Analyse
Quand la judéo-facho-sphère verse
dans
un racisme antimusulman délirant
Guillaume Weill Raynal
Samedi 4 août 2018
Chaque jour, dans certains médias
et sur les réseaux sociaux,
l’islamophobie gagne du terrain. La
publication par Yves Mamou sur Facebook,
le 1er août, d’un article abject n’en
est qu’un exemple caricatural, mais
révélateur.
Un mot,
d’abord, sur cette expression
« Judéo-facho-sphère », qui peut
paraître provocatrice et outrancière,
mais que j’assume pleinement. Le courant
néoconservateur, on le sait, n’est pas
sans lien avec la communauté juive et
les réseaux pro-israéliens, que ce soit
en France ou aux Etats-Unis. Le soutien
inconditionnel à la politique
israélienne a beaucoup contribué à
fédérer des milieux hétéroclites,
parfois issus de la gauche libérale qui,
via la critique de certaines dictatures
du tiers-monde, comme on disait alors,
ont progressivement évolué vers une
adhésion aux thèses très droitières sur
le choc des civilisations, pour aboutir
finalement à un racisme antimusulman
totalement décomplexé. L’article d’Yves
Mamou, publié le 1er août
dernier sur Facebook apparait à cet
égard comme un cas exemplaire.
Yves Mamou
n’est pas n’importe qui. Il a été
journaliste durant plusieurs années à la
rubrique Economie du Monde. Il
est régulièrement invité sur les
plateaux de la chaine israélienne
francophone i24. Sa page n’est pas
réservée à quelques internautes triés
sur le volet. Elle est entièrement
publique et compte plus de deux mille
amis. Les publications quotidiennes qui
y figurent font donc partie intégrante
d’un débat public qu'elles contribuent à
nourrir et à influencer. Il signe par
ailleurs un livre, à paraître en
septembre prochain, intitulé
Intelligence avec l’ennemi, qui
entend dénoncer une prétendue complicité
des élites françaises avec l’islamisme.
Un islamisme compris... au sens large.
L’éditeur n’a pas encore fait connaitre
le texte de la quatrième de couverture,
mais Mamou l’a publié, toujours sur son
mur Facebook, en juillet dernier :
« L’islam et l’islamisme se propagent en
France avec une facilité déconcertante :
la multiplication du nombre de mosquées,
de femmes voilées ou de commerces halal
modifient à grande allure les paysages
urbains. L’immigration musulmane
augmente, le terrorisme islamiste
meurtrit la nation mais la justice
pourchasse comme raciste la moindre
déclaration "islamophobe" ». Tout
dans la nuance.
Le 1er
août, donc, Yves Mamou publie sur sa
page Facebook un article consacré à…
l’affaire Benalla.[1]
Mais pas seulement. Dès la troisième
ligne, il assène : « Tout le monde
s'acharne sur Benalla sans voir que le
vrai problème est la singulière alliance
stratégique des élites françaises et des
racailles immigrées ». Les racailles
immigrées… vous avez bien lu. Benalla
n’est pas seul en cause, et Yves Mamou
passe sans ciller de l’erreur de casting
individuelle à une espèce de théorie du
complot collective et communautariste où
« les vainqueurs de la
mondialisation » (dont Macron serait
le plus éminent spécimen), espèce
hors-sol déconnectée des français
« de souche », aurait noué une
alliance criminelle avec « la
banlieue »…
Parmi les
« racailles immigrées », une cible de
choix : Hakim el Karoui. Peu connu du
grand public, ce français d’origine
tunisienne, n’est pas à proprement
parler le représentant le plus
emblématique de la banlieue ni des
milieux « islamo-gauchistes ». Né à
Paris en 1971, d’un père tunisien qui
enseigna l’anthropologie à la Sorbonne
et d’une mère lorraine – une française
« de souche » - qui fut professeur de
mathématiques financières à l’Ecole
Polytechnique, il est lui-même agrégé de
géographie, a occupé au début des années
2000 les fonctions de conseiller
technique auprès du premier ministre
Jean-Pierre Raffarin puis de Thierry
Breton, ministre des finances. Il
conseille aujourd'hui Emmanuel Macron
sur les questions touchant à l’islam de
France, après avoir rédigé un rapport
sur ce sujet pour le compte de
l’Institut Montaigne, dans lequel il
insiste tout particulièrement sur la
nécessité de détourner les musulmans de
France des sirènes du salafisme
Un CV qui
n’impressionne nullement Yves Mamou.
Agrégé ou pas, un musulman reste un
musulman. « Hakim el Karoui, c'est la
banlieue qui a réussi, qui doit tout à
la République, mais ne s’en sent en rien
redevable ». Un musulman ne saurait
devoir sa réussite à son travail et à
son mérite personnel. L’origine
étrangère d’une partie de ses ancêtres
doit sans cesse lui être jetée au visage
pour mieux lui faire comprendre à quel
point il doit se sentir redevable d'une
République qui - si l’on a bien compris
- ne serait jamais vraiment la sienne.
Sa réussite est le symptôme même de son
ingratitude, dût-on pour nourrir
l’accusation, en passer par le pur
procès d’intention : « Il pense même
que la République l’a frustré d’une
chose essentielle : l’exercice du
pouvoir ». Un musulman ne saurait en
effet occuper la place d’un conseiller
de l’exécutif sans être coupable par
essence : « Hakim el Karoui et
Benalla c'est la conquête ethnique du
pouvoir qui trouve plus facile de
s'allier aux holdupeurs du pouvoir style
Macron pour prendre les postes,
installer l'islam et les Frères
Musulmans comme une "république" dans la
République. ». Est-il besoin de
préciser qu’Hakim el Karoui n’a jamais
prononcé un seul mot ni écrit une seule
ligne qui puisse fonder de telles
accusations, dont le rare degré de haine
et de violence gratuites font
étrangement penser aux attaques
antisémites des années 30, ou des années
50, comme celles qu’ont subies, en leur
temps Léon Blum ou Pierre Mendès-France.
36 heures
après sa mise en ligne, le billet d’Yves
Mamou avait été « liké » 137 fois et
fait l’objet de 59 partages. Parmi les
commentaires élogieux, celui de Sarah
Cattan, journaliste à Tribune Juive :
« Bravo Yves, tu as dressé la plus
pertinente analyse à ce jour sur le
sujet ».
[1] Mur Facebook d’Yves Mamou,
publication du 1er août à
10.16
https://www.facebook.com/profile.php?id=581049816
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