Opinion
« Al-Qaïda en Irak » et ses mystères
Gilles Munier
Photo :
D.R.
Dimanche 6 avril 2014
Interrogé en février 2003 par l’ancien
ministre travailliste britannique Tony
Benn sur les relations entre l’Irak et
Al-Qaïda – dénoncées par
George W. Bush et Tony Blair - le
président Saddam Hussein répondit que si
c’était le cas, « il n’aurait pas de
honte à l’admettre ». Or, ça ne
l’était pas. Certes Al-Qaïda
était bien présente en Irak, mais au
Kurdistan irakien, dans la région de
Halabja, via l’organisation kurdo-arabe
Ansar al-islam dont Jalal
Talabani aurait bien voulu que l’armée
irakienne l’en débarrasse. Les forces
spéciales américaines s’en chargèrent en
avril suivant, provisoirement car les
djihadistes s’étaient replié en Iran.
Les Américains firent alors courir le
bruit qu’Abou Moussab al-Zarqaoui, un
terroriste jordanien proche d’Oussama
Ben Laden, vivait aussi dans la région.
Gravement blessé lors d’un bombardement
US, ils assurèrent qu’il avait été
amputé d’une jambe dans un hôpital de
Bagdad, preuve que Saddam Hussein était
en contact avec Al-Qaïda.
Un
terroriste insaisissable
Zarqaoui, amnistié au bout de 3 ans
après avoir été condamné à 15 ans de
prison en Jordanie pour appartenance à
une organisation terroriste, avait
dirigé un camp d’entrainement djihadiste
en Afghanistan, mais concurrent de ceux
de Ben Laden avec qui il avait pris ses
distances. Le nom de Zarqaoui réapparut
dans les médias en 2004 à la tête d’une
organisation du nom de Tawhid Wal
Djihad (Unité et djihad). Puis,
quand Ben Laden en fit son représentant
en Mésopotamie, nous étions quelques-uns
à nous demander pourquoi les Iraniens
l’avaient laissé passer sur leur
territoire et comment un unijambiste
pouvait à la fois être omniprésent et
insaisissable.
Le mystère s’épaissit lorsqu’une
vidéo montra Zarqaoui, cagoulé,
égorgeant Nicolas Berg, jeune juif
américain. L’islamiste jordanien ne
semblait pas handicapé et portait au
poignet une montre ou une gourmette en
or, ce qui est contraire aux convictions
religieuses des salafistes. En juin
2006, après la mort de Zarqaoui, le père
du jeune supplicié déclara qu’il n’était
pas certain que ce dernier ait assassiné
son fils et accusa George W. Bush de la
responsabilité du crime : silence gêné
des médias mainstrean… Bien que
personne n’ait jamais vu Zarqaoui en
Irak, les services de propagande US ne
parlaient plus que de lui et de sa furie
sanglante, ce qui leur permit de
justifier le massacre de Falloujah en
novembre 2004. Mais, cette fois encore
Zarqaoui qui y était - soi-disant
- retranché, avait disparu - comme
par hasard - dans la nature : ils
annoncèrent simplement, et sans rire,
qu’il s’était enfui par un tunnel
passant sous les lignes US !
Faire
exploser la cocotte-minute
Avant la chute de Bagdad, un membre
des moukhabarat m’avait confié
« que la résistance irakienne serait
islamique, qu’elle ferait exploser la
cocotte-minute proche-orientale
maintenue sous pression par les
Occidentaux depuis l’effondrement de
l’Empire ottoman ». J’appris plus
tard que Saddam Hussein avait conçu la
résistance comme un front patriotique
nationaliste et islamiste. Prenant
exemple sur le Prophète Muhammad à
Médine, il avait réparti les futurs
combattants en trois groupes :
1-les Moudjahidine, composés
de patriotes irakiens et de volontaires
venus de divers pays musulmans;
2-les Ansar (Partisans), des
baasistes sélectionnés dans les années
précédant l’invasion, mais qui avaient
gardé leur adhésion secrète ;
3-les Muhajirun (Emigrants)
regroupant des responsables baasistes
connus pour leurs compétences dans les
domaines militaire et technique (1).
Qu’en est-il dix ans après ? Izzat
Ibrahim al-Douri, successeur de Saddam
Hussein à la tête du parti Baas irakien
clandestin, nous disait début février
que la situation en Syrie était «
complexe, ultra complexe et embrouillée,
qu’elle avait créé un enchevêtrement de
tranchées et mélangé les cartes ».
Elle ne l’est guère moins en Irak où,
depuis l’arrestation et l’exécution de
Saddam Hussein, la résistance s’est
fragmentée au gré d’ambitions
personnelles. Faut-il voir la main de
l’Arabie saoudite derrière les massacres
de civils chiites revendiqués par l’Etat
Islamique en Irak et au Levant (Daash)
? Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi,
cherche-t-il à remplacer Ayman al-Zawahiri
à la tête d’Al-Qaïda ? Faut-il
s’étonner qu’il ait répondu à ce dernier
lui demandant de quitter le territoire
syrien, n’avoir d’ordre à recevoir que
de Dieu ? L’élargissement du champ
d’activité d’AQI à la Syrie –
Pays de Cham – a levé un coin
du voile sur la structure de
l’organisation islamiste irakienne. On
sait aujourd’hui que Daash est
dirigée par d’anciens officiers du
service de renseignement de l’armée
irakienne de l’époque baasiste. On pense
aux Muhajirun du plan conçu par
Saddam Hussein… Cela expliquerait qu’ils
ne se sont jamais senti obligés de
respecter les fatawa (2)
d’Oussama Ben Laden et encore moins
celles d’Ayman al- Zawahiri.
Alors, l’Arabie combat-elle l’Iran
par Irakiens interposés ? Ce n’est pas
si simple. Selon certaines sources,
Daash serait financée par le Prince
Abdul Rahman, fils du roi Fayçal
d’Arabie, assassiné en mars 1975 par son
neveu manipulé, a-t-on dit à l’époque,
par la CIA. En tout cas, Nouri
al-Maliki, qui accuse la Saoudie et le
Qatar d’avoir déclaré la guerre à
l’Irak, devrait balayer devant sa porte.
Il n’est pas, non plus, à un massacre et
une provocation anti-sunnite près.
*Afrique Asie (p.48-49) :
http://www.wobook.com/WBD84sk8Tx6v-f
Photo : Carte de Daash
effaçant la frontière entre l’Irak et la
Syrie (Accords Sykes-Picot). La
présence de cellules de Daash
est signalée au Liban, en Jordanie et
dans le Sinaï.
(1)
Al-Moqawama – An V (Afrique Asie
– janvier 2008)
(2) Pluriel de fatwa
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 avril 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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