Infos Gaza 901
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Ouvriers de Gaza :
peu de droits, des salaires dérisoires
Isra Saleh el-Namey
Jeudi 18 janvier 2018
Hani Abu Talal est l’homme d’une
seule mission. L’ouvrier de 34 ans passe
ses journées à arpenter les rues du camp
de réfugiés de Nuseirat, dans le centre
de la bande de Gaza, à la recherche de
tout projet de construction auquel il
pourrait prêter ses bras et son temps.
Les ouvriers de la construction de
Gaza ont beaucoup de mal à joindre les
deux bouts suite à près de dix ans de
blocus israélien. (Photo : Ashraf Amra
APA images)
Son sort est
celui de tous les travailleurs
journaliers. Sa chance réside dans les
mains du rare chef des travaux sur place
qui aurait quelque chose à lui proposer.
Sa mission est quasiment impossible. On
est à Gaza : l’enclave connaît le
taux de chômage le plus élevé de la
planète.
« Se
dégoter un boulot n’arrive que tous les
trente-six du mois »,
expliquait Abu Talal. « Je
cherche la moindre occasion de trouver
l’un ou l’autre travail et de me faire
un peu d’argent. »
Les rares
journées de travail n’offrent guère de
répit à l’accablante pauvreté. Père de
cinq enfants, Abu Talal dit qu’il
a de la chance si une journée complète
d’un travail physique pénible lui
rapporte plus de 30 shekels (juste un
peu moins de 8 dollars).
« La
construction, c’est un travail dur »,
a expliqué Abu Talal à The
Electronic Intifada. « Mais, au
lieu d’être correctement payés, on nous
fait chanter ; on nous raconte que les
salaires ne peuvent pas être plus élevés
à cause du manque de stabilité de
l’économie locale. »
De temps à
autre, Israël laisse passer une
cargaison de matériaux de construction,
ce qui provoque un mini-regain
d’activité. Mais les salaires restent
les mêmes et Abu Talal est
préoccupé par le fait que, si l’occasion
se présentait d’une relance soutenue
dans la construction, les employeurs
maintiendraient tout simplement les
salaires à bas niveau.
« Si un
travailleur ose demander une
augmentation, il peut se faire virer.
Nous continuons donc à travailler sans
rouspéter. Mais cela ne veut pas dire
que nous nous résignons. Nous avons des
droits. Nous avons besoin qu’ils soient
respectés. »
Les
salaires sous état de siège
Le peu de
shekels qu’Abu Talal se fait à la
fin d’une journée suffisent à peine à
payer le gérant de l’épicerie locale où
sa famille s’approvisionne pour
l’essentiel. Et quid de l’avenir ? Il
n’a pas d’économies. Il n’y a que la
crainte permanente et tenace, dit-il,
qu’un jour un de ses enfants n’ait
besoin de soins médicaux urgents.
Awad Baker
est entrepreneur et l’un des hommes chez
qui Abu Talal pourrait chercher
du travail. La plupart de ses projets de
construction se situent dans le centre
de la bande de Gaza, dans la même
zone où Abu Talal gagne
péniblement sa vie. Il rejette carrément
le blâme des bas salaires et du manque
de possibilités d’emploi sur le blocus
économique qu’Israël impose à
Gaza depuis 2007.
« Nous
avons subi tant de pertes en raison du
siège que nous sommes tous profondément
endettés », a expliqué
Baker à The Electronic
Intifada. « Ces dettes doivent
être remboursées. »
Là où les
matériaux de construction sont rares,
ils deviennent plus chers. L’équilibre
est apporté par la main-d’œuvre. Les
entrepreneurs comptent beaucoup sur une
main-d’œuvre bon marché et peu
qualifiée, ce qui, à son tour, affecte
la qualité. Et plus cela va continuer,
moins qualifiés seront les travailleurs,
expliquait Baker.
Après 10 ans
ou presque d’état de siège, ajoutait
Baker, « le savoir-faire de nos
travailleurs a diminué au point que cela
affecte la qualité de notre travail.
Notre secteur est dévasté. »
La
combinaison du blocus et de la
succession des offensives militaires
israéliennes a vu le chiffre de la
construction en 2014 – l’année de la
plus vaste offensive israélienne –
dégringoler de façon effarante de 83 %,
estime la Banque mondiale.
Les échecs
du gouvernement
L’économiste
Maher al-Tabaa, directeur de la
Chambre de commerce de Gaza, l’a
expliqué en termes cinglants :
« Quand nous disposons d’un nombre très
restreint d’emplois pour des centaines
de milliers de travailleurs, les
salaires diminent. Le blocus a refusé
l’accès de l’économie locale à de
nombreux emplois et les choix sont
limités pour nos travailleurs. »
Avec cet
excédent de main-d’œuvre, expliquait
al-Tabaa, les travailleurs sont plus
enclins à accepter un travail qui ne
paie pas un salaire normal.
Mais Sami
al-Amasi, responsable de la
Fédération générale palestinienne des
syndicats à Gaza, affirme que le
siège n’est pas le seul facteur
responsable de la situation désespérée
des travailleurs locaux.
Il a
également pointé du doigt la politique
du gouvernement unitaire palestinien
aujourd’hui défunt qui, au début de son
mandat, disait-il, a supprimé les
programmes de formation et d’emploi qui
auraient pu aider les gens à retrouver
du travail.
Le
gouvernement unitaire avait été
constitué après un accord entre le
Hamas et le Fatah, en juin
2014, mais il avait été assailli de
soupçons mutuels dès le départ. Un an
plus tard, il démissionnait et,
Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité
palestinienne, remodelait le cabinet
à deux reprises. Bien que le Hamas
ait rejeté les deux remaniements, le
gouvernement se prétend toujours un
gouvernement de consensus.
L’emploi
temporaire et les programmes de
formation professionnelle ont aidé dans
le passé à alléger la crise de l’emploi,
expliquait al-Amasi, et ils
étaient destinés à fournir des
travailleurs dans tous les secteurs, y
compris celui de la construction.
Leur
suppression, dit-il, a signifié non
seulement un manquement dans la
politique – qui se poursuit sous
l’actuelle administration de l’Autorité
palestinienne – mais a également été
perçu comme du « mépris » à
l’égard de Gaza et de sa
population.
Al-Amasi
a ajouté qu’on avait échoué dans
l’application des lois existantes aux
droits des travailleurs, et il a cité la
législation en faveur d’un salaire
mensuel minimum de 1 450 shekels
(environ 380 dollars).
Il n’y a
pas que l’argent
L’ouvrier de
la construction Adham Abdelrahman,
39 ans, reçoit moins de 800 shekels par
mois. Il fait un travail éreintant 12
heures par jour en moyenne. Il n’avait
pas la moindre idée non plus de ce que
la loi avait fixé un salaire minimum de
près de deux fois ce qu’il gagne.
« Je n’ai
jamais été payé autant. À quoi servent
les lois, si on ne les applique pas ? »
Et le salaire
n’est pas le seul problème auquel sont
confrontés les travailleurs de la
construction. Les réglementations
concernant la sécurité sont rarement
appliquées, les travailleurs n’ont pas
d’assurance santé et il y a très peu de
chance qu’ils reçoivent des
compensations en cas d’accident sur le
lieu de travail.
Salem al-Bashiti,
44 ans, a été victime d’un tel accident
il y a quatre ans et il lui en est resté
un bras en partie paralysé.
« J’ai eu
de la chance que mon patron était un
brave type et qu’il m’a aidé a récupérer
une partie des frais de traitement. Mais
j’en connais beaucoup qui ont été
abandonnés sans même la moindre parole
de consolation après leur accident »,
a-t-il ajouté.
Il attend le
jour, a-t-il dit, où les travailleurs de
la construction pourront bénéficier non
seulement des droits repris dans les
lois et appliqués sur les lieux de
travail, mais aussi d’une reconnaissance
plus générale.« Nous travaillons dur
pour servir notre pays et le construire.
Nous méritons d’être honorés et bien
traités », a-t-il conclu.
Publié sur
The Electronic Intifada
Isra Saleh el-Namey
est journaliste à Gaza.
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