Opinion
Afrique de l'Est : L'oléoduc israélien
Gilles Munier
Gilles
Munier
Vendredi 3 janvier 2014
Gilles Munier
(Afrique Asie – Janvier 2014)*
Israëlafrique - La
rapidité avec laquelle Benjamin
Netanyahou a réagi à l’attaque du
« Westgate Mall »
par un commando
Shebab,
le 21 septembre dernier à
Nairobi, ne s’explique pas seulement
par le fait que le centre commercial
appartienne à des Israéliens.
La région des Grands Lacs est d’un
d’intérêt stratégique primordial pour le
Mossad dans sa lutte contre le
« terrorisme » dans la Corne de l’Afrique, c’est à dire contre tout
ce qui peut gêner le trafic maritime
vers la mer Rouge et le port d’Eilat et,
surtout, menacer le futur oléoduc
reliant le Soudan du Sud au port kenyan
de Lamu, près de la frontière
somalienne.
Si la coopération d’Israël-Kenya, date
de l’accession du pays à l’indépendance
en 1963, l’attention portée à la région
par le
Mouvement sioniste remonte au début
du 20ème siècle, suite à la
proposition faite à Théodore Herzl –
père du sionisme politique - par
Joseph Chamberlain, secrétaire d’Etat
britannique aux colonies, de créer un
Etat juif sur le plateau de Mau en
Ouganda, pays possédant par ailleurs une
tribu juive noire : les
Abayudaya. Le projet fut rejeté par
le
7ème
Congrès sioniste réuni à Bâle, en
1905. L’enquête de faisabilité s’était
révélée
« négative », sous la pression des
partisans d’une implantation en
Palestine. Ce plateau, d’une superficie
équivalent approximativement à celle de
la Corse, fait aujourd’hui partie du
Kenya. Des colons juifs, s’installèrent
néanmoins en Ouganda et essaimèrent
alentour. En 1947, la communauté juive
du Kenya – estimée à
150 familles – prit fait et cause
pour les terroristes de l’Irgoun
et du
Groupe Stern déportés par les
Britanniques au camp de détention de
Gilgil, près de Nairobi. Très influent
au sein du petit monde colonial
britannique local, Israël
« Issy » Somen, président du Board of Kenya Jewry - Bureau
de la Juiverie Kenyane » - se fit
élire maire de la capitale en 1955.
Après l’indépendance, en décembre 1963,
le gouvernement israélien en fit son
consul honoraire.
Les fruits de la politique israélienne
Les relations israélo-kenyanes se sont
développées dans les domaines
commercial, agricole, militaire, et du
renseignement, après la tournée
africaine de Golda Meir. Elles furent
maintenues souterrainement pendant leur
rupture officielle provoquée par
l’adoption par l’ONU d’une résolution
faisant du sionisme une forme de
racisme. Si bien qu’en juillet
1976, Nairobi servit de base arrière au
commando des forces spéciales du colonel
Yonatan Netanyahu – frère de l’actuel
Premier ministre -, envoyé pour
libérer les passagers d’un Airbus pris
en otage sur l’aéroport d’Entebbe par
des membres du
Front Populaire pour la Libération de la
Palestine (FPLP) et de la
Fraction Armée Rouge allemande. En
1978, Yitzhak Shamir effectua une visite
secrète au Kenya et obtint leur
rétablissement en échanges de la
livraison de missiles sol-sol Gabriel.
En septembre dernier, le quotidien
Haaretz pouvait titrer, sans se tromper:
« Kenya, base avancée d’Israël en Afrique »…
Depuis que David Ben Gourion a lancé sa
politique dite d’« Alliance
de la périphérie » pour contrer la
« menace arabe » - aujourd’hui
recyclée iranienne !
- le Mossad apportait son soutien aux minorités ethniques ou
religieuses d’Afrique de l’Est,
notamment aux chrétiens du sud-Soudan et
aux partis d’opposition en Ouganda et en
Ethiopie quand le régime ne convenait
pas à Israël.
Tel-Aviv a recueilli les fruits de sa
politique avec l’arrivée au pouvoir de
Yoweri Museveni en Ouganda et avec la
partition du Soudan. En décembre 2011,
le président sud-soudanais Salva Kiir a
effectué sa première visite officielle à
Jérusalem pour remercier les
Israéliens : « «Sans vous », leur
a-t-il dit « nous n’existerions pas»,
et le représentant du nouvel Etat à
l’ONU s’est aussitôt engagé à voter
contre la reconnaissance de l’Etat
palestinien…
Entente contre le fondamentalisme
islamique
Un mois plus tôt, Benyamin Netanyahou -
qui ambitionne de constituer une entente contre fondamentalisme
islamique avec ces pays, auxquels
s’associerait la Tanzanie - avait
déclaré à Raila Odinga, Premier ministre
kényan, qu’Israël et le Kenya avaient
les
« mêmes ennemis ». Dans la foulée,
Netanyahou avait signé avec son
homologue un accord anti-Shebab, vite
concrétisé par l’envoi de conseillers
militaires, de blindés, et par le tir
d’un drone sur un village somalien.
Bilan : 17 personnes tuées. L’engagement
d’Israël dans le conflit allait être
lourd de conséquences pour ses expatriés
au Kenya. –
on
l’a vu avec l’attaque du « Westgate
Mall »
à Nairobi –, mais riches d’espoirs côté business, et pas seulement
dans celui de l’armement.
En effet, depuis la création du Soudan
du Sud, l’évacuation de son pétrole par
une autre voie que le pipeline du Soudan
musulman, est à l’ordre du jour. Un
vaste plan de développement des
infrastructures de l’Afrique de l’Est,
comprenant un port, des routes, une voie
ferrée, une raffinerie, trois aéroports
et un oléoduc de 2250 km reliant les
puits sud-soudanais au port kényan de
Lamu –
et
au-delà Israël et l’Asie - est sorti
des cartons. Ce plan, baptisé
Lapsset (Projet de transport
Lamu/Sud-Soudan/Ethiopie, est
estimé, au bas mot, à 25 milliards de
dollars. Israël est évidemment sur les
rangs, tant en ce qui concerne sa
réalisation que sa sécurisation. Car, là
où le bât blesse, c’est que l’oléoduc
longera la frontière du Kenya avec la
Somalie sur plus de 600 km. Le Mossad et
les conseillers militaires israéliens
ont
« du pain sur la planche » pour les
décennies à venir.
*http://www.afrique-asie.fr/
© G. Munier/X.
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Publié le 3 janvier 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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