Opinion
Elections russes: Blanche-neige et
les sept nains
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 21 mars 2018 Les élections
russes sont passées, heureusement :
elles ont été fort piteuses et
embarrassantes. Poutine aurait pu gagner
de façon plus modeste, plausible. Les
résultats feraient la fierté pour le
Turkménistan, ou encore pour la Corée du
nord. 68% de votants, un score
franchement élevé. Et le président a
obtenu presque 77% des voix, tandis que
Groudinine, nous dit-on, a fait moins de
12%, et c’était le principal opposant.
Theresa May et
Boris Johnson ont éminemment contribué à
la victoire éclatante de Poutine. Leur
ultimatum, leurs accusations sans
fondement, et leurs menaces ont mobilisé
des millions de Russes qui n’avaient
aucune envie d’aller aux urnes
auparavant. Avant l’affaire de
Salisbury, les Russes étaient plutôt
indifférents aux élections
présidentielles. Les résultats étaient
connus d’avance, pourquoi se prêter à la
comédie. Mais la ligne dure britannique
autour d’une histoire nauséabonde de
tentative d’assassinat les a fait voir
rouge.
Les résultats
ont-ils été falsifiés ? Probablement,
jusqu’à un certain point, mais c’était
parfaitement superflu. Les premiers
résultats véridiques venant de l’Extrême
Orient russe donnaient plus de 20% aux
communistes, et environ 60% à Poutine.
Il semble que les experts de
l’administration qui avaient accès aux
scores aient décidé de les « améliorer »
de force. Les résultats obtenus après
les tout premiers dépouillements avaient
été ajustés pour coller aux nombres
souhaités.
Dans la province
reculée de Yakoutie, avec ses gelées
invraisemblables à moins 35°, le
candidat communiste a obtenu environ 30%
des votes, et de même dans la ville
universitaire sibérienne d’Omsk. De
l’autre côté, dans la république
musulmane de Tchétchénie, connue pour
être malhonnête et despotique,
l’opposant recueillait moins de 15% de
voix.
Mon petit doigt me
dit que des résultats non trafiqués
auraient donné de 18 à 25% aux
communistes, et par conséquent, de 60 à
65% pour Poutine, ce qui serait
tout-à-fait honorable pour le déclarer
vainqueur incontestable, mais pas tout à
fait assez pour ses courtisans zélés.
Mon cher confrère Anatoly Karlin avait
fait des pronostics ; il citait les
projections de VTSION, avec 6% pour
Groudinine et 7% pour Jirinovski (ou le
contraire) comme pourcentages fiables.
Mais ces deux-là, tout comme les deux
partis en question, ne jouent pas dans
la même équipe. Le parti national
démocratique de Jirinovski devrait
bientôt disparaître, à moins d’un
rajeunissement radical, alors que les
communistes ont des partisans solides.
Et les prévisions sociologiques ne
pèsent plus grand-chose de nos jours :
ce sont des outils dans la guerre
psychologique contre les électeurs,
c’est tout.
Miss Xenia Sobchak,
la candidate libérale et
pro-occidentale, a été traitée avec
tendresse par les medias d’Etat. Elle a
bénéficié d’une couverture positive tous
les jours pendant la campagne. Elle est
censée être la filleule de Vladimir
Poutine, et être la fille d’un collègue
plus âgé de Poutine, l’ancien maire de
St Pétersbourg, et de Mme Narousova,
membre du Sénat russe. Elle a obtenu les
votes de M Navalny, empêché de se
présenter à cause de sa condamnation
pénale. Et pourtant elle n’a obtenu que
1,5% des voix, ce qui prouve fort peu
d’engouement pour un programme
pro-occidental.
Les candidats
restants ont suivi les prédictions,
obtenant environ un pour cent ou
moins. Les reportages étaient tous
contre Paul Groudinine ; pratiquement
chacun comportait quelques nouvelles
négatives à son sujet. Les affiches
officielles avec les noms des
concurrents, fournies par la CEB,
comportaient une mention selon laquelle
le CEB n’avait pas pu vérifier les
informations concernant M Groudinine.
Avec les débats, c’était encore pire :
excepté Poutine, les sept autres
candidats avaient droit à quatre minutes
chacun pour exposer leur programme, et à
une minute pour répondre. De sorte que
le véritable opposant avec le vent en
poupe, Paul Groudinine, et un faux
opposant « communiste aussi » fabriqué
de toutes pièces par le Kremlin, Mr
Souraykine (qui a obtenu 0,67% des
votes) avaient la même visibilité.
Souraykine amena pour les débats une
dame qui prétendit avoir été bernée par
Groudinine, et elle fut autorisée à
participer aux débats (imaginez Mrs
Clinton amenant Stormy Daniels aux
débats avec Donald Trump). M Jirinovski
prêta serment librement face à
Groudinine et à Miss Sobchak, la seule
femme dans le lot. L’un dans l’autre,
ils avaient réussi à donner l’impression
d’une bande de clowns dans un cirque de
province.
Les Russes ont
appelé ce pitoyable spectacle
« Blanche-Neige et les sept nains ».
Blanche- Neige, c’était sans doute
Poutine, qui n’a pas participé aux
débats, ce qui lui a permis d’apparaître
comme celui qui savait se tenir
au-dessus de la mêlée. Cette technique a
été complétée par la prédominance des
infiltrés télécmmandés par les
conseillers de Poutine sur les réseaux
sociaux. Ils harcelaient chaque rival de
Poutine avec des commentaires et des
interventions hargneuses.
On a prétendu que
l’administration avait acheté
l’allégeance de certains gauchistes
indépendants bien connus, car ils ont
fait le tour de la Russie en prêchant
contre Groudinine en tant que personnage
« pas vraiment communiste ».Ces gens-là
n’auraient pas pu se payer tous les
billets d’avion nécessaires sur les
immenses distances russes, il fallait
bien que quelqu’un endosse les chèques.
Et cette campagne
nauséabonde était parfaitement
superflue. Poutine aurait gagné sans se
salir et sans manier l’intimidation. Je
parie que des officiels russes ont fait
des excès de zèle parce qu’ils
espéraient quelque faveur du
Commandant en chef. C’est hélas très
typique de la Russie : les officiels
ignorent les limites tout autant que la
décence, quand ils cherchent à atteindre
des buts censément agréables à leurs
supérieurs. Je ne pense pas que Poutine
les ait personnellement approuvés, ou
qu’il ait été au courant de ces
manigances ; mais c’est ce qui se passe
quand chaque officiel fait de son mieux
(ou de son pire) pour atteindre ou
dépasser les objectifs. L’opposant en
chef Groudinine avait d’autres problèmes
encore chez lui. Son parti KPRF (le
parti communiste) ne s’est pas battu
pour l’aider. C’était un outsider, comme
Trump l’était par rapport aux
républicains. Je me suis fait dire que
dans de nombreuses villes, les officiels
du KPRF ont tranquillement saboté la
campagne et dépensé les fonds publics
assignés à l’élection dans leur
intérêt personnel.
Le chef du parti,
Ziouganov, ne voulait pas partager avec
l’étoile montante ; il insistait pour
suivre chaque pas du candidat et prendre
la parole à sa place. Il y a eu très peu
de vidéos de la campagne où la présence
de Ziouganov n’était pas pesante. Après
le vote, Ziouganov s’est dit satisfait
des résultats, et a appelé Poutine à
désigner Groudinine comme Premier
ministre. Celui-ci s’est abstenu de
relayer son appel.
Dans le cadre de la
campagne anti-Groudinine, les réseaux
sociaux l’ont interpellé sur ses
ancêtres juifs, et cela même au nom de
gens « de gauche », quoiqu’il ne soit
pas plus « juif » que John Kerry ou
Vladimir Lénine. Il n’est pas le seul
candidat d’origine juive : Jirinovski a
du sang juif aussi. Cela ne signifie pas
grand-chose en Russie, en dehors des
cercles ultra-nationalistes. Une grande
partie des gens cultivés en Russie ont
quelque aïeul juif ; après tout, les
juifs soviétiques épousaient librement
des Russes ethniques, tout au long du
siècle passé, et la majorité choisissait
de prendre femme en dehors de la
communauté. Les enfants des mariages
mixtes se considèrent habituellement
comme Russes ; ceux qui se considéraient
avant tout comme juifs sont partis en
Israël. Là, ils ont découvert que les
juifs ne les considéraient pas comme des
membres du peuple élu, et beaucoup sont
repartis en Russie, guéris de leurs
illusions. Cependant, la judéité ou
comme vous voudrez l’appeler n’a pas
beaucoup joué au cours de la campagne
électorale. Les élections russes n’ont
pas été aussi perverses, disons qu’en
Egypte, où presque tous les candidats
ont été arrêtés et emprisonnés ; les
partis d’opposition y sont interdits,
sauf dans le cas où ils sont conçus pour
un candidat personnellement dévoué au
président sortant. La comparaison avec
l’Iran n’est pas aussi tranchée. En
Iran, les candidats sont sélectionnés
par une équipe d’ayatollahs ; en Russie,
c’est l’administration présidentielle
qui fait le tri, un organe qui n’est pas
prévu par la Constitution, mais qui a
des pouvoirs pour faire le ménage dans
la vie politique russe. Malgré tout, en
Iran, il y a une vraie bagarre entre les
candidats, même si les débats sont
modérés par les ayatollahs, alors qu’en
Russie, il n’y a pas de réel
affrontement. Il y a des raisons
historiques à cela. La Russie manque de
traditions démocratiques, mais cela ne
relève pas de la tyrannie, parce que le
peuple russe aime ses dirigeants, et
généralement les approuve. Les tsars
étaient chéris, les Secrétaires généraux
l’ont été constamment, jusqu’au dernier.
Eltsine a été aimé au moins jusqu’en
1995. Et maintenant, les Russes aiment
Poutine ; c’est un dirigeant légitime,
aussi longtemps qu’il saura garder
l’amour de son peuple.
Ce serait agréable,
de suivre un modèle moins autoritaire,
mais peut-être que ce modèle convient au
caractère national russe. De façon
étonnante, il aurait pu ne pas en être
ainsi, sans l’intervention américaine.
En 1991, la Russie avait une
constitution démocratique, mais après
1993, quand Eltsine eut fait bombarder
le parlement, les conseillers US
créèrent une constitution pour la Russie
en gardant au pouvoir exécutif un
autoritarisme intact, prévu pour
empêcher toute restauration du
communisme. Les Américains n’ont donc
pas le droit de s’en plaindre : ce sont
eux qui avaient tout bricolé. C’est une
bonne chose, que Poutine soit plutôt un
dirigeant qui réussit ce qu’il
entreprend, parce qu’il est prudent et
méfiant. Même si sa dernière élection
n’a pas été aussi honnête qu’on l’aurait
souhaité, il jouit incontestablement
d’un soutien massif. Espérons qu’il
saura se servir de ce résultat qui lui
dégage le terrain pour lancer des
réformes dans la bonne direction, dans
l’intérêt du peuple russe.
Israel Shamir
can be reached at adam@israelshamir.net
This article was
first published at The
Unz Review.
Traduction: Maria
Poumier
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