler à
de nouvelles élections.
Maintenant Erdogan tente de mobiliser
ses électeurs par la menace de guerre.
Les Turcs sont patriotes, ils ont été
élevés dans la vénération de leur héros
de la première guerre mondiale le
général Kemal Ataturk. Pour eux (comme
pour bien des nations), une menace de
guerre est un appel au clairon pour
s’unir et soutenir le gouvernement.
C’est pour cette raison qu’il projette
d’amener la Turquie au bord de la guerre
avec la Russie. C’est ce que clame la
« gorge profonde » turque, un infiltré
anonyme et fort intéressant, qui envoie
ses touits sous le pseudo de Fuat Avni,
https://twitter.com/fuatavni_f .
Il a une avance remarquable pour révéler
les plans nuisibles du gouvernement.
Maintenant il dit qu’Erdogan a donné
l’ordre d’abattre les avions russes en
Syrie tout en prétendant qu’ils ont
pénétré dans l’espace aérien turc.
Les forces turques ont déjà abattu un
drone, et disant qu’il était russe. Au
même moment, ils lancent des opérations
contre les Kurdes syriens, les alliés
préférés des Américains. L’opposition
turque insiste, la grande attaque
terroriste contre la manifestation
pacifique kurde à Ankara (95 morts, 215
blessés) perpétrée par Isis a été
utilisée, voire suggérée par Erdogan. Si
l’on garde en tête le fait qu’Erdogan
était l’architecte d’une nouvelle
politique de paix envers les Kurdes
turcs, c’est particulièrement
déplaisant.
Erdogan a perdu ses alliés. Les US
préfèrent les Kurdes, et sont stupéfaits
que les Turcs les bombardent tout en
déclarant qu’ils se battent contre Isis,
principal ennemi des Kurdes. Il n’est
pas sûr qu’ils viennent à la rescousse
pour protéger Erdogan en cas de problème
avec les Russes.
Son seul bon moment, il l’a dégusté
ces jours-ci, lorsque Fau Merkel lui a
donné trois milliards d’euros pour
retenir les réfugiés, à condition qu’il
arrête leur exode. Elle a
en outre promis des voyages sans visas
et quelques autres menues faveurs pour
lui remonter le moral.
Mais le pire est à venir. Sous le
coup de l’offensive menée par la Russie
en Syrie, les djihadistes ont commencé à
se replier sur la Turquie. Ils se rasent
la barbe et foncent tant que c’est
possible. C’est un grand soulagement
pour la Syrie, et la Turquie va faire le
plein de gangs. Certains observateurs
disent déjà que la Turquie sera la
prochaine Syrie.
Lors d’une rencontre confidentielle,
Erdogan a menacé Poutine d’envoyer
des dizaines et des centaines de
milliers de combattants en Syrie, assez
pour compenser tout avantage que la
coalition russe pourrait avoir. Il peut
s’appuyer sur les coffres forts des
Saoudiens, et peut-être sur un clin
d’œil américain. S’il le veut, une
guerre tous azimuts peut devenir
envisageable.
Les Kurdes restent des franc-tireurs
ennuyeux pour la Turquie. Ils ont des
liens de longue date avec Israël et les
US, comme avec la Russie. L’ambassadeur
russe à Ankara a récemment été
réprimandé parce que les officiels
russes ont rencontré les représentants
kurdes à Paris ; Les Russes sont en
train de mener en douce les Kurdes vers
un processus politique, mais les Russes
sont bien conscients que les Kurdes
peuvent présenter un danger pour l’Etat
turc.
Il vaut mieux jouer franc-jeu. Les
Russes ne dédaignent pas Erdogan et ses
ennuis. Ils ont d’autres intérêts à
combiner, depuis les oléoducs et les
constructions en projet, avec les
investissements multi-milliardaires des
deux côtés, et les Russes espèrent que
les Turcs resteront bons amis, même si
un sérieux ajustement de la politique d’Erdogan
en Syrie doit être nécessaire dans tous
les cas.
Sous l’angle
sunnites-chiites
Encouragé par les Britanniques dans
les années 1920 et par les Américains
après 2003 en Irak sous occupation,
l’inimitié sunnites-chiites ajoute une
complication au problème. L’Iran est un
allié de Bachar al Assad, et prêt à
l’aider, mais les Iraniens, qui sont
chiites, ont hésité. Ils craignaient que
leur présence sur le terrain soit
utilisée pour présenter le conflit comme
une guerre entre sunnites et chiites.
L’arrivée des Russes, qui ne sont pas
chiites, a résolu l’équation insoluble.
Avec leur commandement, la coalition n’a
apparemment pas de connotation
religieuse. Mais les Etats du Golfe
(dirigés par la Troïka Koweit, Qatar et
princes saoudiens) qui étaient les plus
grands financeurs des rebelles syriens,
tentent de jouer cette carte-là. « Votre
soutien à Assad, les gens vont
l’interpréter comme votre guerre contre
un milliard et demi de sunnites »,
ont-ils annoncé à Lavrov.
« Ce n’est pas nous qui avons mis fin
au solide Etat sunnite de Saddam Hussien »,
rétorque le ministre russe. Certes, les
Russes ont soutenu l’Irak de Saddam
Hussein, tandis que les US l’attaquaient
et ont mis en déroute le gouvernement
comme l’armée, créant ce fantôme
d’outre-tombe qu’est Isis. Les Russes ne
sont pas sectaires ; ils soutiennent
l’Irak avec des chiites présents aux
postes clés comme ils ont soutenu l’Irak
avec les sunnites aux postes clés. Ils
soutiennent la Syrie avec ou sans Bachar
al Assad. Cela fait partie de leur
tradition impériale non sectaire.
Des groupes sunnites extrémistes
peuvent jouer la carte du terrorisme. Un
groupe de combattants d’Isis a
voyagé de Syrie à Moscou en programmant
un acte de méga-terrorisme dans le métro
de Moscou. Ils ont été arrêtés à la
dernière minute avec une bombe de cinq
kilos entre les mains. Il y a beaucoup
de personnel de sécurité à Moscou et
dans d’autres villes russes, ils ont les
terroristes à l’œil, mais il n’y a pas
de sentiment d’état de siège.
Les Russes essaient de ne pas braquer
les Saoudiens et les autres princes du
Golfe. Ils ont bien reçu leur ministre
de la défense Mohammad bin Salman, le
jeune fils du roi Salman. Il a rencontré
Poutine deux fois, et il y a des projets
de visite royale en Novembre.
A chaque rencontre entre les princes
du Golfe et les officiels russes, les
princes avancent deux requêtes : Assad
doit partir, et l’Iran devrait faire de
même. Les Russes rejettent clairement
les deux requêtes, disant qu’ils ne
peuvent pas le faire et qu’ils ne
sauraient dire aux Syriens quel doit
être leur président.
« De toute façon, Assad ne nous
écouterait pas même si nous le lui
demandions. Si vous voulez qu’Assad
parte, parlez-lui donc, a suggéré
Lavrov, pince-sans-rire. Offrez-lui donc
quelques garanties, une résidence, de
l’argent. » Mais que valent les
garanties après la débâcle ukrainienne ?
Le président Yanoukovitch avait accepté
toutes les conditions des ministres
européens, il avait signé sa reddition,
reçu leurs garanties, et le lendemain il
a été obligé de prendre la fuite pour
sauver sa peau, de justesse. » Certes
l’expérience récente de l’Ukraine, de
l’Irak, de la Libye, ont rendu la
solution en Syrie plus compliquée pour
certains…
Partenaires
et rivaux
Les Russes tiennent toujours beaucoup
à l’amitié avec les Américains. Il n’y a
aucun anti-américanisme style tiers
monde chez eux. Etant très conservateurs
par nature, les Russes préfèrent les
Républicains conservateurs aux
Démocrates éclairés, quoiqu’ils aient
apprécié Roosevelt et Kennedy. Ils ont
admiré Reagan, et ils aimeront
probablement Donald Trump encore plus.
Mrs Clinton ne va pas les subjuguer. Ils
préfèreraient avoir les US comme
partenaires et amis, quoiqu’ils ne
supportent pas de se voir réprimander
par les US, ou orientés, comme les
« missiles de croisière démocrates » ont
tendance à le faire, dans les termes de
Justin Raimondo.
Même maintenant ils tentent de
présenter leur aventure syrienne comme
un effet du partenariat avec les US. Les
officiels m’ont dit qu’ils ont proposé
un plan d’urgence pour sauver un pilote
d’un avion abattu (russe ou américain)
parce que les deux pays mènent également
des missions aériennes contre Isis. Ils
ont été abasourdis par la froideur en
réponse des Américains. Ils
disent qu’ils font le boulot que les
Américains n’ont pas réussi à faire,
concrètement éradiquer l’entité
terroriste. S’ils soupçonnent que les US
avaient un plan fort différent, ils n’en
soufflent mot.
Les Russes ont invité une délégation
militaire à Moscou pour voir ensemble
des aspects techniques de l’opération
syrienne : les Américains ont refusé.
Les Russes ont proposé d’envoyer une
délégation au Pentagone, conduite par le
premier ministre Medvedev ; leur offre a
été ignorée. Après une longue
hésitation, les Américains ont accepté
un arrangement pour éviter le risque
d’avoir des avions qui se heurtent dans
les cieux syriens. Ils sont très
malheureux de l’intervention russe, mais
ne font pas grand-chose contre elle. Les
US ont lâché quelques armes depuis les
airs pour les rebelles (surtout des
missiles personnels anti-tank TOW) et
ils devraient en envoyer encore, sans
doute pour essayer de mettre en œuvre la
logique afghane consistant à armer les
rebelles pour saigner les Russes.
L’ombre
afghane
Il est de notoriété publique que les
Américains ont attiré les Soviétiques
dans le bourbier afghan, ont armé les
moudjahidines avec des missiles Stinger
et ont épuisé les Soviétiques jusqu’à
les briser et les faire capituler à
l’issue de la Guerre froide. Mais les
contes de fées sont aussi très
populaires.
Dans la vraie vie, l’emprise
soviétique sur l’Afghanistan était
légale, car elle correspondait à une
demande du gouvernement légitime. Les US
s’étaient emparés de centaines d’Etats
avec une semblable légitimité, et dans
certains cas (dont l’Afghanistan qui
était occupé par les belligérants) avec
bien moins de prétextes.
Les pertes soviétiques en Afghanistan
ont été modérées (moins de 15000 hommes
en dix ans, à comparer avec les 50000 GI
américains perdus au Vietnam), le
gouvernement avait été stabilisé, les
femmes recevaient l’égalité des droits,
la vie commençait à s’améliorer
rapidement.
La décision de Gorbatchev a forcé les
Russes à quitter l’Afghanistan, mais ils
avaient été obligés de quitter aussi
l’Allemagne, l’Ukraine, les Etats baltes
et la Pologne. Il n’y a pas de raison de
croire que la campagne afghane ait pesé
beaucoup dans l’effondrement soviétique.
L’Union soviétique s’est effondrée
parce que ses dirigeants ont préféré
dissoudre l’Union, embrasser le
capitalisme et rentrer dans le système
en égaux, à la rigueur en tant que
membres juniors. Une décision étrange,
mais c’est ce qui s’est passé. Voilà
pourquoi les Russes ne se considèrent
pas des vaincus de la Guerre froide. Si
l’Occident avait observé certaines
règles du jeu élémentaires, la Russie
serait restée un membre docile du
Premier monde, comme l’Italie ou la
France, pour le meilleur et pour le
pire.
L’Afghanistan a joué un très petit
rôle dans ces évènements, et il est
probable que l’aventure syrienne ne
donnera pas beaucoup de cauchemars à la
Russie moderne non plus.
Le fond de
l’affaire
La présence d’Isis en Syrie sera
éphémère, probablement. Créé par
l’incapacité des US à trouver
leurs propres agents pour garder le
contrôle du terrain pris au régime de
Damas, Isis se retirera à mesure que
Bachar regagnera du terrain tout en
formant une coalition et un partage du
pouvoir avec les groupes d’opposition.
En Irak, ce sera moins facile, Isis
contrôle de grandes villes dont Mossoul
avec ses deux millions d’habitants. La
solution ne peut être que politique, et
naître d’un compromis entre chiites du
sud, sunnites du centre, et Kurdes du
nord, si l’intégrité de l’Irak doit être
préservée, comme le préféreraient les
Russes.
Au final, les Russes peuvent se
retrouver avec une base de Latakia sur
le littoral méditerranée parfaitement
équipée sur le plan naval, aérien et
terrestre, en réponse à la vaste base US
du Kossovo, et comme solution aux
limites existant sur le Bosphore. Ce
sera une nouvelle Sébastopol, la plus
grande entreprise russe pour un siècle.
Qui est partant pour Poutinegrad ?
Contacter l’auteur :
adam@israelshamir.net
Version originale en anglais sur
UnzReview.
Traduction : Maria Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
Le
dossier Syrie
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