Opinion
Défier l’occupation :
le camp de She’fat donne l’exemple
Fadwa Nassar
Photo:
D.R.
Dimanche 23 novembre 2014
La maison du martyr Ibrahim Akkari ne
sera pas démolie. C’est ce qu’affirment
les jeunes Palestiniens du camp de
She’fat, situé à l’intérieur de la zone
élargie par l’occupant de la ville d’al-Quds.
Depuis plusieurs jours, la population
palestinienne du camp (qui rassemble des
réfugiés originaires des territoires
occupés en 48 et de la place Sharaf dans
la vieille ville, entièrement détruite
en 1967, ou des Maqdissis à la recherche
de logements bon marché), est en état
d’alerte : elle ne permettra pas la
démolition de la maison du martyr.
D’ailleurs, les policiers de
l’occupation n’ont même pas pu remettre
l’ordre de démolition à la famille,
ayant été empêchés par les jeunes, et la
famille n’a même pas déménagé ses
affaires, elle continue à vivre dans sa
maison, protégée à présent par la
population du camp en entier qui a pris
la décision d’affronter l’occupant : les
barrages sont installés, des rondes
nocturnes assurent la sécurité des
ruelles, et les entrées du camp sont
surveillés. A la moindre alerte, les
jeunes mobilisés de jour et de nuit
passent à l’attaque pour empêcher toute
infiltration, de l’armée, de la police
ou même des « musta’ribines » (les
sionistes déguisés), bref, de l’ennemi.
Il y a quelques jours, ces jeunes ont
réussi à chasser les forces armées de
l’occupation installées au principal
barrage devant le camp, en lançant sur
ses membres les bouteilles incendiaires,
les explosifs et les pierres. 70 membres
du barrage ont pris la fuite. Ils sont
revenus, mais n’osent entrer dans le
camp. Le ministre sioniste de
l’Intérieur n’a pu y faire sa tournée,
il fut immédiatement chassé. Devant les
caméras de la chaîne « Falastine
al-Yom », les jeunes et moins jeunes,
qu’ils aient les visages cachés par les
kouffiehs ou non, ont expliqué qu’ils ne
permettraient pas la démolition de la
maison Akkari. Pour ce faire, les
soldats devraient passer sur leurs
cadavres. Ils ont l’intention de
résister jusqu’au bout. Ils ont affirmé
prendre exemple sur la bataille de
Jénine en 2002, où la résistance
héroïque de sa population et de ses
combattants ont marqué l’histoire de la
résistance palestinienne en indiquant le
chemin du défi et du sacrifice, après la
catastrophe des accords d’Oslo.
Les jeunes du camp de She’fat renouent
avec l’histoire héroïque du peuple
palestinien, en balayant les résidus
entassés dans la conscience depuis que
les responsables de l’OLP ont engagé le
peuple dans une voie sans issue : celle
des négociations et de la reconnaissance
de l’Etat de l’occupation. Si la Nabka
de 1948 puis la « Naksa » de 1967 furent
des catastrophes militaires et sociales,
elles n’ont cependant pas entamé ni
détruit la conscience palestinienne. La
volonté de résister et de se sacrifier
pour la libération du pays est restée
intacte, contrairement à la période
suivante qui a assisté à la
bureaucratisation, au vieillissement et
la sclérose des formations
palestiniennes qui ont accepté,
moyennant les pétrodollars et les
mirages d’un « Etat palestinien »,
d’abandonner la résistance et une partie
de la terre palestinienne, par
« réalisme » ou défaitisme.
Les accords catastrophiques d’Oslo
couronnent cette phase « réaliste » de
l’histoire palestinienne : ils ont
progressivement effacé de la conscience
le fait que la Palestine est le centre
de la patrie arabo-islamique, que sa
libération est nécessaire pour que les
peuples puissent jouir de leur liberté,
indépendance et souveraineté, et que la
lutte contre l’Etat colonial sioniste
est en même temps une lutte contre
l’impérialisme et toute forme de
soumission, politique, économique et
culturelle. Les accords d’Oslo ont
instauré le mirage de la « coexistence »
avec l’occupant, suscité de faux espoirs
et travesti la réalité du conflit, ce
qui a permis l’émergence d’une nouvelle
catégorie « d’activistes », issus ou non
d’ONGs, dont les références s’éloignent
autant que possible de l’histoire de la
patrie arabo-islamique pour se fixer sur
les « luttes internationales », où il
devient plus aisé de parler d’apartheid
plutôt que d’occupation coloniale et de
« colonie de peuplement », et de droits
de l’homme plutôt que du devoir de lutte
et de sacrifice.
Les jeunes du camp de She’fat, en
refusant la démolition de la maison du
martyr Ibrahim Akkari, brisent le cercle
vicieux dans lequel l’occupant a
installé les Palestiniens, notamment en
Cisjordanie et dans la ville d’al-Quds.
On n’attend plus le passage des
bulldozers, on ne sort pas les affaires
familiales avant la démolition, on ne se
lamente plus devant les caméras, on ne
dresse plus de statistiques à envoyer
aux ONGs et organismes internationaux,
on n’a pas recours aux tribunaux de
l’occupation pour retarder ou stopper,
moyennant finances, la démolition. On
n’accepte plus de démolir soi-même sa
propre maison, pour ne pas avoir à payer
les frais de la démolition qu’imposent
l’occupant, on ne demande plus
l’intervention de l’ONU, de l’Union
européenne, du CICR ou autres organismes
qui soutiennent l’occupant. Tout
simplement, on refuse et on défie
l’occupant d’entrer dans le camp et de
démolir. Par ce refus et ce défi, les
jeunes du camp de She’fat renvoient à
l’occupant sa vraie image, que les
accords d’Oslo et toutes les « luttes
pacifiques » ont voulu masquer : le
sioniste, religieux ou laïc, de gauche
ou de droite, n’est qu’un colon qui a
envahi la terre de Palestine et qui l’a
volée par la force des armes et de la
terreur.
A la question du journaliste leur
demandant comment ils comptent
s’opposer, sans armes, aux chars et à
l’aviation de l’occupant, les jeunes du
camp de She’fat ont répondu : « Nous
avons la volonté, la détermination de
résister, nous avons la foi en la
justesse de notre cause, nous avons
Dieu ». Le réalisme ne consiste pas à
s’adapter au rapport de forces, mais à
le construire par la lutte sur le
terrain, en ciblant le colon et son
entité. C’est ce qui a permis le
déclenchement de toutes les révoltes et
révolutions palestiniennes, depuis
l’occupation britannique et l’invasion
sioniste, au début du XXème siècle.
C’est ce qui a maintenu en vie et
empêché la disparition du peuple
palestinien. C’est ce qui a
progressivement dévoilé la vraie nature
de l’Etat colonial sioniste.
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