Opinion
Mandela et le Mossad : un hoax made in
Israël
Gilles Munier
Gilles
Munier
Mardi 4 février 2014
(Afrique Asie – février 2014)*
Israëlafrique - S’attaquer à la mémoire
du leader sud-africain en affirmant sans
preuve qu’il a été entrainé par le
Mossad est de la calomnie. Israël espère
qu’il en restera quelque chose.
Un certain David Fachler, chercheur et
colon israélien originaire d’Afrique du
Sud, a affirmé que Nelson Mandela s’est
présenté en 1962 à l’ambassade d’Israël
en Ethiopie, sous le nom de « David
Mobsari », pour demander à être
formé au maniement des armes et au
sabotage, et que le Mossad a été chargé
de son entraînement.
Ce n’est qu’en octobre 1962, après la
parution dans la presse des photos de
militants de l’ANC (African National
Congress) arrêtés près de
Johannesburg que le Mossad a découvert,
dit-il, que « David Mobsari » et
Nelson Mandela ne faisaient qu’un.
Ce bidonnage calomnieux – ce hoax,
comme on dit aujourd’hui –, paru
le 20 décembre dernier, curieusement sur
le site Internet de Haaretz,
quotidien considéré en Israël comme
pro-palestinien, est à prendre
avec des pincettes. Le fac-similé de la
note du Mossad n’a pas été
publié. Le communiqué du 9 décembre des
Archives diplomatiques israéliennes
faisant état d’une conversation sur la
situation au Proche-Orient entre un
représentant israélien
« non-officiel » et « Mobsari »
est bien vague et ne prouve rien… sinon
que Benjamin Netanyahou et
l’ultra-raciste Avigdor Lieberman –
redevenu ministre des Affaires
étrangères - sont au centre de
l’opération visant Mandela.
Vrais faux passeports
Donner le « coup de pied de l’âne »
à un dirigeant révolutionnaire qui n’a
cessé de conspuer le racisme et le
colonialisme israélien est une piètre
vengeance, surtout deux semaines après
son décès. En 1962, Nelson Mandela,
commandant en chef de l’Umkhonto we
Sizwe (Fer de lance de la Nation),
branche militaire de l’ANC,
n’avait pas besoin du Mossad pour
s’entrainer au tir ou pour fabriquer des
explosifs. Il l’avait déjà fait dans une
base de l’Armée de libération
nationale algérienne au Maroc en
mars-avril de cette année-là, puis en
Ethiopie dans le cadre du soutien
apporté à l’ANC par l’empereur
Haïlé Selassié.
Jacques Vergès se souvenait avoir reçu
Mandela à Rabat, qui voyageait avec un
passeport éthiopien sous le nom de
« David Modsarmayi ». Suspendu en
raison de son soutien au FLN,
l’avocat était chargé par Abdelkrim al-Khatib,
ministre marocain des Affaires
africaines, d’aider les mouvements de
libération africains. Il leur
fournissait de « vrais faux
passeports », un peu d’argent, et « fermait
les yeux sur les colis très lourds
venant de Chine, ou d’ailleurs ».
Au Maroc, Mandela s’est d’abord
longuement entretenu avec le docteur
Chawki Mostefaï, représentant du
Gouvernement provisoire de la République
Algérienne (GPRA), qui lui a
conseillé de ne pas négliger le côté
politique de la guerre, « l’opinion
internationale valant parfois plus
qu’une escadrille d’avions de combat ».
Vergès a ensuite accompagné « Modsarmayi »
dans un camp du FLN près d’Oujda,
où ils ont été accueillis par Abdelaziz
Bouteflika, secrétaire du colonel
Boumediene.
La formation militaire de Mandela a été
organisée par Abdelhamid Brahimi, futur
Premier ministre. Son instructeur était
Mohamed Lamari, plus tard général et
chef d’Etat-major de l’armée algérienne.
Durant son séjour, Mandela a assisté au
défilé militaire en l’honneur d’Ahmed
Ben Bella et de Mohamed Boudiaf,
récemment libérés par les autorités
françaises.
Nelson Mandela a poursuivi son
entrainement à Kolef, en Ethiopie, dans
l’Ethiopian Riot Battalion, -
mais pas sous la houlette du Mossad
(cf. plus bas). L’article bidonné de
Haaretz démontre simplement que
le passage d’un membre de l’ANC
au Maroc, puis dans une unité
combattante du FLN, ont été
rapportés au SDCE, service de
renseignement français qui entretenait
d’excellentes relations le BOSS
(service secret sud-africain), et
que des agents israéliens ont pris le
relai pour le compte de leurs
homologues, car la guerre de libération
palestinienne n’en était qu’à ses
débuts. Des fedayin passaient la
frontière israélienne pour attaquer des
bases et des kibboutz, mais l’OLP
n’existait pas et Yasser Arafat n’avait
pas encore créé le Fatah.
Réagissant au hoax de Haaretz, le
Fondation Mandela a fait savoir
qu’un de ses chercheurs s’est entretenu
en 2009, en Ethiopie, avec d’anciens
militaires ayant formé Nelson Mandela et
qu’il n’a décelé « aucun indice d'une
connexion israélienne » au cours de
son séjour à Addis-Abeba.
Affinités idéologiques avec l’apartheid
Si Shimon Peres et Benjamin Netanyahou
ne se sont pas rendus aux obsèques de
Nelson Mandela, ce n’est pas en raison
du coût du voyage, mais parce qu’ils
avaient « peut-être honte d’y aller »,
comme l’a dit le journaliste Jean-Pierre
Elkabbach sur Europe n°1. Ils
craignaient sans doute d’être battus
froids par une partie de la classe
politique sud-africaine. En effet, dans
les années 1970, Shimon Perez –
ministre de la Défense – était un
des principaux acteurs de la coopération
Israël-Afrique du Sud, rompant avec la
politique d’ouverture lancée par Ben
Gourion et Golda Meïr en direction des
Etats africains nouvellement
indépendants. Grâce à lui, les
connivences entre le Mossad et la BOSS
s’intensifièrent. Outre la chasse
aux membres de l’ANC et la
fourniture de matériels d’écoute
sophistiqués, Israël fit partager aux
agents secrets sud-africains son
expérience en matière d’assassinats
ciblés et d’envois de colis piégés.
Aujourd’hui, Netanyahou est un des
hommes politiques israéliens ayant le
plus d’affinités idéologiques avec la
politique des Bantoustans pratiquée sous
l’apartheid, tandis que l’Afrique du Sud
condamne l’occupation des territoires
palestiniens et est à l’avant-garde du
boycott des produits israéliens.
On comprend que le courant passe plutôt
mal entre les deux pays.
Pris entre deux feux, les juifs
d’Afrique du Sud – environ 70 000
personnes - sont particulièrement
inquiets de la campagne lancée par
Advigor Lieberman pour les forcer à
quitter le pays « avant qu’il ne soit
trop tard ». Ils savent le Mossad
capable d’organiser une provocation
sanglante – le pogrom prédit par le
ministre - pour qu’ils immigrent en
Israël, comme il l’a fait en Irak dans
les années 50. Zev Krengel, président du
Conseil des députés juifs
sud-africains, ne décolère plus
depuis que Netanyahou a justifié son
absence aux obsèques de Mandela par le
prix élevé du déplacement, un prétexte
fallacieux faisant des juifs, dit-il,
des « gens avares », vieux
stéréotype antisémite !
« Ils »voulaient assassiner
Mandela
Quelques semaines
après son séjour au Maroc, Nelson
Mandela est arrivé en Ethiopie –
toujours sous le nom de « David
Modsarmayi », et pas de « Mobsari »
comme le prétend Haaretz – où le
colonel Fekadu Wakene, officier de
l’armée impériale l'a initié, entre
autre, au maniement du mortier.
Le capitaine Guta
Dinka, policier éthiopien retraité,
chargé en 1962 de la protection
rapprochée de Mandela, a révélé à la
télévision sud-africaine, mi-décembre
dernier, que le leader anti-apartheid a
échappé, pendant son séjour, à une
tentative d’assassinat. Un de ses
collègues, nommé Abraham, l’a invité
dans un grand restaurant d’Addis-Abeba
où « un Blanc et un Africain »
lui ont proposé 2 000 livres pour
étrangler « Modsarmayi » et
photographier son cadavre. Dinka a
refusé et a informé son chef, le général
Tadesse Birru - héros de la guerre
contre les troupes italiennes
d’occupation au début des années 1940
- du complot. Arrêtés, les deux hommes
furent expulsés. L’affaire n’a pas été
ébruitée.
En juillet 1962,
Mandela a été rappelé d’urgence en
Afrique du Sud pour relancer les
activités militaires de l’ANC.
Avant son départ, Tadesse Birru lui a
offert un pistolet soviétique Makarov en
témoignage d’amitié. L’arme n’a jamais
servie. Le 5 août 1962, le BOSS a arrêté
« Modsarmayi » à un barrage
routier. Le général Birru a été exécuté
en mars 1975 sous le régime de Mengistu
Mariam.
* Afrique Asie
(p.42-43)
http://www.wobook.com/WBD84sk8FZ6P-f
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 4 février 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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