L'actualité du
droit
Déchéance de nationalité :
Un grand combat commence contre Hollande
et Valls
Gilles Devers

Jeudi 3 décembre 2015
La France, ce n’est pas ce
« gouvernement » en survie, mais le
peuple, et le peuple français – uni et
divers – doit se réveiller pour obliger
Hollande et Valls à renoncer à leur
funeste projet d’inscrire dans la
Constitution la déchéance de nationalité
d’enfants nés en France. Encore dans le
choc émotionnel des tragiques événements
du 13 novembre, plus d’un n’a pas
compris le danger terrible contre
l’unité de notre nation que représentait
le discours de Hollande devant le
congrès, affirmant qu’il fallait rendre
constitutionnel une dualité de
nationalité. Comme le souligne le
Professeur Olivier Beaud,
constitutionnaliser, c'est
« institutionnaliser, banaliser,
naturaliser ». Aussi, inscrire dans la
constitution qu’il existe deux
catégories de Français ceux qui ont une
double nationalité et les autres, et
d’une remise en cause fondatrice, et en
l’occurrence destructrice. Elle crée du
jour au lendemain des millions de
Français de seconde zone.
Voilà où nous en sommes : une
proposition extrémiste du Front National
devient la base d’un discours de
Président de la République… Ajoutons,
sur le plan opératoire, le caractère
totalement débile de cette mesure :
Imaginez le mec assez cinglé et drogué
pour tirer à la kalachnikov – en faisant
dans son froc – sur des passants
innocents, avant de se faire exploser…
Imaginez-vous ce mec renonçant à son
projet parce qu’il risque d’être déchu
de sa nationalité ?
Chères amies, chers amis, il
faut lancer une campagne pour l’unité de
notre nation : tous différents mais tous
égaux, la Constitution ne peut pas
déroger. Il faut lancer une campagne qui
refusera de donner aux barbares la
satisfaction terrible de voir la
République adopter des lois barbares.
Le blog va donc s’intéresser à
la déchéance de nationalité. Pour
commencer cette série, voici un texte
écrit par deux grands connaisseurs,
Patrick Weil et Jules Lepoutre, publié
dans
Le Monde de ce 3 décembre.
Patrick Weil est directeur de
recherche au CNRS
(Centre d’histoire sociale du XXe siècle
de
l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne)
et professeur invité à la Yale Law
School (Etats-Unis).
Jules Lepoutre est doctorant en
droit public au Centre de recherche
Droits et perspectives du droit de
l’université de Lille et chercheur
invité à la Westminster Law School
(Royaume-Uni).
Refusons l’extension de la
déchéance de la nationalité !
Après que François Hollande a
déclaré au Congrès du 16 novembre
vouloir « pouvoir déchoir de sa
nationalité française un individu
condamné pour une atteinte aux intérêts
fondamentaux de la nation ou un acte de
terrorisme, même s’il est né français,
je dis bien “même s’il est né français”
dès lors qu’il bénéficie d’une autre
nationalité », voilà que le
gouvernement demande au Conseil d’Etat
s’il n’est pas nécessaire de modifier la
Constitution pour mettre en œuvre la
proposition du président. La réponse est
doublement : Non ! Non, juridiquement,
et non politiquement au sens le plus
noble du terme.
Certes, depuis les lois du
7 avril 1915 et du 18 juin 1917,
devenues permanentes par l’effet de la
grande loi du 10 août 1927 relative à la
nationalité, la déchéance de la
nationalité s’est installée dans notre
droit en visant principalement le
Français naturalisé. Durant la première
guerre mondiale, 549 déchéances de
nationalité ont concerné principalement
des anciens de la Légion étrangère,
restés ressortissants de l’Allemagne, de
l’Autriche-Hongrie ou parfois de
l’Empire ottoman : ils avaient le plus
souvent rejoint les armées
ennemies et porté les armes contre
la France. En 1945, après la Libération,
entre 1949 et 1953, plusieurs centaines
de Français naturalisés, d’origine
allemande ou italienne, ayant collaboré
avec l’occupant ont aussi ainsi été
déchus.
Mais depuis 1938, « le Français
qui se comporte en fait comme le
national d’un pays étranger peut, s’il a
la nationalité de ce pays, être déclaré,
après avis conforme du Conseil d’Etat,
avoir perdu la qualité de
Français ». Cette disposition, issue du
décret-loi du 12 novembre 1938 (l’un des
fameux décrets-lois d’Edouard Daladier),
a été maintenue après-guerre dans
l’ordonnance du 19 octobre 1945 signée
par de Gaulle. Elle concerne autant des
Français de naissance que des Français
par acquisition et est ainsi conforme à
la jurisprudence du Conseil
constitutionnel. Elle a été utilisée à
523 reprises à partir de 1949 et
jusqu’en 1967 à l’encontre de Français
binationaux, souvent issus de pays
d’Europe de l’Est dans un
contexte marqué par la guerre
froide. Même si cette disposition n’a
plus été utilisée par la suite, elle
reste présente dans notre droit. Elle
est devenue l’article 23-7 du code civil
et a fait l’objet d’une significative
jurisprudence du Conseil d’Etat.
D’abord le 7 mars 1958, dans
une décision d’assemblée « Epoux Speter » rendue
sous les conclusions de Marceau Long, le
Conseil d’Etat a organisé les droits de
la défense des personnes risquant la
perte de la nationalité pour s’être
comportées comme un ressortissant d’un
autre pays. Plus tard, il a dégagé des
situations dans lesquelles le défaut de
loyalisme de l’individu peut être retenu
pour le priver de sa nationalité, par
exemple « l’entretien avec des
organismes (…) étrangers de relations
incompatibles avec sa qualité de citoyen
français » (conclusions de Michel
Combarnous sous CE, Assemblée, 20 mars
1964, « Sieur et dame Konarkowski »).
Ce défaut de loyalisme
s’applique à n’en pas douter au Français
qui se comporte comme un terroriste au
service de Daech.
Peut-on considérer qu’il se comporte
comme le national d’un pays
étranger ? La Cour de cassation a certes
retenu qu’un Etat, même non
officiellement reconnu,
pouvait prendre des lois ayant des
effets sur le territoire français (ce
fut notamment le cas pour l’URSS avant
sa reconnaissance par les autorités
françaises en 1924), ce qui
pourrait conduire à considérer que les
ressortissants français agissant au nom
de Daech en sont également les
nationaux.
Reste que l’utilisation de
cette jurisprudence équivaudrait à une
reconnaissance implicite de la qualité
étatique de ce groupe terroriste. Pour
s’appliquer au terrorisme international,
l’article 23-7 du code civil devrait
donc être amendé. Mais cette révision,
législative, courte et simple,
permettrait d’inscrire la proposition de
François Hollande dans la continuité et
le respect de la tradition républicaine
en matière de déchéance de nationalité.
En République en effet, tous
les nationaux sont égaux devant la loi.
Dans la République américaine
d’aujourd’hui, la déchéance est, depuis
l’arrêt « Afroyim » de 1967 de la Cour
suprême, quasi inconstitutionnelle.
Contre Tsarnaev, le terroriste poseur de
bombes du marathon de Boston 2013,
naturalisé le 11 septembre de l’année
précédente, le gouvernement américain a
requis et obtenu la peine de mort, mais
pas la déchéance de sa nationalité. S’il
est exécuté, il le sera en tant que
citoyen.
Dans la tradition républicaine
française, l’usage strictement encadré
et limité de la déchéance est en fait
une expression du libéralisme du droit
français de la nationalité. La
République est en effet
traditionnellement indifférente à la
double nationalité de ses ressortissants
car elle y voit l’expression de sa
souveraineté et un facteur
d’intégration. Le débat a lieu en 1922.
Des Allemands installés en Alsace avant
1914 voulaient devenir français tout en
conservant leur nationalité d’origine.
Le Parlement considère alors que l’on
doit « admettre, jusqu’à preuve du
contraire, qu’une personne ayant acquis
la nationalité française n’est point
suspecte et dangereuse par le seul fait
qu’elle conserve des intérêts moraux et
pécuniaires dans le pays qu’elle a
quitté ». En retour, l’exercice de la
nationalité étrangère ne doit pas
conduire à ce qu’il soit porté atteinte
aux intérêts fondamentaux de la France ;
dans un tel cas, le gouvernement se
réserve la possibilité de requérir une
déchéance. Tel est le sens du droit de
la perte de la nationalité, ainsi
profondément inscrit dans le modèle
libéral de notre République. Deux
conséquences s’en déduisent. D’abord, la
déchéance de nationalité ne doit jamais
conduire à faire de l’individu un
apatride. Hannah Arendt l’a déjà
démontré en 1951, l’apatridie permet les
atteintes les plus graves aux droits
fondamentaux des individus. Ce constat
a, depuis, acquis une force remarquable
dans le monde contemporain ; toute
personne, quel que soit la gravité des
actes qu’elle a commis, conserve un
droit à une nationalité devenu l’un des
droits les plus absolus de l’homme. Du
coup, le droit de la perte de la
nationalité doit résolument s’inscrire
dans le sillage des plus hautes
garanties de l’Etat de droit
et bannir toute forme d’arbitraire. Le
gouvernement ne peut mettre en œuvre la
déchéance de nationalité qu’en
respectant scrupuleusement le principe
de proportionnalité, mais aussi le droit
à un contrôle juridictionnel, effectif
et équitable, sous la conduite du
Conseil d’Etat.
Une Constitution a pour objet
d’unir les citoyens, pas de les diviser.
La réponse la plus fondamentale aux
actes de terrorisme est aujourd’hui et
demain dans la recherche incessante par
tous, et d’abord par les plus hautes
autorités de l’Etat, d’une plus grande
cohésion de la société française.
L’inscription dans la Constitution d’une
distinction entre Français selon leur
origine serait porteuse d’une violence
et d’une division sociale profondes et
durables qui dépasseraient de loin les
avantages immédiats et hypothétiques de
quelques déchéances de nationalité.
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