MADANIYA
Syrie–Opposition :
Une pensée de vaincu est une pensée
vaincue
Haytham Manna
Jeudi 10 mars 2016
Tribune
libre. Adaptation en version française
: rédaction
www.madaniya.info
Au cimetière des martyrs de Qamichli,
nord est de la Syrie, reposent les
combattants syriens de toutes les
confessions.
Les symboles de l’opposition
officielle syrienne siègent à Istanbul,
paradoxalement la 2e ville en importance
du pays le plus laïc de l’Organisation
de la Coopération Islamique, oubliant ou
feignant d’oublier que cet état laïc a
permis à l’islamiste Reccep Tayyeb
Erdogan d’accéder au pouvoir et de le
conserver durablement. L’inverse n’est
pas vrai. De mémoire d’homme, nul ne se
souvient d’un laic ayant accédé à un
poste ministériel dans un état
islamiste.
Les mêmes non seulement s’opposent à
la laïcité de la Syrie, mais aussi au
principe directeur qui a guidé l’action
des meneurs de la grande révolution
syrienne, à savoir : « La religion
relève de Dieu et la Patrie appartient à
tous ces citoyens ».
Texte intégral
La Syrie commémore le 5e anniversaire
du soulèvement populaire du 18 mars
2011, alors que l’opposition syrienne
qui s’est arrogée le monopole de la
représentation et de la légitimité de la
contestation du pouvoir baasiste,
persiste à célébrer ses pathologies
comme autant de vertus, ses erreurs
comme autant d’exploits, ses fautes
comme autant de succès, se maintenant
sur le devant de la scène avec le
soutien de puissances régionales toutes
engagées dans une lutte d’influence sur
les dépouilles de la Syrie.
Ce 5e anniversaire intervient alors
que la moitié de la population syrienne
est en diaspora, en dehors du territoire
national, soit forcée à l’exode, soit au
déplacement forcé de son lieu
d’habitation naturel, et que l’autre
moitié vit dans des zones sous contrôle
soit des groupements djihadistes (Daech,
Jabhat an Nosra, des forces
démocratiques syriennes ou des forces
gouvernementales. Avec des poches
isolées sous le contrôle de groupements
à connotation confessionnelle (Jaych Al
Islam, Shabab al Sunna – la jeunesse
sunnite).
Même si quelques dirigeants de
l’opposition ont reconsidéré leur
position initiale, à l’instar du cheikh
Moaz al Khatib, Walid Al Bouni ou Ahmad
Tohmé, force est toutefois d’admettre
que l’autocritique n’est toujours pas
entrée dans nos moeurs politiques. Les
partisans de la militarisation du
conflit syrien continuent d’attribuer
cette option à « la volonté du peuple »,
s’exonérant ainsi de toute
responsabilité, de toute remise en cause
de la moindre de leurs erreurs.
Walid Al Bouni, -médecin et fondateur
du « Forum du Dialogue National »,
emprisonné en 2001, qui a démissionné du
Conseil National Syrien, l’opposition
parrainée par les pays occidentaux et
les pétromonarchies du Golfe-, nous
donnera acte de notre lucidité politique
: « La vision politique du « Comité de
Coordination » dans la précédente étape
était la bonne. Je ne suis pas en mesure
de savoir s’il s’agissait d’une
intuition, d’un hasard, ou de la
perspicacité. Mais sa vision sur
l’impossibilité d’une solution militaire
était saine », a déclaré M. Al Bouni
lors d’un colloque en 2014 à l’Institut
Scandinave des Droits de l’Homme à
Genève
Mouaz al-Khatib, ingénieur et imam
sunnite est un ancien président de la
Coalition nationale des forces de
l’opposition et de la révolution
(Novembre 2011- avril 2013) et Ahmad
Tohmé, ont, eux aussi, rompu avec un
courant de pensée qui relève, à l’evidence,
d’un déni de réalité.
Pour notre courant, la militarisation
du conflit de Syrie ne pouvait
qu’accentuer la riposte
militaro-sécuritaire du pouvoir Assad et
détourner le mouvement de protestation
populaire de son cours civique et civil
vers l’islamisation, l’extrémisme et la
confessionnalisation du conflit. Nous
avons veillé à ne pas vendre de
l’illusion à nos concitoyens, les
prévenant que notre histoire sera longue
car tant le pouvoir Assad que
l’opposition militaire concentraient
leur mobilisation sur trois objectifs
qui se sont révélés des mythes : Le
changement du rapport des forces,
l’acquisition des armes spécifiques et
une victoire militaire).
La banalisation de l’idée de
l’intervention militaire étrangère a
produit un effet d’aspirateur sur le
pays, faisant déferler vers la Syrie
près de 60 000 combattants étrangers
dans les deux camps. La destruction de
l’infrastructure de la Syrie est évaluée
à 300 milliards de dollars. Le
déplacement démographique touche près de
55% de la population, en superposition à
plus d’un million d’handicapés, alors
que le chiffre des victimes (morts ou
blessés) dépasse les 300.000.
La rationalité politique n’exclut pas
l’erreur, mais en réduit les
possibilités. Toute altération ou
déviation d’un discours politique fondé
sur la rationalité aura des effets
catastrophiques sur le projet de
transformation démocratique de la
société syrienne dans son ensemble.
Georges Pompidou, le successeur du
General De Gaulle, à la présidence de la
République française, résumait l’action
politique en une formule lapidaire : «
Un ou deux grands projets. Le reste
consiste à éviter de commettre des
bêtises ».
Dans l’affaire syrienne, le prix des
bêtises a été extrêmement onéreux.
Témoignage pour
l’histoire : Les dés pipés au départ
En Aout 2011, soit 5 mois après le
soulèvement populaire en Syrie, alors
que je me trouvais à Tunis, un homme
d’affaires syro-turc, Ghazzouane Al
Masri, vice président de la chambre des
hommes d’affaires islamiques de Turquie,
me convie à un congrès de l’opposition
syrienne qui devait se tenir à Istanbul.
Comme je demandais à m’informer sur
la liste des participants, Ghazzouane Al
Masri me présenta une liste de 18
membres, comprenant deux laïcs (Bourhane
Ghalioune et moi-même), ainsi que 16
islamistes. J’ai immédiatement fait part
de mon inquiétude quant à la sous
representation des civils laïcs au sein
de l’opposition en gestation, et de la
surreprésentation des islamistes. Il
n’en a eu cure. Et j’ai décliné
l’offre».
En Septembre 2011, 1 mois plus tard,
je me suis rendu au Caire en compagnie
d’Abdel Aziz al Khaiyer, Raja al Nasser
et Saleh Muslim (1) pour conclure un
programme commun avec le Conseil
National Syrien, présidé à l’époque par
Bourhane Ghalioune. L’accord signé le 31
décembre 2011 a capoté, moins de 24
heures après sa signature, à la suite de
l’intervention directe de M. Hamad Ben
Jassem, à l’époque premier ministre
qatari, qui considérait cet accord «
trop pacifiste et mou ».
Plus tard, invité par la diaspora
syrienne à Chicago, quelle ne fut ma
surprise d’entendre de la bouche d’un
des convives qui venait de rencontrer
Hillary Clinton, à l’époque secrétaire
d’État, qu’il fallait coordonner avec
Istanbul.
Je ne nourrissais aucun préjugé à
l’égard de M. Erdogan. En ma qualité de
membre du « Comité Arabe de Défense des
Droits de l’Homme », j’avais pris sa
défense lors de son arrestation en 1988.
Mais lorsqu’il est apparu que sa
démarche vis à vis de la Syrie était
soutenue par la confrérie des Frères
Musulmans avec une forte inclination
confessionnelle, j’ai estimé que ces
deux facteurs représentaient une grave
menace pour le soulèvement populaire
civil syrien. Mes démarches auprès des
divers gouvernements arabes pour les
alerter sur ce point ont été vaines.
Les choses se précipitèrent. En
coordination avec Paris, sous
l’impulsion du nouveau pouvoir
socialiste François Hollande-Laurent
Fabius qui a succédé au tandem Nicolas
Sarkozy-Alain Juppé, le Conseil National
Syrien s’est substitué au Conseil
Transitoire de Syrie, une « Armée
Syrienne Libre » a été mise sur pied,
des camps de réfugiés ont été installés
en Turquie, parallèlement à des
campagnes médiatiques plaidant pour la
nécessité de l’établissement d’une zone
d’exclusion aérienne, alors que les PC
conjoints (Otan-pétromarchies) installés
en Turquie, donnant le ton,
privilégiaient leur assistance militaire
et matérielle aux groupements à
soubassement confessionnel.
Les rumeurs
colportées par les chancelleries
occidentales
Délégation
et Haytham Manna portant une gerbe de
fleur
au cimetière des martyrs de qamichli
(nord Syrie), mars 2016.
Plus tard, en 2012, un ambassadeur
d’un grand pays occidental, m’affirmait
tout à trac : « Le quatuor a assuré son
emprise sur le projet du Comité de
Coordination né à Halfoun ». Surpris par
ses propos, je lui demandais
d’expliciter sa pensée. « De quel
quatuor s’agit-il ? Réponse du diplomate
: Haytham Manna, Abdel Aziz Al Khaiyer,
Raja Nasser et Saleh Mouslem ». J’ai
assuré le diplomate que j’allais
aussitôt rapporter ses propos à mon
collègue Hassan Abdel Azim et qu’il en
rirait aux éclats, à son tour».
Cette rumeur publique inspirée sans
doute par des politiciens et diplomates
syriens explique l’incarcération de deux
militants Abdel Aziz el Kheir et Raja
Nasser, de la part des autorités
syriennes, alors que les deux autres
Haytham Manna et Hassan Abdel Azim
faisaient l’objet d’une diabolisation de
la part de l’opposition officielle
off-shore.
Abdel Aziz Al Khaiyer a été enlevé par
les Mukhabarat syriens à notre retour
d’une visite officielle à Pékin le 20
septembre 2012 ; Raja al Nasser, lui
aussi, a été enlevé dans le centre de
Damas, un an plus tard, le 20 Novembre
2013. Saleh Mouslim a quitté Damas après
un mandat d’arrêt à son encontre.
Pour les promoteurs d’un tel projet,
il importait de décapiter une opposition
réellement indépendante, dégagée de
toute tutelle étrangère et de soutenir
des opposants dociles, prêts à faire
acte d’allégeance. Nul en Syrie n’a
entendu d’anciens dirigeants syriens
ayant rallié l’opposition se livrer à
une auto-critique. Au hasard de nos
rencontres, ils persistaient à imputer à
Bachar Al Assad la totalité de la
responsabilité des événements,
considérant que son éviction du pouvoir
constituait une condition sinequa non de
la fin de tous les maux de la Syrie.
La faillite du
système de pensée de la classe
politico-intellectuelle syrienne
Le système de pensée de la classe
politico-intelletuel a fait faillite. Le
discours politique se réduit à des
insultes.
Des sanctions sont imposées à la Syrie
et c’est toute la population syrienne
qui trinque. Les intermédiaires et
autres entremetteurs enrichis par la
guerre constituent désormais une
nouvelle classe de « petite bourgeoisie
vile ». les projecteurs se fixent sur
les seigneurs de la guerre et les
contrebandiers, alors que les démocrates
sont réduits au silence.
Les pylônes électriques sont
détruits, les usines démantelés, les
vergers réduits au dépérissement faute
d’irrigation, tandis que le citoyen
syrien est tué sur la base de son
identité confessionnelle.
Toute trace de civilisation est en voie
de disparition et voilà que de prétendus
révolutionnaires glorifient de telles
actions par leur caractère «
révolutionnaire », qu’ils jugent comme
préalable à la chute du régime.
L’opposition officielle a tout mis en
œuvre, de manière consciente ou
inconsciente, pour brider tout discours
souverain du peuple syrien.
Précarité de
l’opposition officielle syrienne :
lequel d’entre vous sera encore là dans
5 ans ?
Indice de précarité de l’opposition
officielle syrienne, ce dialogue d’un
ambassadeur d’un pays du sud est
asiatique qui interrogea un membre du
Haut Comité de négociation sur la
viabilité de ses membres : « Êtes-vous
en mesure de m’établir la liste des
personnalités qui pourront se maintenir
sur la scène politique dans les cinq
prochaines années ?
Epilogue : Que faire
?
L’approche russo-américaine, bien que
confuse, est néanmoins parasitée par les
interférences des puissances régionales.
Mais alors que le conflit de Syrie se
trouve à un tournant décisif, la
question lancinante se pose : Que faire
?
- Les démocrates syriens sont-ils
en mesure de concevoir un projet qui
réponde aux défis auxquels la Syrie
est confrontée et d’entraver
l’opération de ravalement cosmétique
en gestation et qui consisterait à
greffer aux symboles du régime
ancien, les nouveaux enrichis par la
guerre, les marchands d’armes et
autres entremetteurs de la guerre
ainsi que les pseudo opposants ?
- Les démocrates syriens
seront-ils en mesure de fonder une
Syrie nouvelle qui soit la patrie de
tous les Syriens, indépendamment de
leur appartenance confessionnelle,
ethnique ou sociale, intégrant les
erreurs du passé et l’expérience
d’une guerre parmi les plus sales de
l’histoire contemporaine ?
Les symboles de l’opposition
officielle syrienne siègent à Istanbul,
paradoxalement la 2e ville en importance
du pays le plus laïc de l’Organisation
de la Coopération Islamique (OCI),
oubliant ou feignant d’oublier que cet
état laïc a permis à l’islamiste Reccep
Tayyeb Erdogan d’accéder au pouvoir et
de le conserver durablement.
L’inverse n’est pas vrai. De mémoire
d’homme, nul ne se souvient d’un laic
ayant accédé à un poste ministériel dans
un état islamiste. Non seulement ils
s’opposent à la laïcité de la Syrie,
mais aussi au principe directeur qui a
guidé l’action des meneurs de la grande
révolution syrienne, à savoir : « La
religion relève de Dieu et la Patrie
appartient à tous ces citoyens ».
Les mêmes s’opposent à la
décentralisation, eux, qui ont abdiqué
leur souveraineté en faveur de leur
parrain, dont les agissements favorisent
la partition et le démembrement de la
Syrie.
Dans l’épreuve, une unité s’est forgée,
mêlant le sang arabe au sang kurde, au
sang assyrien en vue de sauver les
citoyens syriens de l’ogre Daech. Les
femmes, avant les hommes, ont accueilli
avec enthousiasme les combattants des «
Forces Démocratiques de Syrie ». Avec
des youyous.
Les mensonges concernant l’épuration
ethnique sont démentis dans les faits :
Arabes, Kurdes, Assyriens, Turkmènes ont
mené, côte à côte, un combat commun pour
une Syrie démocratique.
Si Deraa a eu l’honneur de constituer la
première étincelle d’un soulèvement
populaire pacifique qui s’est élancé
depuis la campagne vers les zones
urbaines, depuis la périphérie vers le
centre, les démocrates syriens ont,
quant à eux, enregistré la première
victoire contre l’obscurantisme et
l’oppression, mettant un terme à l’une
des plus sales guerres de l’histoire
contemporaine.
Des puissances régionales ont voulu
enterrer « le printemps arabe » par la
destruction de la Syrie et, voilà qu’à
la veille de la Journée Internationale
de la Femme, et de la fête du Nourouz,
nouvel an kurde, s’engagent dans la
bataille, sur la base d’un partenariat
effectif, ces deux composantes de la
société syrienne, en inaugurant
l’autogestion des zones qu’elles
contrôlent en Syrie.
L’ancien régime est mort dans les
cœurs et les esprits. La statue de la
femme s’est substituée à la statue du
dictateur et au cimetière des martyrs de
Qamichli reposent les combattants
syriens de toutes les confessions.
Qamichli est la capitale de la région de
facto autonome du Kurdistan syrien,
située au nord-est de la Syrie. Elle est
également le chef-lieu administratif du
district du même nom, dans le
gouvernorat d’Hassaké.
Nous voilà face à notre plus
important défi : Le passage réussi de
l’expérience d’autogestion menée dans le
nord syrien vers la gestion démocratique
et civique de la Syrie.
Notes
- Au sujet du titre de l’article.
L’expression « Pensée de vaincus,
pensée vaincue » est de Simone de
Beauvoir dans, Le Deuxième Sexe
- Le Conseil de la Syrie
Démocratique est une coalition né le
10 Décembre 2015. Elle regroupe 22
partis politiques, 14 ONG des Droits
de l’Homme et de la société civile
ainsi que les Forces de la Syrie
Démocratique.
Illustration
Haytham Manna portant une gerbe de fleur
au cimetière des martys de qamichli
(nord Syrie) ou son enterrés coté à coté
kurdes, arabes, assyriens et Turkmènes,
ayant participé à la bataille de
libéraiton de Koabbané des mais de daech
mars 2016
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Reçu de René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
Le
dossier Syrie
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