L'actualité du
droit
Taubira partie, le Gouvernement
s’installe
sur un strapontin de Droite
Gilles Devers
Jeudi 28 janvier 2016
«Le péril terroriste est grave,
imprévisible. Mais nous avons appris à
le traquer et nous nous en sommes donné
les moyens. Nous savons comment le
combattre et nous avons montré que nous
sommes bien déterminés à l'abattre. Mais
je crois que nous ne devons lui concéder
aucune victoire, ni militaire, ni
diplomatique, ni politique, ni
symbolique». Personnellement, cela me va
très bien… à ceci près que ce propos de
la démissionnaire Taubira accrédite
l’état d’urgence et la loi sur le
renseignement, que je déplore depuis le
premier jour parce qu’effectivement il
ne faut concéder aux terroristes
« aucune victoire, ni
militaire, ni diplomatique, ni
politique, ni symbolique».
C’est l’adhésion aux droits et libertés
qui fonde d’une société, et pas la
répression.
Alors, bilan
de Taubira ? Tu la regrettes Taubira ?
Allez, tu peux le dire : tu l’aimais
bien quand même...
On m’a fait comprendre que
j’avais été trop sévère avec Taubira, il
y a quelques jours
sur le blog. Non, car nous étions
alors dans une pleine dérive. D’abord,
la
question de la nationalité est
vitale pour la Gauche. Ensuite, Taubira
venait de co-signer dans
Le Monde avec Cazeneuve une
tribune soutenant la loi d’adaptation de
la procédure pénale, qui veut inscrire
dans le Code de procédure pénale les
procédés de l’état d’urgence pour les
rendre permanents. Cette violence
assumée aux principes du droit venait
comme nouvelle marque d’obéissance à la
logique sarkozyste de Hollande, qui
s’apprécie à travers des
lois répressives ignobles, par une
déclaration de la France indiquant
qu’elle renonçait en tant que de besoin
à la
Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme, par les
humiliantes destructions de camps de
Roms, par les poursuites exercées contre
les militants répondant à l’appel de la
société civile palestinienne via
le mouvement BDS, et tant d'autres
choses...
Alors le bilan Taubira...
Le mariage pour tous était un engagement
marqueur du PS et une chèvre l'aurait
fait voter. Ce d’autant plus que si a
été voté le premier volet de la loi sur
le mariage, on a renoncé au second sur
la filiation, laissant le soin aux juges
de faire le nécessaire.
La seule chose indéniable,
c’est qu’elle a tenu un discours sain,
qui n’avait rien de révolutionnaire,
mais qui rappelait contre les vents
contraires les réalités d’une prison qui
criminalise et de mineurs délinquants
qui sont des personnes à protéger. Ce
discours est bon et il doit être
défendu,… à condition qu’il se
positionne sur une base politique
claire. Quand ce discours sert à
cautionner la dérive vers l’État
sécuritaire qui remplace État de droit,
il faut dire non. Quand ce discours est
l’occasion de rompre avec le
gouvernement pour dire que trop c’est
trop, il faut le saluer.
Juste deux minutes pour la
chansonnette sur Taubira la laxiste
des névrotiques réactionnaires. Tous
les chiffres montrent que le nombre de
détenus est resté stable depuis Sarkozy
avec environ 66 000, de même que le
nombre de condamnés bénéficiant d’un
aménagement de peine, soit environ
13 000, alors que le nombre de
permissions de sortie est en baisse à
54.000 contre 58 000 sous les années
Sarkozy. Oki, les rois de la peur ?
Au final,
pas grand-chose,… mais c'était mission
impossible
S’il est exact que Taubira est
arrivée au gouvernement comme rescapée
du refus de Martine Aubry d’y
participer, toute autre personne se
serait heurtée aux mêmes obstacles
politiques, car le choix de Hollande –
qui ne s’est jamais intéressée aux
questions de justice – est clair :
faire basculer le PS sur la Droite
pour gagner la présidentielle de 2017.
Ce type a un mépris fondamental pour ce
qu’on appelle l’électorat de Gauche. Il
est persuadé (1) que les idées de
solidarité qui fondent la Gauche sont
dépassées, et que (2) ce brave électorat
votera les yeux fermés à partir du
moment où on agite de jolis mots
socialistes.
Un ministère de la Justice
défendant les principes du droit est
pour Hollande une incongruité, et il
fallait parvenir à vider de tout contenu
ce ministère au profit du ministère de
l’Intérieur, ce comme le ministère du
Travail qui a été vidé de tout contenu
au profit du ministère de l’Economie.
Nous y sommes.
Et
maintenant, que va-t-il se passer ?
Sur le plan technique,
Jean-Jacques Urvoas est un proche d’El
Blanco, et toutes les lois de « l’Etat
sécuritaire » vont passer comme une
lettre à la poste. Hier,
le Conseil d’État a estimé justifié
le maintien de l’état d’urgence, offrant
un boulevard au Parlement qui va le
renouveler pour trois mois, et ainsi de
suite…
Hollande va-t-il trouver une
majorité des 2/3 pour faire voter la
réforme de la Constitution ? C’est bien
possible parce qu’ayant accepté
la demande du Front National du
départ de Taubira, Hollande va
rencontrer de solides soutiens chez Les
Républicains. Mais dans le même temps,
le départ de Taubira va encourager des
députés à voter non, alors qu’ils se
sont jusque-là tous planqués par peur de
perdre leur investiture,…
sauf une poignée. Quel petit monde
politique…
Sur le plan politique, là, nous
retrouvons le sourire car la réélection
de Hollande, qui paraissait déjà bien
fragile au vu
des résultats des régionales – le PS
derrière le FN et Les Républicains –
semble cette fois-ci chancelante. A
force de se barrer à Droite, Hollande
laisse un champ à Gauche.
Si Taubira se présente, elle
recevra un fort soutien de tous ceux qui
déplorent le basculement à Droite du
gouvernement. Attendons la prochaine
rencontre entre Taubira et Aubry, il y
aura de l’ambiance…
Si Taubira ne se présente pas,
son départ ouvrira la voie à une
candidature minoritaire mais lisible de
la Gauche anti-Hollande, qui suffira
pour que Hollande se retrouve troisième
du premier tour des présidentielles, et
donc aussitôt éliminé. C’est superbe !
Chères amies, chers amis,
soyons réalistes. Pour plusieurs
décennies, il n’y a aucune perspective
de gouvernement de Gauche en France.
Hollande s’est inscrit dans le modèle de
Blair et DSK pour détruire la Gauche de
gouvernement. Les pays européens
retrouveront un avenir s’ils sont
convaincus que la solidarité, avec toute
sa complexité, est davantage un gage
d’avenir que l’immédiateté de la
réussite économique,… et ils en ont les
moyens. Pour redéfinir un avenir de
Gauche, il faut abandonner la
pataugeoire du « vivre ensemble » et des
« valeurs de la République », pour
redéfinir un modèle centré sur l’analyse
des rapports de production économique.
C’est en réinvestissant les relations de
la production économique et des tensions
sociales que l’on reviendra à la Gauche.
Dans l’immédiat, il faut faire
perdre les usurpateurs de la Gauche, ces
foutus marchands du temple.
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