Opinion
Réconciliation « à l’irakienne »?
Mishan al-Jubouri, l’inclassable
Gilles Munier
Mardi 3 juin 2014
Aux dernières législatives, Mishan
al-Jubouri, ancien parlementaire accusé
de soutenir le « terrorisme »
et de « détournement de fonds »,
recherché par Interpol, était en 3ème
position sur la liste du Bloc Al-Arabiya
dirigée par Saleh al-Mutlaq,
vice-Premier ministre sunnite. Réfugié
ces dernières années à Damas, il s’était
fait connaître comme propriétaire d’Al-Zawra,
puis d’Al-Rai, des chaînes de
télévision basées dans une zone franche
syrienne soutenant la résistance
irakienne et Mouamar Kadhafi pendant la
guerre de Libye. Absout brusquement par
le régime de Bagdad des charges pesant
sur lui, élu cette fois ou non, il
s’attend à occuper de hautes
responsabilités, y compris dans un
gouvernement Maliki.
Complot
contre Saddam
Mais qu’est-qui fait donc courir cet
homme politique controversé ? Résumé
d’une carrière agitée : fils d’un cheikh
de la grande tribu Jubour dans la région
de Shergat – près du site d’Assur,
capitale religieuse de l’Empire assyrien
–, Mishan al-Jubouri adhère au
parti Baas en 1975. Journaliste pendant
la guerre Iran-Irak, Saddam Hussein lui
doit l’enrôlement massif de membres de
sa tribu dans la Garde Républicaine.
Après le décès de son jeune fils dans un
hôpital bagdadi, ami d’Odaï, fils aîné
du président, il se croit permis
d’accuser d’incompétence les services
médicaux irakiens à la télévision
irakienne. Mal en prend : il est jeté
sans ménagement en prison. A sa
libération, son rapport avec le régime a
changé radicalement.
En 1989, Mishan al-Jubouri participe
au coup d’Etat du capitaine Sattam al-Jubouri.
Le complot ayant été découvert, il a la
chance d’échapper aux arrestations,
ayant été envoyé un peu plus tôt en
Jordanie comme porte-parole des
rebelles.
En août 1995, Mishan al-Jibouri
accueille à Amman Hussein Kamel, gendre
du président irakien qui avait fait
défection, et fonde le Parti de la
Patrie irakienne – Hizb al-Watan
al-Iraqi – pour promouvoir un
changement pacifique de régime. Mais,
Hussein Kamel, rentré fort imprudemment
en Irak, fut assassiné par son oncle Ali
Hassan al-Majid.
En 2002, Mishan al-Jubouri participe
à la grande conférence anti-Saddam de
Londres et se rapproche un peu plus de
Massoud Barzani. En avril 2003 -
lors de l’invasion américaine - il
entre dans Mossoul avec les
peshmerga et s’autoproclama « maire
» de la ville ! Il sera délogé de son
poste par Paul Bremer – gouverneur
américain de l’occupation - qui
n’appréciait pas ses critiques
concernant la dissolution du parti Baas,
de l’armée et des services de sécurité
irakiens.
Défense des
territoires arabes
Avec son parti, Al-Jubouri milite
alors pour une politique de
réconciliation nationale, seul moyen
d’échapper à la guerre civile. Aux
élections législatives de janvier 2005,
il est élu député sous l’étiquette du
Bloc Réconciliation et Libération
qu’il vient de fonder. Comme il réclame
le remplacement des troupes d’occupation
occidentales par une force de paix des
Nations unies, la réaction des autorités
ne se fait pas attendre : la «
justice » l’accuse d’avoir volé des
millions de dollars versés pour protéger
un pipeline dans la région de Kirkouk et
de s’en servir pour financer
l’insurrection. Son immunité
parlementaire ayant été levée, Mishan
al-Jubouri se réfugia en Syrie.
Quelques jours après l’annonce de
l’exécution de Saddam Hussein, il
participe à un débat mouvementé sur
Al-Jazeera, face au journaliste
chiite Sadeq al-Musawi, et récite la
sourate Al- Fatiha à
la mémoire du président martyr.
Memri, agence de presse liée au
Mossad, le prend très mal, et diffuse la
vidéo de l’émission sur You Tube,
le traitant de « chien de Saddam »
(1) !
Les mois à venir diront si le retour
de Mishan al-Jubouri à Bagdad doit être
interprété comme une manœuvre dilatoire
de Maliki ou un signe de réconciliation
avec les nationalistes sunnites ou
autres. Sur ses chaînes de télévision,
Al-Jubouri, soutien ardent de l’Armée
islamique en Irak, n’avait pas
hésité à s’en prendre violemment aux
crimes commis par Al-Qaïda et
l’Etat islamique en Irak.
Interviewé dernièrement par Al-Arabyia
TV, il s’est intronisé défenseur
des territoires arabes revendiqués par
les Kurdes. En cas de désaccords
persistants avec ces derniers, il ne
serait pas hostile à ce que le Kurdistan
- dans les frontières héritées du
régime baasiste - se sépare du
reste du pays. Prémonition ou nouvelle
partie d’échec ? Mishan al-Jubouri a
toujours plusieurs coups d’avance.
Photo: Mishan al-Jubouri
(1)
https://www.youtube.com/watch?v=Fyt8JqH5NJM
*Afrique Asie (p.64-65) :
http://www.wobook.com/WBD84sk8OS69-f
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 4 juin 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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