Actualité
Démission du PIR
Houria Bouteldja
Mercredi 7 octobre 2020
Il est temps pour moi de tirer ma
révérence. Je quitte le PIR. Je prends
cette décision non sans une certaine
tristesse mais avec beaucoup de
lucidité. Nous sommes aujourd’hui à la
fin d’un cycle. Le PIR que j’ai eu
l’honneur de co-fonder il y a 15 ans
avec
Sadri Khiari,
Youssef Boussoumah,
Mehdi Meftah,
Atman Zerkaoui et d’autres est
sûrement l’organisation politique
autonome de l’immigration qui laissera
le plus de traces et le plus grand
héritage théorique et politique en
France depuis les années 80. Je ne
verserai pas ici dans une hypocrite
fausse humilité. Je pèse chaque mot que
j’écris. L’émergence du mouvement
décolonial est la plus grande réussite
politique, en France, depuis la chute du
mur de Berlin et l’apparition du
mouvement écologique. Ce que le PIR a
apporté dans l’action, la réflexion, la
propagande, la théorie, en un mot, dans
la stratégie, marque un tournant, pas
seulement pour la possibilité d’un
mouvement autonome indigène, mais pour
l’essor de tout le mouvement
révolutionnaire. Nous avons forgé des
armes pour tenter de résoudre la
question de l’unité des classes
prolétaires (majorité décoloniale) sur
la base de la notion de « races
sociales », de l’antiracisme et de
l’anti-impérialisme avec comme tout
bagage une foi inébranlable et autant de
moyens qu’une bande de clodos. C’est un
apport majeur qui n’a pas fini de
produire ses effets, par-delà les
vicissitudes d’une période pour le moins
chaotique, déconcertante et effrayante.
Tout cela s’est fait dans un mélange
d’audace, de panache, de provocation, de
défiance, mais aussi dans l’amour des
nôtres et des Blancs même si ces
derniers sont rares à le savoir. Bref,
aujourd’hui le PIR rayonne dans toutes
les universités et les milieux
antiracistes occidentaux – notamment
grâce au réseau décolonial international
(DIN) – où il est cité en exemple et où
je suis considérée comme une véritable
théoricienne décoloniale. Il est aussi
reconnu, bien que dans une moindre
mesure, dans certains pays du sud. Sauf
en France, cela va sans dire, où je suis
considérée comme une sorcière, jusque
chez les féministes qui dénoncent… la
chasse aux sorcières. La boucle est
bouclée. Avec mes frères et mes sœurs de
lutte, nous avons toujours tenu à
privilégier un langage franc et sans
détour qui refuse obstinément de fuir le
réel au risque parfois de heurter ou de
creuser l’incompréhension. Nous nous
sommes cognés maintes fois sur le mur
épais de la résistance blanche, comme
nous nous sommes cognés à celui, à peine
moins épais, de l’intégrationnisme
indigène sous toutes ses formes. C’est
dans ce paysage hostile qu’il a fallu
chercher les chemins d’une dignité
éprouvée, terrée, cachée, réprimée, mais
toujours visible et prête à bondir pour
tout œil tendre et empathique. Les
lâches ont été nombreux, les hypocrites
et les calculateurs tout autant. Blancs
ou indigènes. C’est à eux qu’on doit le
développement de notre sens aigu de la
ruse, de la manœuvre et du billard à dix
bandes. Mais dans le tas, il y a eu des
rencontres exceptionnelles, des fous
sublimes et de belles âmes, militants ou
anonymes. Entre les deux, il y a ceux
qu’on a déçus pour de bonnes ou de
mauvaises raisons. Si la déception est
justifiée, je le regrette. Aujourd’hui,
toutes les portes nous sont fermées.
Devenus trop radioactifs, nous sommes
même un fardeau pour nos amis, qui n’ont
d’autres choix que de devenir
radioactifs à leur tour ou devenir des
« traîtres de raison ». C’est la fin
d’un cycle qui a connu la naissance et
l’épanouissement spectaculaire de
l’antiracisme politique. Mais son apogée
et ses succès ne pouvaient pas ne pas
s’accompagner du sacrifice de
l’organisation qui s’est trouvée être le
cœur palpitant et la cheville ouvrière
de ce phénomène politique, d’un
sacrifice à la hauteur de l’affront, à
la hauteur du crime de lèse-blanchité.
Chacun, en toute responsabilité, a joué
un rôle plus ou moins heureux dans cette
histoire. Aussi, si j’avais un dernier
vœu à formuler, il serait le suivant :
je souhaite que celles et ceux qui n’ont
pas jugé utile de nous honorer le temps
de notre existence, s’abstiennent de le
faire le jour où le Tout Puissant nous
rappellera à lui. « Aimons-nous vivants
» comme disait la chanson. Question
d’éthique. Maintenant, il faut savoir
partir. Autant le faire dans l’honneur
et éviter, autant que faire se peut, de
finir dans la fange ou d’assister au
triste spectacle de la dégradation d’un
outil conçu pour la libération des
indigènes. Aussi, je préfère me faire
hara-kiri que de laisser aux traîtres ou
à l’ennemi la jouissance d’avoir porté
l’estocade. S’il plaît à ces derniers de
croire qu’ils y sont pour quelque chose,
je leur laisse volontiers à cette triste
consolation. Je pars sans amertume et
avec la fierté de n’avoir jamais été
ferrée par les Blancs de gauche et leur
bonne conscience qui leur fait office de
dignité. Je veux dire aussi – comme
l’atmosphère est plus islamophobe que
jamais – à quel point je suis attachée à
l’islam et à notre Prophète (sws) même
si je ne suis pas la Musulmane idéale
dont rêve ma mère. C’est sûrement cette
identité profonde qui m’interdira de
capituler et me permettra de faire les
choses autrement. Si Dieu veut, d’autres
voies s’ouvriront. Nous sommes un
certain nombre à partir (et ils
s’exprimeront s’ils le souhaitent),
d’autres restent. C’est ce qui empêchera
la dissolution du PIR qui est l’option
que j’aurais défendue si elle avait été
approuvée par tous. Ce n’est pas le cas.
Je ne peux que souhaiter bon courage à
ceux qui poursuivent l’aventure. Je
remercie les derniers piriens, celles et
ceux qui partent, celles et ceux qui
restent. Je remercie mes précieux frères
et sœurs du DIN, et Ramon Grósfoguel en
particulier. Je remercie Stellix et La
Fabrique, ainsi que les frères et sœurs
de Bruxelles. Je remercie les derniers
Blancs/Juifs, ceux qui ont résisté
jusqu’au bout et qui ont été à la
hauteur des défis de leur temps. Vous
êtes ma famille.
Avec tout mon amour
révolutionnaire,
Houria Bouteldja
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