Actualité
Macron, l’État terroriste
Hervé Kempf
Mercredi 27 mars 2019
Le recours à l’armée et l’annonce que
le LBD sera employé sans limite sont
l’expression nouvelle d’une politique de
terreur employée par les gouvernants à
l’encontre des contestations populaires.
Il faut nommer les choses pour ce
qu’elles sont, et résister.
Le gouvernement a
franchi cette semaine un nouveau pas
dans l’escalade de la violence d’État.
Ce pas nous fait basculer dans une
situation nouvelle. En recourant, au nom
du maintien de l’ordre, à l’armée — une
première depuis 1948 —, en donnant
licence aux forces de police d’user sans
réserve des lanceurs de balles de
défense (LBD), en «partant
du principe que ces rassemblements sont
des rassemblements d’émeutiers», MM. Macron,
Philippe et leurs ministres visent
clairement à terroriser celles et ceux
qui entendent manifester samedi prochain
et les suivants.
La répression du
mouvement des Gilets jaunes a déjà
atteint en quatre mois un niveau de
violence étatique sidérant, avec plus de
200 blessés graves, 22 personnes
éborgnées, cinq mains arrachées, et une
personne morte par un tir de grenade. Ce
bilan est le plus lourd en matière de
répression qu’on ait connu depuis mai
1968. Et non contents de tenir pour
négligeables les critiques sur cet
emploi démesuré de la force lancées par
le Parlement européen, le Conseil de
l’Europe, la haute commissaire aux
droits de l’Homme de l’ONU, des
ophtalmologistes et des chirurgiens
effrayés par les «blessures de
guerre», les terroristes d’État ont
été jusqu’à accuser le Défenseur des
droits – qui a recommandé la suspension
de l’utlisation des LBD – d’avoir «indirectement» et «implicitement» une
part de responsabilité dans le
désordre et le vandalisme qui se sont
produits à Paris le samedi 16 mars. Si
tout cela ne suffisait pas, la licence
donnée aux BAC (brigades
anti-criminalité) et
autres DAR (détachements d’action
rapide) d’agir sans limite, l’absence de
toute sanction contre la dissimulation
systématique du matricule
d’identification des agents, l’usage de
policiers en civil, l’engagement de
nouveaux moyens (drones, gaz
lacrymogènes lancés depuis des véhicules
blindés), confirment que dans leur
panique devant la rébellion, M. Macron
et ses subordonnés placent le «maintien
de l’ordre» au-dessus de toute autre
considération.
Le message envoyé
par le gouvernement est clair : toute
manifestation des Gilets jaunes sera
considérée comme une émeute, et face à
l’émeute, tous les moyens sont permis :
la mutilation, voire la mort, comme l’a
évoqué le
Premier ministre devant l’Assemblée
nationale.
Les violences
exercées par les forces de police — et
éventuellement par l’armée — sur l’ordre
du gouvernement sont accompagnées d’une
lourde pression sur l’appareil
judiciaire pour le mettre au service
d’une répression indiscriminée. De
surcroît, la loi anti-manifestation,
lancée dans un autre moment de panique
gouvernementale en janvier, va éborgner
un peu plus le droit de manifester en
donnant plus de pouvoirs aux préfets et
en introduisant des fichages de
personnes jugées — par la police — comme
susceptibles de violences. Cette loi
s’ajoute à une longue liste de lois
sécuritaires – pensées en principe pour
lutter contre le terrorisme… civil — et
dont les dispositions sont appliquées en
pratique aux mouvements sociaux.
Tout ceci n’est pas
le seul fait de M. Macron et de ses
subordonnés, même s’ils portent une
responsabilité particulière dans la
situation actuelle, et assument avec
plus de cynisme ou d’aveuglement que
leurs prédécesseurs — de Sarkozy à Valls
— l’idée de terroriser les
contestataires. Elle découle d’une
évolution engagée depuis une vingtaine
d’années — on pourrait en dater
l’origine au Patriot Act adopté aux
États-Unis en 2001 — et au long de
laquelle les classes dirigeantes se sont
éloignées des principes démocratiques
pour mettre en place un système
oligarchique. Et face aux contestations
voire aux révoltes de plus en plus
nombreuses se levant contre cette
évolution et contre l’extension infinie
des principes néolibéraux et de
l’inégalité qui l’accompagnent, ils ont
recouru à des moyens d’une brutalité
répressive toujours plus intense.
Dans le cas
français, cette radicalisation des
classes dirigeantes est favorisée par
deux facteurs. D’abord, la
synchronisation décidée en 2002 de
l’élection présidentielle et des
élections législatives assure au chef de
l’État — puisque les députés sont élus
dans la dynamique de la victoire
présidentielle — une assemblée à sa
botte, et donc une quasi impunité
politique durant cinq ans. Un deuxième
facteur facilitant la brutalisation du
pouvoir étatique en France est le
contrôle de l’essentiel du système
médiatique par les dominants, si bien
que l’opinion est orientée par les choix
de thèmes traités et par les
commentaires des chiens de garde — les
Apathie, Barbier, Elkrieff, Calvi, on en
passe, et des dizaines — de façon à
rendre primordiaux les concepts d’«ordre» et
de «sécurité», et très
secondaires les réalités de l’inégalité,
les souffrances endurées par les classes
populaires et la dégradation continue de
l’environnement naturel. Les
contre-pouvoirs aux excès de l’État sont
ainsi structurellement affaiblis.
La bêtise
criminelle des possédants dont la
macronie est aujourd’hui l’expression
Il importe de
qualifier le régime politique dans
lequel nous sommes, et qui n’est plus
une démocratie, malgré ce que serinent
jour après jour les chiens de garde. «Quelque
chose glisse», observe
Daniel Schneidermann, «que les
médias peinent à nommer». Il s’agit
bien d’une
oligarchie, mais la violence qu’elle
exerce pour maintenir sa domination
exprime une qualité particulière que le
terme de «dérive autoritaire» ne
suffit plus à qualifier. Régime
autoritaire, sans doute. Mais ce qui se
joue en ce moment est plus dangereux
encore. Le mot d’État terroriste m’est
venu. Il s’agit bien de terroriser la
révolte sociale qui s’est levée depuis
quatre mois. Dans une
émission de radio en mars 2018, le
philosophe Geoffroy de Lagasnerie disait
que «Macron essaye d’instaurer un
gouvernement de la terreur» : en
affaiblissant les dispositifs de
protection des personnes (ce que fait la
politique néolibérale), expliquait M.de
Lagasnerie, Emmanuel Macron rend les
travailleurs soumis aux patrons, par
terreur du licenciement, les chômeurs
soumis aux contrôleurs, les migrants à
la police, etc. Une observation
comparable a été faite par
l’avocate Judith Krivine : «Les
gouvernements qui se succèdent privent
les salariés de leurs droits et leur
rendent l’accès au juge plus difficile,
ce qui rend les recours de plus en plus
décourageants.»
Ainsi, la violence
blessante voire meurtrière des forces
d’État est le volet le plus apparent
d’une politique généralisée de la peur
dans tous les rapports sociaux au profit
des puissants. L’État terroriste de
M. Macron et de la classe dont il est
l’instrument n’annonce pas seulement
qu’il est prêt à tuer les Gilets jaunes.
Il leur refuse toute concession, et
entend poursuivre sans fléchir sa
politique nous entraînant dans le chaos
climatique et social.
Mais quand on règne
par la peur, on n’a plus d’autorité, on
ne suscite plus aucune adhésion. Il ne
reste que le pouvoir, dans la froide
férocité du rapport de force. La bêtise
criminelle des possédants dont la
macronie est aujourd’hui l’expression ne
doit cependant pas générer la peur par
laquelle ils veulent nous paralyser,
mais le simple et âpre sentiment
qu’aujourd’hui, il n’est d’autre
attitude digne que la résistance.
SOURCE:
Reporterre
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