La complicité de l’Etat turc
avec le terrorisme n’est plus à
démontrer
François Belliot
Dimanche 6 décembre 2015
Le 2 décembre, le ministère de la
défense de la fédération de Russie a
présenté les preuves d’un gigantesque
trafic de pétrole entre la Turquie et
l’organisation État Islamique. Celui-ci
disposerait de 8500 camions citernes qui
feraient transiter de la Syrie et de
l’Irak vers la Turquie près de 200 000
tonnes de pétrole par jour ; pétrole
ensuite acheminé dans des ports turcs,
où il serait chargé dans des pétroliers
pour raffinage à l’étranger. Ce trafic
aurait rapporté, avant le début des
frappes russes début octobre, près de 3
millions d’euros par jour aux groupes
islamistes qui attaquent l’Etat syrien.
Les images satellites russes montrent
d’immenses colonnes et rassemblements de
camions qui ne rencontrent aucune
difficulté pour traverser la frontière
syro turque dans un sens ou dans
l’autre. Les autorités russes ont
formellement accusé le président Erdogan
et sa famille, d’être les maîtres
d’œuvre de ce trafic.
Ce n’est pas le lieu ici de juger ce
que valent ces preuves, en comparaison
par exemple de la petite éprouvette
exhibée par Colin Powell à l’ONU en
2003, qui devait servir de prétexte au
renversement de Saddam Hussein et
aboutir au résultat catastrophique que
l’on sait, à savoir la destruction du
pays et le développement de
l’organisation État Islamique.
Contentons-nous de souligner, un grand
classique depuis mars 2011, le
remarquable silence des grands médias
sur ces révélations ; silence qui
tranche avec leur activisme hystérique
lorsque « sortent » des révélations
forgées de toutes pièces accusant le
« régime » syrien. On songe ici, pour
prendre l’exemple le plus récent, au
« rapport César » que nous avons
décrypté il y a deux mois [[1]].
Dans le présent article je voudrais
simplement rappeler que les « preuves
russes » s’avéreraient-elles
insuffisantes, il existe déjà, de toutes
façons, d’innombrables éléments pointant
la complicité de l’état turc dans
l’agression de la Syrie avec des groupes
terroristes.
Rappelons à ce propos quelques faits
exposés dans le rapport méconnu des
avocats turcs de janvier 2014 [[2]],
qui expose le même genre de complicité,
en pointant également la responsabilité
directe du premier ministre Erdogan.
Quelques faits et dates, que je
complète au besoin par d’autres éléments
d’information :
Le 15 juin 2011, la Syrian News
Agency révèle que les cartes sim de
compagnies turques de GSM ont été
trouvées sur des « opposants » à Jisr es
Choughour.
Le 15 septembre 2011, les
« opposants » syriens se réunissent à
Istanbul, et décident la création du
Conseil National Syrien, dont l’objectif
prioritaire avoué est le renversement du
gouvernement el-Assad.
De juin à octobre 2011, la Turquie
parraine une série de conférences de
l’opposition syrienne.
Le 20 septembre 2011, Erdogan annonce
la rupture du dialogue entre la Turquie
et la Syrie
Le 1er octobre 2011, c’est
à Istanbul qu’est fondé le Conseil
National Syrien, dont tous les
représentants sont liés à l’organisation
des Frères Musulmans et à des réseaux
atlantistes et pro-israéliens et sont
également proches du premier ministre
Erdogan et son parti l’AKP [[3]].
Le 22 juin 2012, on apprend que
l’Arabie saoudite se déclare prête à
payer les salaires des combattants de
l’opposition, la Turquie acceptant que
le centre de versement de ces salaires
ait son siège à Istanbul. La Turquie y a
également autorisé l’établissement d’un
centre de commandement pour coordonner
les livraisons d’armes aux combattants
de l’opposition. Un porte-parole du
département d’état étasunien reconnaît
que la CIA [[4]]
participe à la livraison d’armes aux
groupes « rebelles » via la frontière
turque [[5]].
Suite au massacre de Houla du 25 mai
2012, le site du ministère des affaires
étrangères turc, qualifie d’ « infâme »
ce crime qu’il attribue à Assad, et
annonce la rupture des relations
diplomatiques avec le Syrie [[6]].
Le 19 janvier 2013, le premier
ministre Erdogan affirme que les
développements en Syrie concernent la
Turquie car ils relèvent d’une affaire
intérieure, et déclare clairement la
guerre en ces mots : « Si certains, qui
sont venus depuis des dizaines de
milliers de kilomètres, peuvent envahir
l’Irak et devenir légitimes, nous ne
pouvons pas rester les bras croisés à ne
rien faire alors que nous avons une
frontière de 910 km avec la Syrie. Nous
devons faire ce qui est nécessaire, et
nous le ferons. »[[7]]
A propos du massacre et de
l’enlèvement de centaines d’habitants de
villages alaouites des environs de
Lattaquié le 4 août 2013, le rapport d’Human
Rights Watch d’octobre 2013 [[8]],
cité par les avocats turcs, signale:
« Les combattants étrangers dans ces
groupes entrent en Syrie par la Turquie,
d’où ils font de la contrebande d’armes
et obtiennent de l’argent et d’autres
facilités, et où ils se replient pour y
recevoir des soins médicaux. ». Les
auteurs du rapport recommandent ceci :
« La Turquie devrait accroître les
patrouilles à sa frontière et empêcher
l’entrée de combattants et d’armes à
destination de groupes impliqués selon
des informations crédibles dans des
violations systématiques des droits
humains. La Turquie devrait également
enquêter et poursuivre, en vertu de la
juridiction universelle et de ses lois
nationales, quiconque en Turquie serait
suspecté de commettre, d’être complice,
ou de commanditer des crimes de guerre
et des crimes contre l’humanité. » (p
12)
Je ne rapporte ici que quelques
éléments des 40 pages du rapport que
l’on peut consulter, mais plus
généralement : « Il est possible
d’exposer des milliers d’exemples
concernant le lien entre
l’administration AKP (le parti du
président Erdogan) et les groupes armés
pendant trois années. »(p 17)
Cette complicité, selon les auteurs
du rapport, serait du reste un secret de
polichinelle : «Le soutien de
la Turquie aux groupes armés n’est pas
un secret dans les relations
internationales. Dans la lettre
approuvée par les Russes présentée au
président Obama et signée par 12 agents
secrets à la retraite, parmi lesquels
l’ancien chef d’opérations de la CIA
Patrick Giraldi, et l’ancien cadre de la
NSA Thomas Drake, [on peut lire] :
« Nous avons été informés que les 13-14
août 2013, les forces de l’opposition
(…) ont entamé des préparatifs à grande
échelle en Turquie en vue d’une
opération militaire majeure non
conventionnelle. Les discussions entre
les commandants exécutifs militaires des
opposants et les spécialistes du
renseignement du Qatar, de la Turquie,
et des États-Unis ont été menées dans
une base militaire localisée à Antakya
(sud de la province du Hatay) qui
appartenait auparavant à l’armée turque
et qui à présent est utilisée par l’ASL
et ses soutiens comme centre de
commandement. » (p 17)
Il faut voir dans l’expression
« opération militaire majeure non
conventionnelle », une allusion directe
au tir à l’arme chimique du 21 août
2013, au sujet duquel les auteurs du
rapport présentent une somme d’éléments
accablants pour la brigade wahhabite
Liwa el Islam et les services de
renseignement turcs qui leur auraient
permis d’accéder à du gaz sarin et des
vecteurs susceptibles de le projeter.
L’implication turque dans cette
opération sous faux-drapeau permet au
passage de mettre en perspective la
récente descente du chasseur russe par
l’aviation turque : ce ne serait pas la
première fois que la Turquie, qui est
membre de l’OTAN qu’elle pourrait
entraîner dans son sillage, tente de
fabriquer un événement susceptible de
mener à un embrasement militaire de la
région aux répercussions incalculables.
Je cite pour compléter le tableau un
extrait accusant formellement le premier
ministre turc, point commun notable avec
les révélations russes du 2 décembre :
« Il semble que le premier ministre
Recep Tayyip Erdogan est responsable au
premier degré puisqu’il est le chef de
l’exécutif, qu’il fait des déclarations
hostiles contre un pays et soutient des
personnes qui commettent des crimes de
guerre (…), accorde aux criminels de
guerre la résidence sur le sol turc, et
en conséquence de tous ces soutiens,
pousse notre pays dans des conditions de
guerre avec un autre pays, et joue le
rôle d’instigateur direct et de complice
dans la perpétration de crimes de guerre
et de crimes contre l’humanité (…). En
vertu de l’article 146 et des articles
associés de la Constitution de Turquie,
le premier ministre Recep Tayyip Erdogan,
qui a commis ce « duty crime », devrait
être jugé par une Cour Suprême. » (p.
37)
Ce rapport a été complètement ignoré
par les médias traditionnels qui n’y ont
pas consacré une ligne. Il a été évoqué
lors des pourparlers de paix de Genève
2, où les différentes parties étaient
réunies pour un règlement politique de
la crise. Les médias préférèrent à
l’époque se focaliser sur le rapport
César qui venait de sortir, et qui
portait des accusations accablantes pour
les autorités syriennes.
Les récentes preuves russes sur la
complicité de l’Etat turc avec le groupe
État Islamique ne ne font que confirmer,
avec des moyens qui n’étaient pas à la
disposition des 45 contributeurs du
rapport des avocats turcs, un fait connu
et prouvé depuis longtemps.
Il convient de souligner que le
rapport des avocats turcs accusait la
Turquie d’aider les groupes armés (y
compris le groupe fantomatique appelé
Armée Syrienne Libre) pendant les trois
premières années de guerre, les
révélations russes permettent de
l’accuser de complicité avec ce qui
deviendra l’État Islamique : l’EIIL un
acteur majeur sur le sol syrien à partir
de la mi 2013, ce qui tendrait à montrer
que la Turquie a soutenu directement
toutes les organisations terroristes
sans distinction (sans même parler de
son visage officiel le Conseil National
Syrien) depuis le début des troubles en
mars 2011.
On ne peut certes mettre sur le même
plan ici les accusations portées envers
le président Erdogan et celles portées
contre le président el-Assad et son
« régime » par les politiques et les
médias traditionnels depuis plus de
quatre ans, mais il est difficile de ne
pas faire la comparaison : il semble
bien, si l’on croise ces deux sources de
révélations, que ce n’est pas en Syrie
mais bien en Turquie qu’il y a un
dirigeant dangereux, complice de groupes
terroristes, une « famille » se
distribuant les rôles pour détruire et
piller la Syrie, et se livrer aux
trafics en tous genres avec ces groupes
en dehors de toute légalité nationale et
internationale. Si le nouvel élément de
langage relayé dès fin 2014, par la
diplomatie française et ses
propagandistes, tels Jean-Pierre Filiu:
« Ni Bachar ni Daech » n’a jamais eu le
moindre sens [[9]],
il pourrait être pertinemment remplacé
par « Ni Erdogan ni Daech ».
Le silence des politiques français et
des médias au sujet des révélations des
militaires russes le 2 décembre, après
celles des avocats turcs en janvier
2014, quant à la véritable nature des
engagements du pouvoir turc dans la
guerre en Syrie, est une nouvelle preuve
que les événements de Syrie, depuis le
début des troubles en mars 2011, sont
couverts par un mensonge de grande
ampleur.
Espérons tout de même, à la lumière
des récents et surprenants revirements à
la tête de l’exécutif français et de son
« opposition » (déclarations de Ms.
Fabius [[10]],
Hollande [[11]],
Juppé [[12]],
et Fillon [[13]]),
que nos dirigeants auront le
courage de se saisir des preuves russes
de la complicité de l’Etat turc avec
l’organisation Etat Islamique et les
autres groupes terroristes takfiris/wahhabites
pour signifier avec encore plus de
clarté leur volonté nouvelle de s’allier
à la Russie dans la lutte contre l’État
Islamique et les autres organisations
terroristes cousines, dont la
responsabilité serait engagée dans les
attaques terroristes de Paris du
vendredi 13 novembre. Il est encore
temps de sauver ce qui reste de la
réputation de la politique étrangère de
la France au Proche-Orient.
Je tiens à signaler enfin un petit
livre essentiel pour comprendre les
relations entre la Turquie et la Syrie
depuis le début des événements, et plus
encore depuis des décennies. Il s’agit
de l’ouvrage « Syriana » de Bahar
Kimyongür, publié en 2012 aux éditions
Investig’action [[14]];
une étude qui apporte un ensemble
d’éléments convaincants montrant
l’implication précoce du pouvoir turc
dans le soutien aux groupes terroristes
qui sèment la désolation et la mort sur
le sol syrien. Ce livre n’a évidemment
fait l’objet, à l’époque de sa parution,
d’aucune recension dans les grands
médias français.
François Belliot | 5
décembre 2015
[1]Le « rapport César » est une
compilation de 55000 photographies
d’environ 11000 dépouilles, prises par
un prétendu « photographe militaire
syrien » du début des troubles jusqu’en
juillet 2013. Il les aurait prises sur
ordre du « régime » ; ces dépouilles
seraient celles d’opposants à Assad
morts sous la torture. Lien vers mon
article:
http://www.bvoltaire.fr/francoisbelliot/rapport-cesar-marecage-de-propagande-antisyrienne,211676
[3]Le journaliste d’investigation
Jean-loup Izambert, dans son récent
ouvrage « 56, l’état français complice
de groupes criminels », IS éditions,
dresse patiemment le CV détaillé des
personnalités principales du CNS et met
en lumière ce fait.
[4]Précisons qu’il existe une forte
et ancienne implication des Etats-Unis
dans la région (et en particulier dans
la province frontalière du Hatay) et que
cette déclaration ne doit rien au
hasard. A ce sujet je renvoie au
livre « Syriana », de Bahar Kimyongür,
éditions Investig’action, page 39 :
« Côté turc, la présence et la tutelle
américaine étaient omniprésentes. Le
Hatay, nom turc de la province
d’Antioche, était en effet, truffé de
bases de l’OTAN, visibles ou secrètes.
Outre la base aérienne d’Incirlik située
dans la province voisine d’Adana, il y
avait des navires de guerre US
stationnant dans le golfe
d’Alexandrette. Et pour couronner le
tout, une base de surveillance radar
avait été installée à proximité du
village de Kisekic au sommet de l’Amanos,
la montagne qui surplombe Antioche. Sans
parler du gouvernement guerrier de
l’époque. C’était un repère à agents de
la CIA dont le chef du gouvernement, Mme
Tansu Miller en personne. La contre
guérilla turque entraînée dans les
écoles militaires US écrasant la
contestation populaire.
Tortures,enlèvements, et exécutions
extrajudiciaires étaient monnaie
courante. »
[8]J’ai résumé ce rapport dans ma
« synthèse sur le tir à l’arme
chimique ».Synthèse
sur l’attaque à l’arme chimique en Syrie
le 21 août 2013. Il
semblerait de surcroît que les enfants
alaouites enlevés ce jour-là aient été
transportés à travers la Syrie pour être
disposés dans des alignements de
cadavres des victimes supposées du tir à
l’arme chimique du 21 août. J’explique
également dans cette synthèse pourquoi
ce rapport de HRW peut être jugé
crédible en comparaisons d’autres plus
douteux publiés par cette même ONG.
[10]« Il y a deux séries de mesures:
les bombardements (…) et des forces au
sol, qui ne peuvent pas être les nôtres,
mais qui peuvent être à la fois des
forces de l’Armée syrienne libre
(opposition), des forces arabes
sunnites, et pourquoi pas des forces du
régime, et des kurdes également bien
sûr »
[12]«J’étais sur la ligne
du gouvernement, ni Daech ni Bachar (al-Assad,
le président syrien). Aujourd’hui (…) il
y a des hiérarchies, il y a des
priorités… »
[13]« Il faut se féliciter que la
Russie soit intervenue en Syrie » « La
Syrie doit être intégrée à la
coalition »
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