Madaniya
Les ambitions de la Turquie sur la Syrie
Hussein Al Awdat
Vendredi 12 décembre 2014
La chute de
Bachar Al Assad et Alep comme prix de sa
participation à la coalition anti Da’ech.
Par Hussein Al
Awdat (1) – Journal libanais As Safir
(25.10.2014) – Traduction
madaniya.info
Beyrouth – Le
gouvernement turc a posé plusieurs
conditions en réponse à la requête des
États Unis en vue de sa participation
aux opérations militaires de la
coalition internationale contre Da’ech.
Ces six conditions
portent notamment sur :
-
L’aménagement d’une zone de sécurité
dans le nord de la Syrie dont la
superficie devrait être déterminée
d’un commun accord entre la Turquie
et ses alliés. Cette zone devrait
pouvoir servir de point de transit
et de passage des réfugiés syriens
de et vers la Turquie.
-
L’installation dans la zone de
sécurité de l’Armée Syrienne Libre
(ALS), de camps d’entraînement et de
dépôts de munitions, le tout assorti
du ferme engagement de former un
nombre suffisant de combattants
dotés d’un armement correct.
-
L’installation du gouvernement
provisoire et des diverses
composantes de l’opposition de
manière à constituer un quasi état
face à l’actuel état syrien.
-
Préparer les institutions résidant
dans la zone (ALS, gouvernement et
composantes de l’opposition) en vue
de les substituer à Da’ech pour
autant que la coalition parviendra à
affaiblir ce groupement en vue de
son dégagement de la zone.
-
Considérer la chute du régime syrien
comme devant être la priorité des
priorités, notamment si la zone de
sécurité était aménagée afin de
mettre l’ALS en position de pilonner
les forces gouvernementales
syriennes.
-
La Turquie s’engage, en
contrepartie, de participer non
seulement aux raids aériens mais à
une intervention au sol et à
contribuer à la chute du régime
également, en application d’un
accord conclu en 1998 entre Ankara
et Damas du temps du président Hafez
Al Assad, concédant à la Turquie un
droit de site sur le territoire
syrien dans sa traque des
«terroristes». Cet accord avait été
signé après les menaces formulées
par la Turquie contre la Syrie lors
de son offensive contre le PKK.
Il est clair que
les conditions turques représentent une
forme déguisée reddition, fruit d’un
opportunisme résultant de ses besoins de
participer à la coalition. Elles sont
disproportionnées par rapport à la
prestation qu’Ankara serait en mesure de
fournir. Elles ne sont pas directement
liées à la guerre contre Da’ech, mais
répondent à d’autres préoccupations en
ce que la Turquie met à profit la crise
syrienne pour satisfaire d’autres
ambitions.
Les États Unis
n’ont pas souscrit jusqu’à présent aux
conditions turques et la Turquie
maintient la pression pour qu’ils y
souscrivent en ce qu’elle s’est fixée
depuis trois ans comme son objectif
prioritaire la chute du régime syrien.
Elle a saisi l’offre américaine comme
une occasion de relancer son projet.
La Turquie a
modifié sa position à l’égard de la
Syrie à la suite du refus de Damas de
consentir à la médiation d’Ankara visant
à une réconciliation avec les Frères
Musulmans. Depuis le refus de l’offre
turque présentée par Reccep Teyyeb
Erdogan, le dirigeant néo islamiste turc
est devenu un ennemi intime du régime
syrien, facilitant le passage des
combattants et des extrémistes vers la
Syrie, leur fournissant une aide
matérielle notamment en armes, ouvrant
ses portes tant à l’opposition syrienne
qu’aux réfugiés.
Il a paru opportun
à la Turquie de reformuler sa requête en
la présentant comme la condition à sa
participation à la coalition.
Toutefois, il
est à rappeler quelques faits pour une
meilleure compréhension de la crise
syrienne :
-
La Turquie a pris fait et cause pour
les Frères Musulmans et souhaite
qu’ils se substituent au pouvoir
actuel.
-
Elle cherche à mettre en échec les
tentatives menées par la Syrie en
vue de transférer en Turquie le jeu
confessionnel et de tirer profit de
la présence sur le sol turc de
plusieurs millions d’Alaouites en
les incitant à se dresser contre le
«Parti de la Justice et du
développement», le président Erdogan
et sa politique, en semant les
germes, toutes minuscules qu’elles
soient, dans le tissu social
composite turc, interconfessionnel
et pluri-ethnique.
Au delà de la
cacophonie ambiante, un fait demeure qui
mérite d’être souligné: Depuis la chute
de l’état ottoman et son retrait de
Bilal As Sham, les pays du Levant
(Syrie, Liban, Palestine) les divers
gouvernements turcs qui se sont succédés
au pouvoir, croient fermement, sans
l’avouer, qu’Alep est turque.
Sa protestation la
plus violente à l’encontre de l’accord
Sykes-Picot portant aménagement du Moyen
orient en zone d’influence franco
britannique a concerné le rattachement
d’Alep et de Mossoul, la première à la
Syrie et la seconde à l’Irak, en les
plaçant hors de la souveraineté de la
Turquie.
Les ambitions
turques quoique secrètes sont demeurées
vivaces tout au long des cent dernières
années. Elles éclairent d’un jour
nouveau l’insistance de la Turquie à
placer le mausolée de Souleymane Chah, –
grand père d’Ousmane Ier, fondateur de
l’état Ottoman, décédé au XIIIe siècle
de l’ère chrétienne -, sous souveraineté
turque en plaçant des gardes turcs
autour de sa sépulture située en
territoire syrien et qui y sont jusqu’à
présent. Ce faisant la Turquie veille à
transformer cette situation de fait en
tête de pont de toute éventuelle
intervention.
Les régimes laïcs
turcs du XX me siècle ont veillé à
préserver ce mausolée ottoman, feignant
d’oublier qu’ils étaient à l’origine de
la chute de l’Empire ottoman et qu’ils
sont hostiles à la sanctification des
tombes des ancêtres et de leur
entourage, particulièrement lorsqu’il
s’agit de personnage de second rang. En
dépit de toutes ces préventions, les
forces turques continuent de monter la
garde autour du mausolée du grand père
du fondateur de l’état ottoman.
Il n’est pas exclu
qu’Erdogan projette de réclamer Alep ou
de l’annexer si l’évolution du conflit
de Syrie conduisait à la partition du
pays, en complément de l’intronisation
des Frères Musulmans au pouvoir pour
imposer son hégémonie sur la Syrie.
Les requêtes
turques se heurtent à une vive
opposition multiforme notamment de
l’Iran qui observe avec méfiance les
projets turcs en ce qu’ils sont en
concurrence avec ses propres projets
pour la région.
Le projet turc se
heurte en outre à une opposition du côté
arabe, notamment en raison du fait
qu’Ankara a, tour à tour, attaqué le
régime égyptien, critiqué le congrès
libyen nouvellement élu, opté pour les
Frères Musulmans, offrant l’hospitalité
à ceux de ses dirigeants fuyant leur
pays, sans parler de son hostilité
envers la Syrie.
La politique turque
va affaiblir les espoirs placés par les
Kurdes quant à l’obtention d’une
autonomie des régions kurdes de Turquie
avec les conséquences inhérentes à ce
genre de frustrations.
Le plus surprenant
est l’attitude du pouvoir syrien, qui a
adopté dans cette phase une position de
spectateur, ignorant ce qui se trame
autour de lui et sur son sol, focalisant
son attention sur les meilleurs moyens à
dégager pour réprimer son peuple et à
ancrer son pouvoir, se berçant de
l’illusion sur ses chances de victoire
militaire…. Comme s’il reprenait à son
compte la posture du calife assiégé,
lors de l’attaque de l’Irak par les
Mongols, répétant comme pour se rassurer
«Bagdad me suffit et me jugeront de
modeste appétit».
Les assaillants
l’ont trouvé trop grande pour lui et
l’ont finalement soustraite à son
pouvoir.
Article :
version arabe
Nom du fichier :
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Légende : Version arabe
A propos de l’auteur
-
Hussein Al Awdat: une des figures de
l’opposition syrienne indépendante,
ce journaliste éditeur, membre
fondateur de «La Proclamation de
Damas» vit à Damas et se refuse à
quitter sa capitale. Ancien
directeur de l’Agence Syrienne
d’Information (Sana), il a
démissionné en 1982 en signe de
protestation contre les massacres de
Hama. Il est l’auteur notamment des
ouvrages suivants: «La femme arabe
dans la religion et dans la
société», «Les Chrétiens arabes»,
«La mort et les religions
orientales».
Illustration
Alep : http://en.wikipedia.org/wiki/File:Aleppo_old_city_image.jpg
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Publié avec l'aimable autorisation de
René Naba
Le
dossier Syrie
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