Opinion
L’image flétrie de Massoud Barzani
Gilles Munier
Photo:
D.R.
Vendredi 3 octobre 2014
(Afrique Asie – octobre
2014)*
Massoud
Barzani ne s’attendait pas à ce que les
djihadistes attaquent le Kurdistan et
Sinjar, et encore moins à ce que la
popularité des combattant(e)s du PKK
turc supplantent celle de ses
peshmerga dans l’imaginaire kurde.
En septembre dernier, les djihadistes
de l’Etat Islamique en Irak et au
Levant (EIIL ou Daash) se sont
emparés de Sinjar, de villages
stratégiques de la région de Ninive et
sont entrés comme dans du beurre au
coeur de la Région autonome du
Kurdistan. Depuis la guerre civile kurde
de 1996 et la prise d’Erbil par les
militants de l’UPK (Union
Patriotique Kurde) de Jalal
Talabani, Massoud Barzani n’avait pas
subi une telle humiliation. A l’époque,
Saddam Hussein l’avait aidé à reprendre
le dessus et les deux chefs de guerre
s’étaient partagé « démocratiquement
» le pouvoir moitié-moitié, sous la
houlette américaine, sans tenir compte
du résultat des élections régionales.
Depuis, les principaux leviers de
commande du Kurdistan sont occupés par
leurs parents, leurs alliés, et toutes
sortes de coquins et de vilains aux
ordres de l’un ou de l’autre, et la
corruption règne à tous les niveaux. Au
plan sécuritaire, les peshmerga
– l’arme au pied depuis 18 ans
– ne répondent sérieusement aux ordres
de leurs officiers que s’ils sont de
leur obédience tribale ; ce qui explique
en partie la déliquescence des forces
kurdes face aux djihadistes. Pour Hadi
al-Amiri, chef de la puissante brigade
chiite pro-iranienne Badr qui a
passé deux mois sur le front kurde– et
qui se verrait bien ministre irakien
de la Défense -, les peshmerga
ne sont finalement que des « soldats
en carton » ! A Amerli, ville
turkmène assiégée par Daash
depuis juin, les troupes kurdes ne sont
intervenues début septembre que lorsque
la coalition des milices chiites venue
de Bagdad – soutenue par les
pasdaran iraniens de la Force al-Quds
- a été suffisante pour desserrer
l’étau, si bien que le représentant
militaire kurde envoyé pour assister au
défilé de la victoire a été éconduit par
les chiites extrémistes d’Asaïb ahl-Haq
(la Ligue des Vertueux).
Complot à
Amman
C’est peu dire aussi que la confiance
ne règne pas entre Bagdad et Erbil. Les
démentis de Massoud Barzani sur la
participation d’un de ses hommes de
confiance à la réunion secrète des
oppositions irakiennes sunnites qui se
serait tenue à Amman en mai dernier pour
lancer l’offensive sur Mossoul, ne
convainc pas grand monde . Y
participaient notamment, selon Ozgur
Gundem, journal lié au PKK
(Parti des Travailleurs du Kurdistan):
Izzat Ibrahim al-Douri – chef du
parti Baas irakien clandestin et de
l’Armée de la Naqshbandiyya - ainsi
que des représentants de l’Armée des
moudjahidine, d’Ansar al-Islam,
et des Brigades de la Révolution de
1920. L’occupation-annexion, par
les peshmerga, de Kirkouk et
des « territoires disputés », a
semblé faire partie d’un accord conclu à
cette occasion, remis en cause par
Daash qui n’était pas
officiellement présent ce jour-là.
La surprise de Massoud Barzani a été
totale quand les djihadistes de
Daash, plus nombreux et plus
aguerris que les moudjahidine de la
résistance irakienne, ont pris
le contrôle de l’opération et se sont
dirigés vers Erbil plutôt que Bagdad.
Lui qui s’était imprudemment gaussé de
la débandade des divisions chiites
stationnées à Mossoul, n’a su quoi dire
quand ses peshmerga ont pris la
poudre d’escampette à Sinjar, laissant
la ville qu’il « protégeait » à
la merci des djihadistes d’Abou Bakr al-Baghdadi.
Sans les bombardements de l’«ami
américain », et surtout sans
l’intervention des partisans d’Abdullah
Ocalan venus des monts du Qandil à la
frontière kurdo-iranienne, des
Unités de protection du peuple (YPG)
de Rojava - la province kurde
syrienne -, et des guérilleros
du PJAK (indépendantistes
kurdes iraniens liés aussi au PKK),
les combats avec Daash se
seraient sans doute étendus jusqu’à
Erbil et au-delà.
Terroriser
les terroristes !
Le Kurdistan irakien est aujourd’hui
submergé – et pour longtemps - par
l’exode des minorités de la plaine de
Ninive dont Massoud Barzani espérait
transformer les territoires en zones
tampons avec l’Irak arabe. Il a lancé un
appel aux chrétiens, sans grand succès,
pour qu’ils s’engagent dans les
peshmerga et reconquièrent leurs
terres. Le Parti démocratique assyrien
de Kaldo Oghanna, financé par les
Etats-Unis, a créé une petite milice –
à l’image des Sahwa tribales -
et milite pour l’octroi d’une zone
autonome dans la vallée de Mossoul.
Mais, 300 à 500 bonhommes armés de
kalachnikovs datant de l’ère soviétique
ne font pas le poids face aux guerriers
de Daash. La plupart des
réfugiés chrétiens ne croit plus qu’une
cohabitation avec les musulmans soit
possible. Ils ne réclament pas des
armes, mais des visas pour l’Europe, les
Etats-Unis ou l’Australie. Sur le
terrain, les seuls combattants «
terrorisant les terroristes » sont…
les combattantes du PKK, car les
djihadistes croient qu’être tués par une
femme ferme à tout jamais la porte du
Paradis !
Les Yézidis sont plus pugnaces que
les chrétiens. Dans le djebel Sinjar,
ils n’ont pas de mots assez durs pour
stigmatiser les peshmerga qui
les ont abandonnés. Avec l’aide du PKK,
ils s’entraînent au maniement des armes
et se disent prêts à défendre leur
montagne jusqu’à la mort. La milice
Malek-Taous, l’ange vénéré symbolisé par
un paon, monte des opérations contre
Daash à l’ouest de Mossoul. Le
commandant yézidi Qasim Shesho, revenu
tout spécialement d’Allemagne pour
convaincre son peuple de ne pas émigrer,
a recruté 2 000 volontaires. Il se fait
fort de reconquérir les terres
abandonnées à Daash avec l’aide
du PKK et des Unités de protection
du peuple, ce qui ne plait pas à la
CIA qui craint le rattachement de Sinjar
à la province kurde syrienne.
L’offensive djihadiste sur Sinjar et
Erbil a mis à nu les faiblesses du clan
Barzani. Les livraisons d’armes modernes
et l’envoi de « conseillers
militaires » occidentaux lui
permettront de repousser Daash
et de préserver la rente pétrolière de
ses affidés. Il se présentera alors en
vainqueur de la guerre contre le
terrorisme, mais les laissés-pour-compte
du rêve kurde ne seront dupes. Au
Kurdistan, après l’entrée en lice du
PKK, rien ne sera plus comme avant.
Photo: Massoud
Barzani
*Source:
Afrique Asie – octobre 2014 – pages 64
et 65
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 3 octobre 2014 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Le
dossier Irak
Les dernières mises à jour
|