Actualité
Qui est Georges Ibrahim Abdallah,
le plus ancien prisonnier politique
d’Europe ?
Hassina Mechaï
Octobre
2014 - Manifestation devant l’ambassade
de France à Beyrouth,
pour la libération de Georges Ibrahim
Abdallah - Photo : via Info-Palestine.eu
Dimanche 27 septembre 2020
Le 25 octobre, Georges Ibrahim Abdallah
entamera sa 37ème année de détention. Ce
militant communiste, héros de la
résistance de la cause palestinienne,
est emprisonné à Lannemezan, en France,
depuis 1984. Techniquement, il pourrait
être libre depuis 1999.
Le nom d’Abdallah a
hanté la France dans les années 1980,
mais qui est-il vraiment ?
Abdallah a été
condamné en 1987 à la prison à vie pour
complicité présumée dans l’assassinat à
Paris de deux diplomates, un Américain
et l’autre Israélien, parce qu’il était
le dirigeant d’une organisation marxiste
libanaise.
Selon son comité de
soutien, Abdallah est victime de
harcèlement judiciaire à la demande de
puissances étrangères. Bien qu’on lui
ait refusé le statut de prisonnier
politique, il est en réalité l’un des
plus anciens prisonniers politiques du
monde. Le temps qu’il a passé en
détention dépasse de loin celui que
Nelson Mandela a passé derrière les
barreaux de l’apartheid, ou celui des
militants de la Fraction armée rouge
allemande. Pire encore, aucun nazi
condamné n’a jamais été détenu aussi
longtemps, à l’exception de Rudolf Hess,
l’adjoint d’Hitler.
Georges Ibrahim
Abdallah est né dans une famille
chrétienne maronite en 1951 à Qoubayat,
un grand village du nord du Liban ; son
père était dans l’armée. Le jeune
Abdallah est devenu professeur dans le
secondaire et a été transféré à Beyrouth
où il a sympathisé avec les milieux
nationalistes pro-palestiniens et
arabes, alors imprégnés de marxisme.
Après le début de la guerre civile au
Liban (1975-1990), il a rejoint le Front
Populaire de Libération de la Palestine
(FPLP) puis une petite organisation
appelée les Factions Armées
Révolutionnaires Libanaises (FARL).
Plusieurs actions
meurtrières ont été attribuées aux FARL
au début des années 1980, dont les
assassinats à Paris en 1982 du
lieutenant-colonel Charles Ray,
l’attaché militaire adjoint de
l’ambassade des États-Unis en France, et
de Yacov Barsimantov, le deuxième
conseiller de l’ambassade d’Israël. Les
FARL ont également été accusées de
l’assassinat à Rome, en 1984, de
l’amiral américain Leamon Hunt.
Abdallah a été
arrêté à Lyon en octobre 1984 par
hasard. Résidant en Suisse à l’époque,
il s’était rendu en France pour
récupérer la caution d’un appartement
loué. La police a découvert qu’il avait
un faux passeport algérien et l’a
arrêté.
S’il est exact
qu’il était un membre important des
FARL, son implication personnelle dans
les attaques perpétrées par le groupe
n’a jamais pu être établie et les
accusations contre Abdallah se limitent
à l’utilisation de faux documents.
Certaines personnes pensent que les
autorités américaines et israéliennes
ont fait pression sur la France pour
qu’elle alourdisse sa peine. En première
instance, il a été condamné à quatre ans
de prison.
Les membres du
groupe ont réagi à son emprisonnement en
demandant sa libération. Afin de se
faire entendre, ils ont enlevé le
diplomate français Sidney Gilles
Peyroles le 23 mars 1985 à Tripoli, au
nord du Liban. La Direction de la
Surveillance du Territoire (DST) a donné
son accord de principe pour un échange
immédiat via l’Algérie. Les FARL ont
accepté l’accord et le diplomate a été
libéré au bout de treize jours. Abdallah
n’a pas eu cette chance. Dans un
appartement dont il payait le loyer, la
police française a découvert des
explosifs et des armes au moment de
l’échange, dont l’arme qui aurait servi
à tuer Ray et Barsimantov trois ans plus
tôt. Georges Abdallah a alors été accusé
de complicité dans leurs meurtres.
Un autre procès
s’est ouvert le 23 février 1987 devant
une cour d’assises spéciale à Paris. Les
États-Unis se sont constitués partie
civile. L’année précédente, la France
avait été marquée par une vague
d’attentats sanglants qui avaient fait
treize morts et des centaines de
blessés. Aucun d’entre eux ne peut, en
aucune façon, être attribué à Abdallah,
qui était alors en prison depuis deux
ans. Un « Comité de soutien aux
prisonniers politiques arabes du
Proche-Orient » pro-iranien (CSPPA) a
revendiqué l’attentat. Néanmoins,
Abdallah a été condamné à la prison à
vie. « Le peuple ne m’a pas confié
l’honneur de participer aux actions
anti-impérialistes que vous
m’attribuez », a-t-il déclaré au
tribunal, « mais j’ai au moins l’honneur
d’en être accusé par votre tribunal et
de défendre leur légitimité face à la
légitimité criminelle de leurs
bourreaux ».
Selon la loi
française, Abdallah pourrait être libre
depuis 1999. Entre 2004 et 2020, neuf
demandes de libération conditionnelle
ont été refusées. Selon une déclaration
de la DST adressée directement aux juges
en 1999 : « Figure emblématique de la
lutte antisioniste, la libération de
Georges Abdallah constituerait sans
aucun doute un événement au Liban. Il
sera probablement célébré en héros à son
retour dans son pays, mais aussi par
différents mouvements engagés dans les
luttes révolutionnaires ». Il est
significatif qu’il ait été qualifié
d' »antisioniste ».
En février 2012, le
Premier ministre libanais Najib Mikati
est venu à Paris et il a demandé aux
autorités françaises de libérer son
compatriote qu’il a décrit comme un
« prisonnier politique ». Si la Cour
d’exécution des peines, compétente en
matière de crimes terroristes, avait
rendu un avis favorable concernant cette
demande, elle aurait été conditionnée à
son expulsion ultérieure du territoire
français. Selon Wikileaks, le ministre
des Affaires étrangères de l’époque,
Laurent Fabius, a reçu un appel de son
homologue américain Hillary Clinton lui
demandant de ne pas libérer Abdallah. Le
ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a
obéi et refusé de signer l’ordre
d’expulsion.
Plusieurs
organisations françaises soutiennent la
libération d’Abdallah, dont la Ligue
française de défense des droits de
l’homme et du citoyen, l’Association
France-Palestine Solidarité et l’Union
juive française pour la paix, ainsi que
des partis politiques de gauche et
d’extrême gauche. Le 31 août, une
campagne a été lancée sur les médias
sociaux, #MacronLibérezAbdallah. Cela a
coïncidé avec l’arrivée du président
français Emmanuel Macron au Liban pour
sa deuxième visite après l’explosion du
port de Beyrouth le 4 août. Les
organisateurs de la campagne ont appelé
à un rassemblement devant l’ambassade de
France dans la capitale libanaise
pendant que Macron était dans la ville.
Le 6 août, en réponse à ceux qui, à
Beyrouth, ont appelé Macron à libérer
Georges Abdallah, le dirigeant français
a fait un geste de la main qui
signifiait : « Il doit signer ! » Il n’a
donné aucun détail sur l’identité du
mystérieux « il ».
Selon ses
partisans, Georges Ibrahim Abdallah est
maintenu en prison pour des raisons
politiques. « Ce dont il est accusé
aujourd’hui, ce sont simplement ses
convictions politiques », a expliqué Tom
Martin du Réseau de solidarité avec les
prisonniers palestiniens, Samidoun. « La
note de la DST montre que les raisons de
son maintien en prison sont politiques,
et non juridiques. C’est un scandale,
car la France se flatte d’être le pays
des droits de l’homme ».
La campagne de
soutien à Abdallah prend de l’ampleur.
Selon Martin, c’est parce qu’il incarne
la résistance et la résilience. « C’est
un anti-impérialiste et un communiste,
et son combat inspire les nouvelles
générations. Il est devenu une figure de
la résistance dans le monde arabe, tant
contre l’invasion israélienne du Liban
que contre l’occupation de la
Palestine ».
Martin rend visite
à Abdallah tous les mois. « Il garde un
esprit de combat. C’est un militant
communiste de la cause palestinienne. Il
reste ce qu’il a toujours été, un homme
droit, honnête et courtois. Il refuse de
baisser la tête face aux pressions
françaises, israéliennes et
américaines ».
Selon son comité de
soutien, Abdallah lui-même considère que
sa détention est politique. « Les voies
légales sont devenues des farces
politiques », a souligné Martin.
« Abdallah préfère s’appuyer sur les
mouvements et le soutien de la société
civile. Il refuse de répondre à la
presse, et il préfère que ce soit ses
partisans qui s’expriment parce qu’il se
considère comme un prisonnier politique.
Sa tâche est d’affirmer une ligne
politique ».
Selon Martin,
Abdallah tient bon grâce à ses profondes
convictions. « Il lit beaucoup et
s’intéresse à l’actualité politique en
France comme en Palestine. Il tire sa
force du soutien qu’il reçoit. La
mobilisation des Gilets jaunes a été une
source d’encouragement pour lui, ainsi
que les manifestations de la Grande
Marche du Retour à Gaza pour demander la
fin du blocus [israélien] ».
Quand les
prisonniers palestiniens font la grève
de la faim, Abdallah la fait aussi pour
les soutenir, a déclaré Martin, tout
comme ses camarades basques et d’autres
prisonniers. « Du fait de ce qui lui
arrive en France, il se considère comme
un prisonnier palestinien. D’ailleurs,
Marwan Barghouti et Ahmed Saadat le
soutiennent, entre autres prisonniers
palestiniens. Des membres de la jeune
génération, comme Salah Hamouri ou Ahed
Tamimi, le soutiennent également ». Il
écrit des lettres et reçoit la visite de
personnalités politiques, « il n’est
donc pas isolé malgré sa détention, et
il reste ancré dans la réalité ».
Le comité de
soutien de George Ibrahim Abdallah
prévoit un rassemblement le 24 octobre
devant la prison où il est détenu. Le
film, Fedayin, qui retrace son combat,
devrait sortir prochainement.
* Hassina
Mechaï est une journaliste
franco-algérienne qui vit à Paris.
Diplômée en droit et relations
internationales, elle est spécialisée
dans l’Afrique et le Moyen-Orient. Ses
sujets de réflexion sont la gouvernance
mondiale, la société civile et l’opinion
publique, le soft power
médiatique et culturel. Elle a travaillé
pour divers médias français, africains
et arabes, dont Le Point, RFI, Afrique
magazine, Africa 24, Al Qarra et Respect
magazine. Son compte
Twitter.
17 septembre 2020 –
Middle East Monitor – Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
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